Cinéma - Here de Robert Zemeckis (2024)
Le temps est un sujet devenu récurrent chez Robert Zemeckis, de même que ses concepts visant à recréer des acteurs «transformés. Mais cette fois, il a mélé les deux.
Le concept, c’est de filmer un même lieu en plan fixe à travers le temps. Et je parle du temps au sens très large : De la préhistoire à nos jours. Il se concentre tout de même sur la période contemporaine et surtout le 20ème siècle. Sans faire le même coup que les soeurs Wachowski avec Cloud Atlas (déjà avec Tom Hanks), il nous montre des familles américaines qui ont emménagé dans une même maison et surtout vivent dans le même salon. La maison a environ 200 ans. Elle se situe devant une somptueuse demeure coloniale ayant appartenue à un fils illégitime de Benjamin Franklin, et tout ça sur d’anciennes terres indiennes sacrées. Pas besoin de DeLorean cette fois pour ce voyage dans le temps.
Ce n’est pas vraiment un film choral façon «Short Cuts» d’Altman mais Zemeckis s’évertue à faire des parallèles entre les différentes périodes à travers des cadres qui se superposent en incrustation d’image. Un format déjà vu mais très bien maîtrisé par des transitions progressives non dénuées d’humour. Ainsi on voit un Tom Hanks déguisé enBenjamin Franklin avec son fils lors d’une fête, peu de temps après la visite du même Benjamin Franklin dans le domaine de son fils 200 ans avant. L’occasion aussi de faire un peu d’histoire entre la révolution américaine, les débuts de l’aviation, la seconde guerre mondiale, la guerre du Vietnam et d’autres évolutions culturelles des États-unis. Ainsi voit-on une famille noire expliquer à son fils comment réagir en cas de contrôle policier…en 2023. Outre ces dates marquantes de l’histoire US que l’on peut voir à travers les médias des différentes époques, il y a l’évolution culturelle et notamment la place de la femme.
L’une des mères est une suffragette, près de 120 ans avant…Puis on a des femmes aux foyers qui n’évoluent guère entre les années 20 et les années 60. On a la femme de Tom Hanks (Robin Wright) qui a un métier mais se voit quand même restreinte dans son émancipation par la réalité de la famille (et le poids des parents…). Tout cela n’est pas verbalisé à part quelques confidences à la caméra…jusque dans les années 90-2000 où elle craque. Dans chacune des familles, il y a des jalons, des marqueurs comme le passage à l’age adulte, l’armée, l’université, le premier métier, le premier enfant, la mort des parents, le départ des enfants, etc. Et on constate les évolutions, les rebellions aussi à travers le temps. Zemeckis nous montre aussi par petite touche l’évolution de la culture, cette pop culture si importante aux USA.
Alors évidemment, pendant cette heure quarante, le rythme paraît soutenu avec des transitions plutôt rapides. Zemeckis s’attarde surtout sur le couple Hanks/Wright qui arrive assez tard tout de même. Mais il y a des manques, des trous comme ce passage d’un gamin bruyant et surexcité à un adolescent passionné par le dessin et la peinture. Sous-titré en Français «Les plus belles années de notre vie», c’est un peu mensonger car on voit que ces vies sont aussi faites de renoncements, de conflits et pas toujours de tous ces petits bonheurs oubliés. Un film qui nous touche justement, au delà de l’aspect conceptuel et technique, par les parallèles que l’on peut faire avec nos propres vies. Mais c’est un film qui s’adresse plutôt à un public qui a du vécu, Zemeckis ayant maintenant 72 ans, presque comme Tom Hanks en fin de film. Pas forcément le public qui va le plus au cinéma. Il nous parle de tout cela avec poésie et tendresse, évitant les scènes de conflits qui sont en filigrane ou à l’opposé du champ de la caméra. La fin du film nous révèle tout cela, bien évidemment et nous confronte à notre propre imaginaire. Certains critiques y voient un déclin de créativité. J’y vois au contraire de la créativité au service d’une histoire, sans doute un peu de la sienne, mais sans l’esbrouffe habituelle d’Hollywood. A moins que la critique de l’American Way of life ne leur plaise pas ? (cf le couple avec l’inventeur…)