Cinéma - Le Marchand de Sable de Steve Achiepo (2023)
Il est toujours agréable de découvrir un film lors d’une avant-première avec présence de l’équipe du film. Mais c’est encore mieux pour un premier film sur un sujet fort comme ici le mal-logement.
Voilà bien un sujet d’actualité, universel puisque selon le dernier rapport de la fondation Abbé Pierre, ce sont au moins 4 Millions de personnes qui sont mal logées dans ce pays. Et même jusqu’à 12 millions si on compte les problèmes d’impayés, le surpeuplement, l’impossibilité de se chauffer. Alors ce film commence sur un évènement politique passé : La guerre civile en Côte d’Ivoire suite aux élections présidentielles entre Alassane Ouatara et Laurent Gbagbo. Elle mit sur les routes de l’exode des centaines de milliers de personnes…personnes qui trouvèrent refuge dans de nombreux pays, dont la France après un périple parfois dramatique. L’histoire du film commence quand une tante vient trouver refuge auprès de la famille installée en banlieue parisienne. Le réalisateur-acteur est de Cergy-Pontoise et a pris pour cadre différentes villes de cette banlieue nord et ouest de Paris.
La tante Félicité (Aïssa Maïga) fait la rencontre de son neveu Djo (Moussa Mansaly) lors de l’anniversaire de la mère de Djo, Elle espère trouver refuge dans le petit appartement mais ignore déjà la situation précaire de la famille. Djo est séparé d’Aurore (Ophélie Bau), travailleuse sociale, et partage la garde de sa fille une semaine sur deux. Mais dans l’appartement, des oncles ont aussi trouvé refuge, déplaçant chaque soir les matelas dans le petit salon du 3 pièces HLM. Djo travaille pour «Le Colonel» dans une entreprise de livraison. L’arrivé de la tante Félicité et de ses trois enfants, dont Augustine, sa fille albinos, va bouleverser cet ordre déjà fragile. Djo fait héberger Félicité grâce au colonel mais ignore les activités de marchand de sommeil de celui-ci…
Le film pose beaucoup de bonnes questions à commencer par «Que faire de ces réfugiés ?». «Comment prioriser les situations ?». «Pourquoi manque-t-on autant de logements?»… Djo a été confronté au racisme lorsqu’il cherchait un logement pour lui-même, risquant même de perdre la garde de sa fille du fait de son mal-logement. Son ex-compagne est à bout, de solutions, d’énergie, pour ceux qu’elle doit aider… Et pourtant, en dehors de ces ivoiriens réfugiés, ce sont aussi des réfugiés ou expulsés de toutes parts qui affluent dans les centres. Le personnage de Djo essaye une solution en croyant utiliser les marchands de sommeil qu’il rencontre pour faire le bien… Mais la cupidité des uns et le danger des logements insalubres sont bien réels. Le film est réaliste, violent dans sa manière de montrer la réalité mais il faut cela pour comprendre. Djo essaye d’aider, sans se soucier des origines ou couleurs de peau, bien loin de tout aspect politique opportuniste ou du sensationnalisme. La priorité, c’est d’avoir un toit et ne pas rester dehors.
La présence du réalisateur et de l’acteur principal ont permis de poursuivre le débat entamé par le film. Il y avait aussi un homme dans la salle qui a perdu une petite soeur suite à un incendie dans un appartement géré par un marchand de sommeil. Il fait une marche blanche le 19 février à Garges les gonesse. Il voyait le film pour la première fois et a été bouleversé par ces images. Des travailleurs sociaux étaient aussi présents dans la salle. Ils témoignaient du réalisme du film dans le traitement de ce problème. Un film bien servi par son casting et le jeu des actrices et acteurs (à commencer par le charismatique Moussa Mansaly), même les plus jeunes. A noter aussi une photo qui ne verse pas dans la grisaille ou la froideur à outrance pour apporter des notes de couleur, de lumière ou jouer sur les ombres, tout comme la musique ne sombre pas dans la caricature en étant ni larmoyante ni exclusivement d’Afrique de l’ouest. Le réalisateur n’a pas parlé de sa propre enfance ici mais s’est retrouvé confronté à ce sujet quand il était agent immobilier, avant de devenir acteur puis réalisateur. C’est en allant voir associations, politiques ou proches qu’il se rendit mieux compte de la situation dramatique du logement dans ce pays et décida d’en faire le sujet de son premier long-métrage. Il y réussit très bien, malgré les conditions de tournage (période Covid) et le budget limité. Il y a du dramatique, évidemment, mais on entrevoit aussi la lumière dans ce film profondément humain et sans manichéisme. Même les pires personnages peuvent montrer de l’humanité quand d’autres «gentils» montrent leurs propres limites. Et c’est bien là toute la complexité du sujet. Alors on peut avoir de la colère, de la tristesse en voyant ces drames qui se basent sur des faits réels. C’est bien aussi un des buts du cinéma.
Lors de la prise de parole après le film, Steve Achiepo parlait de ce qui provoque ici le drame, un conflit d’égo et de pouvoir entre deux politiciens, et de l’absence de réponse politique au drame humain qui en découle. C’est souvent dans la politique que l’on trouve la source du/des problème(s), surtout quand aujourd’hui on diminue les budgets alloués au logement, à la politique de la ville et qu’on laisse pourrir une partie du parc immobilier. Une “simple” affaire de choix et de priorité, comme d’autres sujets d’actualité. Un homme dans la salle parlait des gymnases ouverts lors de la crise syrienne puis de la crise ukrainienne. Mais entre ces deux conflits, d’autres faisaient moins l’actualité et on n’ouvrent pas toujours les logements vacants pour toutes les victimes de conflits sur fonds économiques ou politiques. Le film ne donne pas plus de solution que l’on en trouve aujourd’hui, sinon l’inévitable système D, avec ses difficultés et ses dangers. A voir donc pour éveiller les consciences ou mieux encore appréhender le sujet dans 4 jours dans les meilleures salles, surtout d’art et d’essais selon le distributeur présent dans la salle. Il paraîtrait que quand on est gaulois et qu’on a de la potion magique, ça passe mieux dans les multiplex…A vous de faire le bon choix.