Cinéma - Piégé de David Yarovski (2025)
Les films plus ou moins horrifiques où une personne est prise en otage par un inconnu dans un lieu improbable, c’est un classique du cinéma de genre. Ca pourrait passer inaperçu s’il n’y avait la co-production de Sam Raimi et la présence d’Anthony Hopkins au casting.
Le réalisateur est un spécialiste du film de genre et de l’horreur. Pour ce troisième film, il semble quand même avoir eu du mal à monter le truc, si l’on en croit la longue liste avant le début. Pourtant, il s’agit d’un remake d’un film argentin, 4x4 de Mariano Cohn, sorti il y a seulement 6 ans. L’histoire est simple : “Eddie Barrish (Bill Skarsgård de la dynastie suédoise…), un jeune délinquant loser, voleur de voitures à ses heures, tente de dérober un véhicule de luxe. Il va cependant se retrouver bloqué à l’intérieur de la voiture, contrôlée à distance par William (Anthony Hopkins), le propriétaire.”
Ce huis-clos dans une voiture est quand même difficile à réaliser. car normalement une voiture est trop petite pour effectuer des prises de vue variées ou des mouvements de caméra. Dès le début, le spectateur a le tournis comme pour nous perdre un peu, à l’image du “héros”. Tout est manipulation justement. Et La première question que l’on se pose, c’est le but de William. Est-ce qu’il connaît Eddie ou pas? Si oui, que sait-il de lui ? Il se présente comme médecin mais en est-on sûr ? Des indices sont laissés par le réalisateur, comme le nom de la voiture, Dolus (pour une transformation de Land Rover Defender)…Je vous laisse chercher. Et le symbole de la marque aussi…Mais à l’image d’un Saw 1, Eddie a des choses à se faire pardonner et peut se demander quel est le prix à payer. Plus encore que dans le premier opus de la série horrifique, l’environnement est totalement maîtrisé par William. Il peut ainsi jouer avec son otage, le torturer de toutes les manières pour l’asservir, à l’image des techniques qu’utilisait la CIA au Chili ou ailleurs.
Mais là où le film sort un peu du classique film de genre, c’est quand il aborde les motivations de William. On devine très vite qu’il y a une forme de lutte des classes entre Eddie, jeune loser sans le sou qui lutte pour garder sa fille et survivre, quand William a tout du richissime médecin qui a dû profiter des largesses du système de santé US. Ce n’est curieusement pas sans rappeler l’affaire Luigi Mangione, ce jeune homme qui a assassiné un PDG d’assurance santé. Sauf qu’ici, tout est inversé. On apprend peu à peu de ce qui motive William. Il pourrait passer simplement pour le vieux réac, fan de Trump et Musk qui en veut à la société US en décrépitude et se venge sur le premier délinquant venu. Eddie en veut aussi à la société qui ne lui laisse pas de chance de sortir de la spirale des dettes. On pourrait caricaturer une opposition des extrêmes mais c’est pourtant ce qui mine la société états-unienne, mais aussi européenne aujourd’hui. Les riches se barricadent et profitent du système pour s’enrichir quand les pauvres sont ponctionnés pour tout, perdent des droits sur la santé et l’éducation et sombrent parfois dans une délinquance qui augmente.
Et donc, à l’image de la société, la communication qui essaie de se faire dans cette voiture n’aboutit qu’à un dialogue de sourds. L’un comme l’autre ont raison sur des causes racines. L’un comme l’autre ont tort sur les expédients employés. Le spectateur se retrouve aussi otage de ces deux points de vue. Il est jouissif de voir ce petit con d’Eddie qui se prend pour un petit malin, se faire punir par William. Il est choquant de voir jusqu’où peut aller William vis à vis d’une personne qui ne semble pas avoir tué. Mais après tout, que sait-on de chacun ? A-t-il enquêté et surveillé sa victime en lui offrant cette tentation ? Il semble avoir des moyens de connaître des informations, peut-être d’observer aussi l’extérieur. Yarovski nous demande presque de prendre parti pour l’un des deux. Il y a pourtant là encore un parallèle avec le tortionnaire de Saw, sachant que c’est issu de l’original argentin. Les références sont aussi citées dans le film, comme le Dirty Harry justicier de Clint Eastwood ou encore Batman qui selon les versions, est plus ou moins du bon coté de la balance de la justice.
Ce petit film est efficace par son casting. Hopkins n’apparaît que tardivement mais sa voix suffit à rendre l’atmosphère. Le jeune Skarsgård est parfait dans son rôle de père impubère qui croît tout savoir. Opposition de classe, opposition de génération, boomers vs génération Z, et tout ça dans une atmosphère proche de la science fiction dans cette prison roulante électrique et semi-autonome. On pense à la voiture tueuse de Christine, à la vengeance implacable d’un Duel et autres thrillers angoissants et motorisés. On est proche de la série B, dans le bon sens du terme et justement Carpenter aurait pu être séduit par cela, je pense. Ce que l’on peut reprocher au film, c’est d’être un remake et surtout de reprendre un scénario assez classique du genre. La tension est palpable pendant l’heure et demi. Le spectateur passe des motivations aux perspectives de sortie, les failles et la possibilité d’une morale finale. Si la morale chrétienne, le pardon et la vengeance sont évoqués, Yarovski met justement le doigt sur toute les contradictions de la religion aux Etats-unis et de la place d’une justice dans cela. De quoi réfléchir justement à ce système carcéral parmi les plus développé au monde (nombre de prisonniers/habitants) face aussi à une criminalité aussi importante. La phrase d’Eddie sur le pourquoi de sa possession d’un flingue est éloquente. A écouter le discours de nos politiques français aujourd’hui, on se demande si on ne devrait pas les enfermer dans une même voiture de ce genre.