Geopolitiko 1 - Démographie et guerres
J’avais annoncé la fin de la revue de médias, la fin des liens raindrop vers des articles et quelque part, c’est dû à une moindre lecture de mes flux RSS. Ce qui n’empêche nullement d’être informé mais plus lentement et à travers d’autres médias plus spécialisés. Cela écarté, je m’intéresse alors à faire des articles plus rares mais plus fouillés et/ou synthétiques dans une rubrique qui porte le nom Geopolitko, soit Géopolitique en …Esperanto, pour la symbolique de cette langue. Cela sera donc un billet géopolitique apériodique selon les actualités et les envies…et le temps.
Dans ce premier numéro, je vais m’attacher à relier démographie et guerre. La démographie européenne fut fortement impactée par les deux conflits mondiaux, et nous le remarquons un peu plus avec le second et l’effet du baby boom qu’on nous ressort pour des réformes comme les retraites par exemple. La génération baby-boom a maintenant de 60 à 80 ans. Ses enfants, moins nombreux, sont les parents de la génération actuelle, voire les grands parents pour certains. Le travail a aussi évolué et les femmes ont maintenant droit à avoir des carrières et de longues études (en plus d’autres droits récents comme les comptes en banque, par exemple), ce qui est allé souvent de paire avec un recul de la natalité et de l’age du premier enfant. Ce n’est pourtant pas le seul phénomène pouvant l’expliquer, entre baisse de la fécondité masculine, moindre envie de procréer, peur de l’avenir, éco-anxiété, … Certains pays européens subissent aujourd’hui un déclin démographique, comme Allemagne, Italie, Espagne ou Grèce. Même le bon élève français commence à voir la natalité régresser. Ce phénomène est mondial avec le Japon, La Corée du sud (plus bas taux de fécondité du monde) ou encore la Chine qui n’arrive pas à sortir de la politique de l’enfant unique et même les USA dans certains états. L’enfant vu comme une chance à une époque ou dans d’autres régions (surtout si ce n’est pas une fille) est vu de plus en plus comme une charge. On entend régulièrement des extrémistes sortir qu’une «bonne guerre» remettrait les pendules à l’heure…Pas si sûr : Il n’y a qu’à regarder la Russie dont la population régressait déjà avant la guerre contre l’Ukraine
Russie, une guerre contreproductive
La Russie a la particularité d’avoir une espérance de vie très déséquilibrée entre hommes et femmes. 70 ans en moyenne mais 12 ans de différence entre les deux sexes, à comparer avec les 6 ans en France (82,4 ans) ou 5 en Espagne. On cite souvent le facteur alcool comme raison et ce n’est hélas pas un cliché. Le déséquilibre se fait heureusement au niveau des personnes âgées et pas celles en age de procréer. L’effet de la guerre est d’envoyer au front des jeunes gens qui sont déjà moins nombreux que la population active (la classe d’age 30-35 ans est la plus nombreuse, les 20-30 ans étant peu nombreux). Il faudra bien les remplacer.. Mais surtout, avec déjà un déficit démographique sur cette classe d’age, l’effet à moyen terme est d’avoir encore un déficit de naissance dans les 10 ans à venir. La chute du bloc de l’est avait créé un petit boom des naissances (la fameuse génération 30-35 ans), vite oublié avec les années Eltsine et les errements de l’état russe. Si on ajoute à cela les morts de la guerre, l’effet post guerre risque d’être limité pour un autre baby-boom. Surtout que la guerre est dans une phase d’enlisement et de «guerre de position» plus typique du premier conflit mondial. La 1ère guerre mondiale avait basculé avec l’arrivée de nouveaux belligérants sur le front ouest. On n’en voit guère aujourd’hui à moins de compter sur un belligérant technologique (missile hypersonique, drone autonome, …?).
image générée par une IA pour imaginer une combattante russe si le conflit s’enlise très longtemps.
