Cinéma - Petites Mains de Nessim Chikhaoui (2024)

Certains considèrent encore le cinéma comme un unique moyen de distraction fait de blockbusters qui se recopient et se reproduisent à l’envie. Et puis d’autres ne voient qu’un moyen de s’instruire ou de créer des discussions. Et si on essayait de réunir ces deux mondes? Voilà ce que parvient, pour moi, à faire Petites mains, à la fois film social et comédie qui fait rire et tire quelques larmes tout en provoquant le débat.

Le film nous est vendue comme une comédie sociale, c’est à dire que l’on va parler d’une situation sociale difficile mais en gardant le sourire. Ici, c’est la situation des femmes de ménages des palaces et grandes chaînes d’hotels. C’est inspiré de l’histoire vraie des femmes de ménages de l’Hôtel Ibis des Batignoles. On en connaît depuis l’une des leaders, Rachel Keke, aujourd’hui députée, l’une des rares du milieu ouvrier. Oh, je vous vois venir les rageux habitués au X et à l’oiseau bleu : Encore un film de gauchiasse perfusé par le CNC ! Et alors, vous préférez sans doute une hagiographie de Bernard Arnault ou de Charles Mauras ? A 4 Millions de budget, ça reste très très bas dans la hiérarchie des comédies françaises …Et c’est de l’argent plutôt mieux placé car c’est un film qui fait parler sur une activité essentielle !

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Il fait déjà parler de tous et toutes ces invisibles. Ce sont souvent des personnes en situations précaires dont ces sous-traitants de grands groupes profitent avec un bon chantage pour faire accepter les pires conditions de travail. A l’heure des Jeux olympiques, imagine-t-on une France sans hôtels ou sans personne pour nettoyer ces centaines de milliers de chambres ? Alors ici on voit une jeune sortie d’un foyer d’aide sociale à l’enfance et que l’on jette dehors à ses 18 ans. On voit des personnes qui doivent renouveler leurs papiers à la préfecture avec toujours plus de difficultés administratives mais travaillent en toute légalité. On voit des femmes seules au parcours de vie chaotique. Si je dis ça, vous allez me dire que cela paraît loin d’une comédie mais que ça fait plus film des frères Dardenne ou documentaire. Et bien non, si le réalisateur montre cela, il le fait sans misérabilisme ou excès de pathos. Ce sont des femmes (et aussi quelques hommes) qui se battent tous les jours, qui prennent des coups, qui se blessent et souffrent en silence. Mais des personnes aussi qui ont de l’humour, cette politesse des désespérés (cf Chris Marker).

Et pour que cela transparaisse à l’écran, il faut un casting au niveau. C’est le cas ici avec des actrices très visibles (Corinne Masiero) et d’autres moins (Maïmouna Gueye vue dans «Mignonnes», Marie-Sohna Condé vue dans «Mon tout petit Mariage», Salimata Kamate vue dans «Saint-Omer»), et d’autres qu’on a à peine vues (Lucie Charles-Alfred). A noter aussi Kool Shen qui n’a pas encore la filmo de son ancien comparse Joey Starr. La bande son est efficace aussi mais pas dans le rap…On pouvait vraiment craindre le pire avec un ancien scénariste des Tuche 2, 3, 4…et même 5 à la réalisation. Il faut bien manger, dirait l’un de ses personnages. C’est pourtant bien fait pour ne pas tomber dans l’excès d’une comédie trop franchouillarde ni dans le film social ennuyeux. Alors pour faire passer ce contexte pesant, on a droit à des personnalités hautes en couleur (cf le défilé…), à une romance, à de la rédemption, à une sorte de buddy movie, et ça fonctionne très bien. Même dans la gravité de la situation, on trouve de quoi rire, mais aussi quelques pauses pour réfléchir à la situation. La sous-traitance à outrance au moins disant sans regarder la réalité, c’est tellement facile. Que des femmes sans ressources soient obligées d’apporter leurs propres produits de nettoyage dans un palace, ou de partager un aspirateur pour 10 ou 15 chambres, … normal ? Qu’elles subissent des remarques sur leur chevelure alors qu’elles doivent justement faire tout pour être invisibles aux yeux des clients … normal ? Qu’elles fassent le même travail que les (rares) salariés internes mais n’aient pas les mêmes droits … normal ? Imagine-ton devoir acheter son propre PC et apporter stylos et feuilles dans d’autre métiers par exemple ? Ce n’est hélas pas le seul métier essentiel victime d’abus sociaux.

Dans la vraie vie, ces femmes ont obtenu gain de cause après 22 mois de conflits où elles ont pris le risque de perdre leur salaire mais surtout leur emploi. Le film ne rentre pas dans les détails de la lutte ni dans les conflits entre branches de syndicats CGT. On voit juste le logo du syndicat et quelques négociations un peu simplifiées. Il fallait rester accessible et positif. Le film ne manque pas de positivité justement, surtout que le spectateur averti connaît déjà l’issue positive. Alors pourquoi aller voir un film dont on connaît la fin ? Mais justement pour cette positivité et pour voir la situation à la hauteur de ces femmes, ces mères courage, celles que je croise parfois dans un cabinet de kiné pour se faire «réparer». J’entendais ce même humour dans les conversations mais aussi ces mêmes souffrances que l’on entend ici dans le film. Si vous ne voyiez pas ces femmes avant, elles vous seront visibles aujourd’hui. Et quelle bonne idée qu’une sortie le 1er mai, Journée internationale des travailleurs, quand pendant ce temps on détricote encore quelques petits acquis, comme un jour de carence par là, les logements HLM par ci, et les transports sanitaires par là.

Ce film est l’occasion de rappeler que tous ces petits «avantages» qui font qu’on ne travaille pas aujourd’hui en France comme en 1900 ou comme au Bangladesh, ils ont été conquis par la lutte sociale, par des manifestations, des jours de grèves et des barricades. Il y a eu des Violette, des Safiatou, des Eva, des Simone, des Ali pour prendre les coups des flics, pour être menacées, blessées, diffamées…Oh ce n’est peut-être pas le film du siècle sur le sujet et on renverra à d’autres films sociaux anglais, par exemple, nos voisins ayant souvent des longueurs d’avance sur la casse sociale. Mais il en ressort une émotion revigorante qui fait du bien. Comme dit l’affiche, elles ont la classe !

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Ecrit le : 04/05/2024
Categorie : cinema
Tags : cinéma,2020s,politique,syndicalisme

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