Automobile - On va dans le mur
Les politiques des principaux états dans le monde vont à marche forcée dans la transition du parc automobile en véhicules électriques. Mais cette transition ne remet rien en cause sur nos modes de vie, bien au contraire.
En travaillant dans la conception automobile, on voit passer pas mal de véhicules dans des tests dits «anti-pollution» et maintenant des tests d’autonomie et consommation électrique. De quoi avoir une idée des consommations électriques des véhicules en réel et sur bancs d’essai, mais aussi des temps de charge. Dans la vie normale, peu de personnes habitent près d’une borne de charge rapide ou sont assez riches pour en avoir une chez soi, ou pour se payer régulièrement une recharge en dehors de chez soi. On a donc des recharges par ce qu’on appelle communément des «Wallbox» à la puissance maximale de 22kW, mais le plus souvent on rencontre du 7 ou du 11kW. Pour donner une idée de ce que ça représente, EDF recommande une offre 9 à 12 kVA pour pouvoir assurer la recharge en même temps que le reste pour une borne 3 à 7kW. Et forcément, si on veut passer à 11kW, il faut du 15kVA, et même du 30kVA pour une très rare 22kW. Cela fait augmenter le prix de l’abonnement annuel à comparer au 3kVA à 110 euros que beaucoup de foyers ont :
- 179 Euros pour un 9 kVA ou 216 Euros pour un 12 kVA donc pour une recharge à 7 kW -> +78 Euros
- 250 Euros pour un 15 kVA donc pour une recharge à 11kW -> +140 Euros
- 430 Euros pour un 30 kVA donc pour une recharge à 22kW -> +320 Euros
EDF recommande d’ailleurs une offre heure pleine / heure creuse pour minimiser l’impact car évidemment, il faut rajouter tous les kWh consommés à le note.
Pour mieux comprendre la problématique, il faut regarder la taille des batteries des véhicules électriques il y a 3 ans, celle en moyenne aujourd’hui sur les meilleurs et celles que l’on aura demain. En effet, la densité énergétique (la capacité de la batterie par unité de poids ou de volume en Wh/kg ou Wh/m³ ) va progresser d’année en année. On peut dire qu’on est passé de 45kWh de capacité à 75 kWh aujourd’hui et on visera probablement les 100 à 120 kWh demain. Car on observe par ailleurs une augmentation de la consommation de véhicules toujours plus gros et lourds, même en faisant abstraction de la batterie. Si on avait du 14kWh/100 km au mieux avant, maintenant on tape plus sur du 17 à 18 kWh/100 km et même du 22 ou 25 kWh/100 km sur les plus gros SUV (même si la Tesla Model 3 va plutôt dans le sens de l’optimisation). Et ça nous donne donc des temps de recharge qui évoluent :
- 45 kWh se rechargeaient en 6H30 en 7kW, 4h en 11kW, 2h en 22kW
- 75 kWh se rechargent en 10h en 7kW, 6h45 en 11kW, 3h40 en 22kW
- 100 kWh se rechargeront en 14h en 7kW, 9h en 11kW, 4h50 en 22kW
Pas de panique tout de suite. Car on ne fait jamais une charge complète (sauf lors des tests officiels), et au delà de 80% de capacité, la recharge est plus lente, or on ne décharge jamais totalement jusqu’au mode appelé «Tortue» dans le milieu. Mais a moins que l’on soit un gros gros dormeur, il y a quand même peu de chance que la nuit dure plus de 9h, donc les 100kWh seront l’extrême limite de ce que l’on pourra faire chez soi à un tarif encore accessible. Aujourd’hui, une Tesla S, orientée premium a déjà 100 kWh comme les gros SUV électriques allemands. Les Trucks Etats-uniens sont déjà au delà, voire déjà au double, car pour eux, la solution est déjà dans les superchargers à plus de 150 kW de puissance (sauf qu’il n’est pas recommandé d’en abuser pour préserver la chimie des batteries). On peut regarder ce que ça donne ?
On a par exemple en Europe le réseau Ionity des constructeurs allemands, qui facture l’accès à 11,99 euros par mois pour avoir le tarif de 0,39 Euros/kWh en France (c’est plus en Allemagne) avec en théorie 350kW (la réalité c’est que les bornes sont en mauvais état). C’est 0,59 Euros/kWh sans l’abonnement. Chez soi en tarif bleu on est à 0,23 Euros/kWh et 0,17 Euros/kWh pour heures creuses. Chez Tesla, le tarif est de 0,61 Euros/kWh. Si on prend une moyenne plutôt basse de 750 km/mois avec une consommation de 18kWh/100 km, ça donne donc 135 kWh/ mois :
- En Ionity passport, ça revient à 65 Euros
- En Ionity sans abonnement ça revient à 80 Euros
- Chez soi, ça revient entre 23 et 31 euros plus l’abonnement entre 6 et 12 Euros de surcoût par mois, soit entre 29 et 43 euros
- Chez Tesla (qui n’est plus gratuit) ça revient à 82 Euros
- Sur une berline thermique plutôt économique, on est autour de 75 euros/Mois !