Reste évidemment à Poutine à soigner son égo et trouver une porte de sortie acceptable pour ce piège où il s’enferme, et par la même occasion, l’Europe. Car ne nous trompons pas, l’OTAN a tout intérêt à pousser à une confrontation où les USA ne seront aucunement touchées. Ventes d’armes au beau fixe et un adversaire économique en moins, c’est tout bonus. Idem pour la Chine qui peut compter les points et pousser son propre armement vers une ex-puissance qui lui sera débitrice, par exemple en minerai et pétrole/gaz. Les cerveaux et étudiants les plus méritants seront beaucoup tentés par migrer loin du conflit ce qui pourrait aussi avoir un effet sur la recherche fondamentale où la Russie occupe encore une bonne place. Quant à l’angoisse créée par la guerre en Europe, notamment à l’est, elle n’est guère favorable à la croissance démographique. Pour la Russie, cela pourrait accélérer le vieillissement et le déclin du pays qui ne recourt pas tant que ça à l’immigration et accueille peu de réfugiés. Un paradoxe pour un «tsar» qui voudrait restaurer la Grande Russie.
Les Migrations dûes aux guerres
Ailleurs dans le monde, des conflits créent aussi d’autres migrations, en plus du déclin de pays et de leur société. Nous avons connu le conflit Syrien et son flot de réfugiés qui sont pourtant très majoritairement dans les pays voisins (Turquie, Liban, Jordanie..) et pas comme on le croit en Europe. Pour un pays influent dans la zone comme l’était la Syrie, c’est une catastrophe durable qui rebat aussi les cartes géopolitiques. La Turquie s’est ainsi débarrassé d’un rival. Cette fois, on remplacerait la Turquie par l’Égypte pour le conflit à Gaza et il n’est pas anodin de voir les représentants de l’UE se précipiter pour passer un accord avec ce pays vis à vis de la politique de migration. Prévenir pour mieux guérir ? On oublie quand même que la non-réaction des pays occidentaux depuis des décennies vis à vis de la politique (hors la loi) de colonisation d’Israël, a pesé aussi dans ce qui se passe aujourd’hui. Si l’Allemagne est dans une position délicate vis à vis d’Israël par son histoire, il ne faut pas oublier le poids de cette même histoire pour l’Europe qui a aussi une sorte de dette morale vis à vis du peuple juif. Les conséquences migratoires du conflit palestinien restent pourtant plus limitées et circonscrites au moyen-orient.
On entend hélas moins parlé des conflits qui se succèdent dans la corne de l’Afrique au sens large, sur fond de pétrole et de minerais courtisés par Chine et Occident pour l’électronique. Cette fois, pas de pays voisins où trouver un refuge quand c’est toute la zone qui devient notoirement instable : Somalie, Érythrée, Éthiopie, Soudan, Sud-Soudan, Kenya, et même si l’on pousse plus loin, la République Démocratique du Congo (RDC), et son minuscule mais ambitieux voisin le Rwanda. Un Rwanda qui ne s’embarrasse pas de paradoxes, soutenant le mouvement M23 au Congo pour s’accaparer des richesses (le cobalt notamment), mais demandant aussi des réfugiés (littéralement vendus…) par l’entremise du Royaume Uni, ces mêmes réfugiés étant issus des conflits plus à l’est de l’Afrique. La démographie de ce pays reste évidemment fortement impactée par le génocide de 1994 (déficit de la population autour de 25-30 ans aujourd’hui), mais aussi les migrations vers l’Ouganda voisin depuis les années 60 (faible part des plus de 50 ans par rapport à d’autres pays comparables). Plus au nord, le désert reste silencieux tout comme la Méditerranée qui engloutit tous ces espoirs déçus chaque semaine. Et en transitant par le Tchad, les réfugiés de ces conflits oubliés parviennent aux portes de l’Europe. Ce n’est pas en alimentant des dictatures avec de l’argent que cela changera l’envie de fuir de toutes ces populations. C’est pourtant ce que l’on voit en Libye, Tchad, Égypte où les dirigeants européens aiment communiquer sur de juteux accords. Mais dans un pays de 17 millions d’habitants comme le Tchad, à la pyramide des ages particulièrement jeune, cela pèse énormément. Le Tchad est le deuxième pays d’accueil des réfugiés en Afrique avec 29 réfugiés pour 1000 habitants. Cela s’ajoute au risque climatique considérable dans ce pays.
