Geopolitiko 5 - L'Argentine, redressement ou ruine ?
Autrefois eldorado pour la diaspora européenne, l’Argentine a vu les crises économiques se succéder, au point d’être une sorte de lieu d’expérimentation du FMI, avec les dégâts que l’on connaît. Et puis l’ère Milei est arrivée pour quelques années : Un fou ? Un ultra libéral à la Musk/Trump ? L’Argentine connaît-elle déjà un renouveau? On entend un peu de tout sur le sujet.
Une histoire contemporaine et liée à l’Europe
Un peu d’histoire d’abord pour comprendre ce vaste pays de 2,8M million de km2 et seulement 46 millions d’habitants. Après l’histoire amérindienne, les racines de l’Argentine sont celles des conquistadors espagnols du 16ème siècle. Et c’est de manière parallèle avec l’invasion de l’Espagne par la France que la séparation se fait en 1810. Mais l’indépendance ne se fait qu’en 1816 après une période de rivalité entre factions et de dislocation de l’empire espagnole d’Amérique du sud. Et déjà l’histoire est tumultueuse avant que Buenos Aires s’impose comme capitale. Le régime est libéral et l’immigration massive en provenance d’Espagne et d’Italie. Au début du 19ème siècle, l’Argentine aurait pu être un membre du G7 pour la richesse produite, mais pas pour son influence mondiale. Le problème est déjà que cette richesse n’est pas partagée par toute la population, qui comprend alors 30% d’étrangers. Avec ces immenses territoires fertiles, l’Argentine a aussi une économie basée sur l’agriculture et a une clientèle historique avec le Royaume Uni et bientôt les USA. Si pendant le premier conflit mondial le besoin est important et la balance commerciale devient excédentaire, cela ne va pas durer. L’industrialisation est faible et rend l’économie du pays plus fragile qu’il n’y paraît. La très forte injustice sociale mine l’économie avec l’émergence de mouvements ouvriers réprimés dans le sang. Idem pour la conquête des territoires autochtones par la force qui crée des mouvements révolutionnaires qui auront finalement raison du gouvernement en 1930 pour aboutir à une dictature militaire.
Toute l’économie est alors tournée vers l’exportation et laisse la population argentine dans la faim. Les mêmes erreurs seront reproduites en Afrique un peu plus tard et voilà qui déconstruit un peu le mythe de l’Argentine pays riche. Le pays n’a pas su prendre le tournant de la révolution industrielle, restant inféodé aux grandes puissances. Mais l’histoire continue d’être tumultueuse pendant la 2ème guerre mondiale, un éphémère régime pro-nazi permettant à certains anciens SS de s’y réfugier. C’est ensuite l’ère Perón où les richesses semblent moins déséquilibrées avec des avancées sociales. Mais le pari économique argentin reste risqué, l’industrialisation n’étant en marche que tardivement. Les prix évoluent et ce qui assurait la manne financière à la politique autoritaire de Perón se retourne contre lui. Le choix de se tourner vers le bloc de l’est et d’être non-aligné précipite sa chute. Le pays n’a alors pas de pétrole et se retrouve ainsi tenu à la gorge par le bras économique des USA. Peron chute et la gouvernance argentine devient instable avec en plus les politiques catastrophiques du FMI et autres expérimentateurs de génie. C’est aussi la période des escadrons de la mort… Le pays reste fracturé et ne sort de la dictature qu’en 1983. Mais lui succède aussi la corruption qui continue de miner l’économie. La nostalgie du pays riche est entretenue mais l’économie argentine a du retard, en faisant un colosse sud-américain aux pieds d’argile.
Une économie loin du mythe de la richesse
L’économie c’est donc principalement l’agriculture (9% du PIB, 20% des exportations), secteur sujet à la spéculation sur les prix, aux saisons et au réchauffement climatique. D’autant que c’est sur le soja et le maïs que se portent ces exportations, pour nourrir le bétail, autre exportation du pays. Les ressources minières restent faibles, à 4% du PIB…Mais le Lithium est présent, ressource précieuse pour l’industrie des batteries. Le pétrole découvert après les années Peron a permis l’auto-suffisance du pays ,ainsi que des gisements de gaz. L’industrie, justement, n’est qu’au 31ème rang mondial, derrière le voisin brésilien mais aussi le Venezuela pour ce qui concerne le continent sud-américain. C’est d’abord une industrie de transformation (17% du PIB). L’industrie automobile reste importante sur le continent mais a régressé de moitié par rapport aux années les plus fastes (2013). On s’attend à un rebond…ou retour à la normale. L’industrie chimique s’y est aussi fortement développée. Le parc énergétique est composé d’hydro-électricité (28%), de centrales à gaz (51%) et de nucléaire. A l’image des pays développés, le secteur des services a pris un grand essor. Mais l’Argentine est aussi à la traîne pour ses exportations (44ème rang mondial), ce qui pèse sur sa balance commerciale. Elle est notamment très dépendante du voisin Brésilien mais surtout de la Chine depuis la dernière décennie, USA et Inde étant les autres pays partenaires les plus importants. D’où le rôle dans les BRICS et l’œil attentif des USA sur l’économie du pays. L’inflation galopante a été le frein majeur à cette économie durant les années 90 puis ces dernières années, avec la spéculation monétaire et le marché noir qui vont avec.
