Cinéma - Civil War d'Alex Garland (2024)
Une fois de plus, voilà un film desservi par sa bande annonce, qui aurait du permettre de mieux comprendre le titre … à tiroirs. Car pour un États-unien, cela fait appel à la guerre civile autrement appelée guerre de sécession. Pour des personnes plus jeunes, on peut y voir aussi le manichéisme d’une lutte entre super héros (Marvel 2006-2007 Iron Man vs Captain America), ce que l’on peut traduire parfois comme une lutte entre patriotisme et pouvoir de l’argent. Raté, il fallait comprendre autre chose.
Oui mais le réalisateur, Alex Garland, est anglais, scénariste puis réalisateur de films de genre (SF, horreur), et a même travaillé pour l’industrie du jeu vidéo. Nous n’y coupons pas ici puisque c’est un film d’auteur…hollywoodien : Une histoire suffisamment commerciale mais l’envie de l’auteur passe aussi dans le scénario. Et cette histoire, c’est quand même bien un fond de guerre civile aux USA avec un président dictatorial qui fait un troisième mandat (!!?) et des états qui font sécession et veulent ainsi destituer le méchant. Je résume mais en fait on ne sait rien de l’avant guerre civile. Nous voilà balancé dans le conflit auprès de Lee (!?) une journaliste photo de guerre qui couvre un conflit dans son propre pays. La scène choc d’introduction, c’est celle d’un attentat qui fait se rencontrer Lee (Kirsten Dunst) et Jessie (Cailee Spenny), une photographe débutante dont on soupçonne que c’est le seul moyen de survivre ou exister qu’elle a trouvé.
Jessie est ambitieuse et si elle annonce être fan de Lee, c’est peut-être aussi par opportunisme. Mais dans ce métier, il en faut et il faut forcer le destin. Lee et son acolyte journaliste presse écrite Joël (Wagner Moura), croient faire le bon choix en partant pour Washington DC interviewer le président. Un ami vieux journaliste, Sammy (Stephen McKinley Henderson) essaye bien de les dissuader mais emprunte quand même leur gros SUV pour faire la route entre New York et le front de Charlottesville. Jessie parvient justement à les accompagner malgré l’opposition de Lee. Le film sera donc un road-movie… et pas un film de guerre. Mais on comprend assez vite qu’à travers les yeux de ces journalistes voulus comme neutres, nous sommes convoqués dans un film qui fait abstraction de la situation politique.
Les choix de Garland ne sont pourtant pas anodins, à commencer par le déroulé de cette guerre qui ressemble étrangement aux premiers mois de celle de sécession, en inversé pour les idéaux, avec les sécessionnistes qui ont la puissance militaire et le savoir faire et progressent assez vite vers la capitale fédérale. On comprend aussi que le «story telling» du pouvoir ne parvient pas à masquer la réalité de la situation, parce que justement il y a des témoins oculaires que sont les journalistes. Dans cette fusion des périodes historiques, Garland inclut le traitement de la guerre du golfe et la tentative de maîtrise des images par l’armée, mais aussi des conflits plus récents aux images cauchemardesques. Il inclut aussi d’autres films comme la chute du Faucon noir, par exemple et peut-être aussi de son experience vidéoludique. Le sujet principal va être que les journalistes se retrouvent dans un conflit qui les touchent en plein cœur et ils ne peuvent se détacher comme ils le font dans les autres conflits. Cette fois il y a plus d’affect.
Comment témoigner de l’horreur de la guerre ? Comment être témoin sans avoir envie d’intervenir ? jusqu’où montrer la barbarie ? Ressort-on normal d’une telle série d’horreur? Et quand un journaliste se fait abattre ? Ce sont autant de questions qui sont abordés par le film avec des réponses que l’on connaît si on s’intéresse à la question : Suicide de photo-journalistes, débats autour de photos devenues cultes ? Doit-on envoyer des journalistes au péril de leur vie ? Alex Garland tente de mettre un peu de tout cela dans son film et son histoire. Mais il faut garder un standard hollywoodien et donc de l’action en plus de cette tension inhérente au métier. Il y a des moments où l’on traverse de beaux paysages désertés sans autre son que la nature. Et pourtant le spectateur que nous sommes va penser que c’est le calme avant la tempête. Garland joue avec ces codes inscrits en nous pour que l’histoire aille au bout avec des rebondissements, des twists. C’est très joliment filmé et mis en scène avec une photographie de Rob Hardy qui n’est pas celle d’un film de guerre en dehors de la scène finale. Garland garde d’ailleurs son équipe technique habituelle. La bande son est assez variée pour se faire oublier quand il le faut et être plus légère par ailleurs.
Le problème de ce film est celui de la promesse non tenue. Avec ce titre et cette bande annonce, on est bloqué sur un scénario d’anticipation politique qui serait du genre Amérique de Trump dans 10 ou 15 ans. Mais c’est plus un hommage au photojournalisme et au journalisme de guerre que l’on a affaire. Cela me va bien personnellement et j’ai vu pas mal de clins d’œil intéressants. Mais à trop se concentrer sur l’image, Garland en oublie la crédibilité de son scénario, surtout sur la scène finale. Les puristes du film de guerre vont forcément tiquer sur le déroulé où même un film récent avec Gerard Butler paraît plus crédible. Cela montre finalement que le cœur du sujet n’est pas forcément le pays mais le lien entre la guerre et ….ces civils que sont les journalistes qui accompagnent les combattants au plus près. Ce sont ces même journalistes qui retranscrivent des actualités moins barbares ou plus légères avec comme outils la plume et l’appareil photo / la caméra. En interrogeant cela, Garland vise-t-il à questionner ce que l’on pense d’une même personne selon le contexte ? Le film est réussi dans sa globalité mais ne parvient pas à aller assez loin sur ce sujet complexe. Pour avoir vu des journalistes de guerre français(e)s s’immiscer en politique nationale, j’ai vu ma propre réaction quand j’ai découvert que la neutralité affichée dans un conflit ne l’était plus dans un tel sujet et en regardant d’un autre œil ensuite les images de guerre.
J’avais traité récemment de Stanley Greene, personnage complexe parmi les photographes de guerre. Il avait parlé des liens tissés avec des belligérants parfois, de la partialité de son témoignage et de ce qui le minait. Il y a un peu de cela dans le personnage de Lee, très bien interprété par Kirsten Dunst mais aussi chez Joël. Il y aussi du jeune Stanley et de tant d’autres jeunes photographes dans le personnage de Jessie. Je préfère finalement garder cet aspect du film qui risque d’échapper aux spectateurs, plutôt que des scènes d’action qui révèlent le monstre caché dans l’humanité.