Plus à l’ouest, c’est l’insécurité due aux groupes armés faussement musulmans mais vrais brigands et une nouvelle sphère d’influence pour la Russie aujourd’hui. En tout cas plus la Françafrique aujourd’hui déchue si ce n’est pour la monnaie Franc CFA qui n’en finit pas de mourir. Autant dire que là aussi les réfugiés commencent par déstabiliser les pays voisins avant d’éventuellement prendre le chemin d’un exil lointain. Aujourd’hui ce sont bien la Côte d’ivoire et le Nigeria qui accueillent des millions de réfugiés, ainsi que le Burkina Faso et le Mali. Pas étonnant de voir ces pays eux-même déstabilisés et tomber peu à peu dans des coups d’états ou des tentatives. La Gambie ou le Togo pourraient suivre si on n’y prend pas garde. Et cela d’alimenter aussi les routes de l’ouest de l’Afrique vers le Maroc, l’Espagne ou la Sicile. Cet effet domino est considérable dans tout le nord de l’Afrique et crée un blocage des sociétés : Les différents «empires» mondiaux aime installer des régimes autoritaires qui ont des politiques raciales pour se débarrasser des réfugiés (mais aussi profiter des ressources), mais on oublie aussi les conséquences sur la population de ces pays d’accueil forcé : Un désir de fuite de par l’insécurité après des révolutions avortées.
Insécurité et guerres civiles
Les guerres peuvent être civiles ou sinon les pays tomber dans l’insécurité. C’est ce qu’il se passe aujourd’hui à Haïti, un pays dont le quart de la population est déjà parti à l’étranger. La situation de chaos va encore accentuer les choses. Mais on peut rajouter quelques pays d’Amérique centrale dans cette situation comme les Honduriens et les Salvadoriens et les mexicains des provinces les plus touchées par les mafias qui s’y livrent de véritables guerres. La déstabilisation des pays étant une spécialité US, il est assez ironique de voir les réfugiés du sud toquer à la porte des USA qui se retranchent toujours derrière des murs. Le sujet est au cours des élections US et même locales et donne une situation interne aux USA encore plus clivante. Il est vrai que la langue espagnole est devenue la première dans les états du sud, mais n’oublions pas non plus la place de l’histoire des USA et de son extension pour comprendre le phénomène. Arizona, Nouveau-Mexique ou Texas ont une histoire commune avec le Mexique et l’Espagne.
Plus au sud, au Venezuela, ce sont pourtant les pays voisins qui subissent, notamment la Colombie qui sort à peine de la guerre civile, au Pérou avec 4,6 millions de déplacés, ou encore au Chili, en Argentine et un peu au Brésil. Là aussi, on retrouve des conflits ethniques, raciaux et un poids économique dur à supporter pour des pays encore fragiles dans leur économie. On peut ajouter un conflit armé potentiel entre Guyana et Venezuela et on pourrait avoir aussi des conséquences sur la Guyane française, déjà marquée par les échanges avec le Brésil.
En Asie, assez épargnée en ce moment, il reste tout de même la Birmanie en proie à une terrible guerre civile et ethnique. On peut surveiller la dérive du Cambodge, également. Et on oublie encore l’Afghanistan, pays où résistent encore une poignée de moudjahidin au pouvoir des talibans. Oui, on oublie que le commandant Massoud était aussi dans un parti islamiste, le Jamayat-e-Islami. Dire Alliance du nord, ça passe mieux pour taire la complexité de ce pays très tribal. Aujourd’hui, ses héritiers se sentent seuls et abandonnés. L’Europe a assez à faire avec un conflit, comme la Russie ou le Pakistan en interne. Ce même Pakistan est devenu un enjeu entre les deux géants du continent : L’Inde et la Chine. Mais les Afghans et Afghanes continuent de fuir ce régime qui affame sa population par son autarcie. Et le Pakistan en subit les conséquences par migrations (1,4 millions…) mais aussi trafics d’armes et drogue. Sachant par ailleurs que le pays est voisin de l’Iran et à l’entrée du golfe persique, on voit se dessiner une poudrière potentielle, dont ou entrevoit aujourd’hui que le Yemen vis à vis d’un royaume Saoudien déstabilisateur historique de toute la péninsule arabique.
Mais où aller sur cette terre ?