La tronçonneuse comme remède à court-terme
Si Peron croyait déjà modérément dans son miracle économique du début, qu’il savait fragile, qu’en est-il de Milei, le chien fou ultra-libéral. En tronçonnant dans toutes les dépenses, il a rassuré des marchés et mis un premier stop à l’inflation, qui reste pourtant importante. Mais ce fut déjà le cas par le passé pour de brèves périodes. En réalité, cette inflation n’est revenue qu’à un niveau similaire à l’avant crise de 2022-2024 (cf courbe Reuters/INDEC ci-dessous). Une sorte de poussée de fièvre soignée à la trépanation.
Si nous regardons l’histoire de l’inflation argentine, c’est aussi moins catastrophique qu’il n’y parait et on se posera forcément des questions sur cette subite fièvre. La banqueroute de 2002 voyait une inflation moindre qu’actuellement mais parce que ce n’est pas le seul mal du pays. La Balance commerciale est très agitée, bien qu’excédentaire (voir indicateur ) ces derniers mois, ce qui montre la forte dépendance du pays aux cours internationaux car ce sont les faibles prix des productions agricoles et minières qui ont permis cela, tout en diminuant les importations faute de devises pour les payer. L’activité des services s’est effondrée depuis l’arrivée de Milei (-10 à 15% selon TradingEconomics ). La croissance est repartie seulement au troisième trimestre mais fait suite à une suite de 3 trimestres de baisse. Un trompe l’oeil.
L’indice d’activité économique est donc encore dans le rouge. Et le Peso Argentin continue à se dévaluer à grande vitesse depuis 2022. Cela facilite certes les exportations mais ne permet par aux Argentins de vivre ou de se passer du Dollar comme monnaie refuge. Mileil tente de juguler les flux monétaires mais cela finit par empêcher l’activité économique qui reste à des niveaux faibles. L’indice des prix à la consommation continue de grimper. Il n’y a que l’alimentaire qui revient à un niveau de 2023, déjà trop élevé. Le Taux d’emploi plafonne à 45% depuis 2 ans quand le salaire minimum cesse d’augmenter, malgré l’inflation, 40% de la population étant sous le seuil de pauvreté. Seuls les flux de capitaux reviennent, et la dette se stabilise. Ce qui est incontestable, c’est que les coupes massives dans l’aide sociale, la santé et l’éducation impactent la population et mettent en péril aussi l’avenir de son économie. Car comment développer une industrie efficace sans une main d’œuvre adéquate. La Politique de Milei risque à terme d’enfermer un peu plus le pays dans la dépendance des cours internationaux et des spéculations. L’Argentine a déjà une dépendance forte sur ces secteurs avec les premières économies mondiales que sont USA et Chine.
En témoignent les importations :
Et les exportations :
Pour mieux comprendre le remêde de Milei, il faut sans doute comprendre…
A qui appartient l’économie argentine ?
Les grands propriétaires terriens et l’agro-business sont en effet prépondérants dans l’économie. Les plus gros groupes du pays sont ensuite liés à l’énergie (gaz, pétrole) ou des groupes bancaires … qui donc spéculent eux aussi sur l’économie. Le FMI possède une grande partie de la dette et n’est pas connu pour des visées sociales ou surtout avoir résolu le moindre problème dans les pays débiteurs. Il est d’ailleurs à noter que la dette argentine avait été réduite à 40% du PIB dans les années 2010 mais est repartie subitement à la hausse en 2023 à 150% du PIB. On se souvient d’un Milei brandissant le Dollar dans sa campagne comme solution. Une manière de rappeler l’inféodation d’une partie de l’économie aux USA. La dévaluation du Peso Argentin réclamée par le FMI va aussi dans un sens d’inféodation aux acheteurs de matière première agricole, minière et agro-alimentaire. Milei y a souscrit immédiatement. Sans investissement, pas de transformation économie non plus et voilà donc le cercle vicieux dans lequel se retrouve l’Argentine. Aujourd’hui, beaucoup dénoncent une politique néo-colonialiste de pillage des ressources du pays donnant une fausse impression de reprise.
Aucune puissance économique autre que les télécoms n’a émergé de l’économie du pays ces dernières années. Même l’Automobile exportatrice reste à la main de groupes US et européens (Stellantis, VAG, Ford) avec des outils de production vieillissant. Le Brésil vient de voir son taux de chomage au plus bas et peut attirer bien plus d’industrie. Face à un voisin brésilien, rival historique, plus inégalitaire encore mais mieux structuré, l’Argentine peine à trouver une voie de sortie. La concurrence frontale n’est pas en sa faveur malgré la faiblesse de la monnaie. Il est fort probable qu’après une croissance réelle, l’Argentine se retrouve à nouveau dans un cycle de crise, démontrant que l’équilibre entre libéralisme et politique sociale n’est pas à trouver à la tronçonneuse ou par des aides destinées à trouver la paix sociale. Le laboratoire que constitue la politique de Milei est à observer finement par rapport à la tentation ultra-libérale qui prend le pouvoir aux USA mais aussi en Europe avec les appuis de l’extrême-droite. A suivre.