L’argument économique de la voiture électrique tombe peu à peu (surtout si on fait de l’autoroute où le coût de revient en borne est prohibitif car la consommation augmente de 40%) et c’est bien dommage. Reste la réalité du terrain, c’est à dire que sans modification profonde de l’aménagement du territoire, on continuera à avoir besoin d’une voiture électrique. Et c’est bien pour ça que l’on va dans le mur, car la consommation ne diminue pas et le temps de charge va devenir un problème sans évolution tarifaire. A l’ère de l’inflation sur l’énergie, peu de chance que ça change. C’est une fois de plus ce capitalisme qui pourrit l’idée. Imaginons une offre réellement optimisée et bien répartie pour répondre aux modes de vie et ça pourrait déjà fonctionner. Quelques éléments peuvent toutefois nous rassurer, comme la présentation récente de prototypes très réalistes chez Mercedes et BMW visant des consommations moindres sans augmenter la taille batterie. Tesla semble aussi aller dans ce sens après les années «dragster». Ce n’est pourtant pas le seul problème.
Imaginez une personne vivant dans une zone de banlieue, dans un appartement d’un complexe HLM. Aucune chance d’avoir une borne à sa place de parking et donc, il lui faudra passer par des bornes qui lui augmenteront largement le coût de la vie, ou alors profiter de promotions, de bornes à bas prix loin de chez soi… Un ménage moyen en maison verra aussi son abonnement électrique augmenter de 80 à 120 euros, voire plus. La tendance va vers une scission du marché entre des véhicules électriques premium, lourds avec d’énormes batterie pour accès aux luxueuses bornes rapides, et des véhicules électriques low cost, cantonnés au péri-urbain par la capacité de la batterie et du chargeur. La chimie elle même va dans plusieurs directions sur les composants de batterie. On parle de diminution de poids pour les batteries solides, on parle de temps courts pour des batteries à la densité moins élevées et moins chères, et vice versa. Il faudrait bien au contraire travailler sur ce qui est le plus complexe : le poids, le rendement des composants électriques, des roulements, l’aérodynamisme, … soit tout ce qui coûte en conception, et l’adaptabilité aux modes de vie car on a clairement pas besoin des monstres de 2 tonnes que l’on nous vend aujourd’hui. La première adaptabilité serait de se passer d’automobile, ce qui revient à ce que je n’ai peut-être plus de boulot. Mais si c’est pour faire aussi des vélos, scooters et autres trottinettes dont la durée de vie des batteries et moteurs n’est pas pensée pour être trop longue (de 2 à 5 ans pour un vélo), cela n’est pas non plus une bonne solution.
Si je voulais résumer cet amas de chiffres, je pourrais dire que si on continue sur notre lancée, la voiture sera un outil anachronique (ne l’est-elle pas?) réservé à une élite. On s’en va vers des véhicules incapables d’être rechargés chez nous durant nos heures de repos, même si l’on considère qu’une bonne charge n’est toujours que partielle. On va vers des bornes difficiles à maintenir à pleine capacité sur toutes les stations du territoire. On va surtout sur des demandes de puissance dans le réseau qui ne sont pas compatibles avec les problèmes vécus cet hiver sur le parc de centrales françaises. Le marché d’aujourd’hui est encore balbutiant ce qui fait que la demande de MW sur le réseau a pu diminuer. Mais demain, sur un parc renouvelé à 60%, qu’en sera-t-il ?
RTE en prévoit 7,3 millions en 2030, et le parc d’aujourd’hui est de 40 millions de véhicules (source d’un lobby pronucléaire). L’étude de ce lobby estime alors le besoin à 20 TWh en 2030 et à terme (2050) à 80 TWh de plus qu’aujourd’hui qu’il faut convertir en puissance de production. Cela deviendrait largement le premier poste de consommation électrique du pays en transport, très loin devant le ferroviaire (10 à 15 TWh). Si on tient compte des pertes du réseau et du fait que l’ensemble du parc ne demande pas d’énergie en même temps, cette étude estime cela entre 3 et 4 réacteurs EPR…dont l’exploitation est sans cesse repoussée et la construction même pas entamée pour les prochains. Une course contre la montre et je parie que le besoin, même décalé, sera plus élevé du fait de l’évolution du parc depuis cette étude (qui prend quand même une consommation de 20 kWh/100km en moyenne contre 18,6 chez RTE). Elle ne tient en effet pas compte d’un besoin accru de superchargers mais d’une recharge domestique assez peu puissante. Venant d’un lobby pronucléaire et proscience, le but n’est évidemment pas de pousser à la diminution de la consommation, eux qui parlent d’écologie raisonnée. Je ne suis pas le seul à le dire, comme vu dans cet article.
Mais malheureusement, d’autres postes de notre consommation électrique n’évoluent pas non plus dans le bon sens. Il y a le remplacement des chauffages au fuel et au gaz qui peut affecter le réseau, comme l’augmentation des climatisations, à peine compensé par la réduction des passoires thermiques dans le parc immobilier et le changement des vieux convecteurs électriques. Il y a l’industrie du numérique et des réseaux qui a sa part aussi. Ce n’est donc pas seulement 3 ou 4 réacteurs qu’il faut et les 6 prévus, plus l’augmentation du solaire et de l’éolien ne seront pas de trop pour combler nos appétits énergétiques toujours croissants. Pourtant, cette baisse potentielle d’émissions de CO2 est urgente. Il y a donc à parier que l’augmentation du parc de véhicule électrique soit parfois jugulée par des baisses des aides si cela allait trop vite, ou des augmentations si cela allait trop lentement pour l’industrie automobile et les impératifs politiques. Cela devrait nous faire réfléchir, nous consommateurs, à l’utilisation raisonnée de nos moyens de transports et au choix de ceux-ci, justement. L’offre continue pourtant d’être vers des SUV très rentables pour les constructeurs mais peu rentables sur la consommation électrique (+15 à 30% même si une Tesla Y propulsion peut faire mieux que des berlines). La balle n’est plus seulement dans le camps politique mais aussi industriel et citoyen.