Aujourd’hui, on pourrait se dire que les pays en déficit de population pourraient accueillir ces réfugiés. Mais c’est oublier l’histoire…Quand déjà dans les pays occidentaux on montrait du doigt les polonais, russes, italiens, espagnols, irlandais qui n’avaient pourtant pas le problème de la couleur de peau, ou des cultures dites «trop lointaines de nous», comme disent les racistes d’aujourd’hui. L’Europe est encore dans une certaine instabilité économique, ne sachant pas basculer en économie de guerre depuis 2 ans, en manque d’investissement d’un coté (Allemagne notamment), en manque de main d’œuvre parfois alors que le chômage est élevé. Prenons l’Allemagne où le parti d’Extrême droite AfD progresse à l’est. En effet, le chômage y dépasse les 10% quand il est à 6% en moyenne et inférieur à 2% dans le sud du pays. On saisit un peu mieux l’incompréhension d’une politique d’accueil des réfugiés qui vont aider au fonctionnement des florissantes industries du sud du pays, quand la population de l’est se sens délaissée. Juguler ainsi le vieillissement de sa population nourrit les fantasmes de grand remplacement. Les pays européens ont tous été grand-remplacés au fil de l’histoire mais sur des rythmes plus lents du fait des moyens de transport. Tout semble aujourd’hui aller très vite, trop vite.
En Italie, confrontée à un problème de population similaire, la situation est plus complexe car il n’y a plus d’industrie si florissante au nord. Le sud reste toujours plus pauvre et en plus se trouve exposé aux flux migratoires et en première en ligne en Europe comme une sorte de Hub de ces flux, surtout que cela se concentre sur des îles. La Grèce est aussi dans cette même position avec une situation économique encore plus critique. De quoi expliquer les résultats électoraux des partis nationalistes. Pourtant, la part de réfugiés n’a pas autant augmenté que lors des décennies 1990-2000. Les réfugiés et migrants ne restent pas en Grèce mais aspirent à aller dans des pays anglo-saxons. Voilà aussi que le Portugal et l‘Espagne voient des poussées droitières, les générations actuelles ayant oublié Salazar et Franco. Alors que cache la politique «nataliste» de Macron au moment où il semble prêt à aller guerroyer au delà des frontières du pays, ou à travers le cyberespace ? Lui seul le sait mais on peut s’inquiéter de le voir s’afficher dans des postures belliqueuses que ne renierait pas… Poutine. Loin d’être un idéologue, il est souvent plus proche d’un autocrate quand on observe la centralisation de son pouvoir, et on connaît ses pensées conservatrices.
En Asie et Océanie, il y a des migrations que l’on ne voit pas d’ici. On en voit juste quelques signes lorsque l’on retrouve des philippins, des thaïlandais ou des vietnamiens comme otages d’un conflit ou comme esclaves. La Corée du Sud ou le Japon utilisent bien ce type de main d’œuvre mais restent encore avec des politiques d’immigration limitées. La délocalisation a été préférée jusqu’à présent car favorisant la richesse des groupes industriels. Aujourd’hui, c’est arrivée à un poids économique de la population âgée qui fait réfléchir même les partis conservateurs au pouvoir. Il n’y a encore que la Chine qui se tient à l’écart de ces flux et ces guerres, mais jusqu’à quand ? Car en interne aussi ce sont des migrations forcées qui ont transformé la Chine en ce qu’elle est avec la domination Han dans certaines des provinces. Officiellement, pas de guerre civile mais des révoltes sporadiques tout au plus. La rivalité avec l’Inde pourrait aussi transformer un jour la physionomie du monde. Tant que ce n’est pas une guerre …! Taiwan se pose déjà la question. Et l’Australie, pays issue de l’immigration, voit aussi des conséquences soudaines sur sa population dont le vieillissement commence à poindre.
Le monde moderne et sa facilité de voyager à fait évoluer les migrations, notamment pour les réfugiés issus de guerres et de l’insécurité. Si l’on se félicite parfois des échanges de denrées, on oublie que le trafic passager n’a fait lui aussi que croître, et pas seulement pour le tourisme. Parallèlement à cela, les mutations sociétales et environnementales provoquent un vieillissement de la population ou des modifications de densité de population (exode rural, notamment en Afrique). Ces confrontations plus directes des populations rendent le monde plus instable et suscitent la montée des nationalismes. Le paradoxe est que ces nationalismes poussent à des conflits qui provoquent de nouvelles migrations, entretenant un mouvement démographique plus important. Si les guerres sont le principal facteur de mutation de ce monde dans l’histoire de l’humanité, il est toujours étonnant de voir brandir des oriflames pour les provoquer chez les tenants de l’ordre et de la stabilité.