BD - Tout seul de Chabouté (2008)
Pas besoin de mots pour donner une émotion. Et ça fonctionne aussi dans l’art de la BD. Surtout quand on a Christophe Chabouté à la manœuvre.
Un phare au milieu de nulle part, sur un rocher. Un ravitaillement toutes les semaines par un chalutier. C’est qu’il y a quelqu’un alors ? Et on apprend que depuis 50 ans, un homme vit seul, depuis la disparition de ses parents, coupé du monde. Seul avec lui-même et des mots dans un dictionnaire pour imaginer le monde extérieur qu’il n’a jamais vu. C’est aussi qu’il a un secret.
Près de 400 pages dans un noir et blanc profond. Des répétitions comme ce goéland qui revient voler et se poser sur le phare, ou encore l’homme qui pèche inlassablement pour se nourrir, le rituel des deux colis posés sur la jetée. Le silence ou le bruit de la mer, des vagues qui frappent les rochers. Et ce bruit de chute que l’on ne comprend pas. C’est celui d’un lourd dictionnaire que l’on jette sur un bureau, qui s’ouvre au hasard et d’un mot que l’homme choisit, apprend, imagine avec parfois la naïveté de l’enfant. Ce sont des instruments de musique dont il pense la forme en fonction des mots du dictionnaire, un brin surréaliste, souvent poétique.
Pour sortir de cette monotonie, il y a donc ce bateau, les deux marins qui sont les seuls à parler. Il y a quelques visiteurs autour du phare mais il garde son mystère, immuable malgré le déchaînement du temps. Les marins ont aussi leurs secrets, leur pudeur et leur modestie face à tout cela. Et combien d’allers et retours ainsi, de colis que l’on voit dans des chapitres en nous demandant ce qu’il y a dedans mais aussi quel mot va apparaître ensuite dans le dictionnaire. On découvre enfin le visage de l’homme, sa vie, l’intérieur du phare, ses envies, ses rêves, ses angoisses. Plus qu’un album, une expérience aussi, parfois un jeu que l’on aimerait faire nous même et ne pas oublier l’enfant que nous étions, que nous sommes parfois encore.