Littérature - La Leçon du mal de Yûsuke Kishi (2008-2022)

Il y a des livres qui donnent la nausée à la lecture, qui frappent par leur noirceur mais dont la lecture est étrangement facile. Ce roman japonais est de ceux-là, avec ses particularités sociales. Ah, j’oubliais, ça se passe dans un lycée japonais !

Pas de “Battle Royale” ou de “Squid Games” pourtant. Nous sommes bien dans un roman noir et pas dans un manga pour adultes ou adolescents. Dans l’accroche du livre, on parlait d’“American Psycho” de Bret Easton Ellis. Et effectivement, il y a aussi une histoire de tueur psychopathe dans cette histoire. Mais celui-là est un banal professeur de lycée, Monsieur Hasumi, particulièrement apprécié de ses élèves et de sa hiérarchie. Il a hérité cette année de la 1ère 4, celle des pires cas de cette école, dit-on. Il faut remettre à l’échelle d’un lycée japonais puisque ici pas d’armes à feu, mais plutôt du harcèlement et du racket, quelques têtes de turcs, des “cas sociaux” dirait-on.

Hasumi paraît être l’exemple du professeur soucieux de ses élèves, de leur bien-être. Un peu trop sans doute. Mais peu à peu, l’auteur nous dévoile la personnalité de ce manipulateur né. Il nous dévoile aussi les habitudes assez étranges pour nous français avec des salles dédiées au dialogue, prévenant en principe des abus de pouvoir. Il nous dévoile les relations hiérarchiques et sociales, le fait qu’il y ait une psychologue et une infirmière. N’oublions pas aussi que c’est le pays ayant le plus fort taux de suicide, pas que pour des raisons culturelles mais aussi pour une pression à la réussite. Ici, ce lycée n’est pas dédié à former une élite particulière ou un lycée poubelle. Non, c’est un lycée normal. Mais alors, qu’est ce qui a pu pousser ce brillant diplomé d’une université américaine à revenir enseigner ici l’anglais ?

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Une fois que le lecteur a la certitude d’assister à un plan machiavélique d’un tueur en série de la pire espèce, il se demande le but de tout cela et surtout ce qui peut arrêter cette machine infernale. Car Hasumi semble être comme une machine, appliquant des plans, sans le moindre sentiment ou plutôt si, mais sans la moindre empathie pour ses semblables. Derrière ce roman noir qui semble pousser le pire un peu plus loin à chaque page, il y a aussi une critique de ce Japon et de cette excellence poussée au paroxysme qui finit par déshumaniser les fonctions. A coté d’Hasumi, il y a une galerie de personnages de profs et du corps enseignant qui couvre largement le spectre des personnalités. Il y a ceux qui furent embauchés à une époque de manque de personnel, sans l’envie ou les diplômes. Il y a ceux qui mettent leurs convictions en avant. Il y a les carriéristes qui ne veulent pas faire de vague pour monter dans la hiérarchie.

Et puis évidemment, il y a les élèves dont la proximité avec les profs peut surprendre. C’est à la fois le maître mais parfois aussi une sorte d’ami, ou de grand frère, selon les cas. De là les emprises, les abus de pouvoir et autres scandales liés au sexe. Dans une des sociétés les plus patriarcales et où l’homosexualité reste aussi pudiquement sous le tapis, il y a beaucoup à dire. Yûsuke Kishi n’hésite pas à en mettre une couche sur ces aspects là. Le résultat à l’écrit ne serait sans doute pas montrable à l’écran tel quel (il a été adapté à l’écran par Takeshi Miike, réalisateur de “Audition”…). Un manga Seinen a aussi été tiré avec un autre point de vue. Ici traduit en français, c’est violent, cru comme peut l’être ce “héros” diabolique. On pense à une sorte de Dexter maléfique, pour les fans de série, un Hannibal Lecter, pour une autre référence littéraire. Car Hasumi est aussi un génie !

De là, forcément vient ce sentiment de nausée à la lecture. Ce qui maintient le fil avec le lecteur, c’est jusqu’où Hasumi veut aller…ou l’auteur ? Je ne m’imagine pas un jour pouvoir écrire pareil lignes avec la complexité du relationnel entre tous ces personnages et le réalisme de toute l’intrigue. Forcément, on s’interroge aussi sur cet état d’esprit pouvant conduire à un tel livre. Nous ne sommes pas dans du Stephen King ou du JC Chaumettes, pas plus que dans du Maxime Chattam, pour rester grand-public. Autant dire que pour certains de mes lecteurs ici, je dirais : Fuyez! C’est son premier roman alors forcément, on attend de voir ce que donnerait un autre livre. A moins que là aussi, il ne se fasse manger par le monstre qui est dans ce roman, son monstre.


Ecrit le : 07/04/2023
Categorie : litterature
Tags : roman,thriller,japon,romannoir,manipulation,2020s

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