France - Pourquoi ce 1erMai unitaire est inutile ?
“Ou comment Macron a encore mieux joué que les travailleurs”, aurais-je pu sous-titrer. Ça me coûte de le dire, mais ce s**d, en ne faisant pas grand chose, a quand même bien analysé notre pays et en profite.
On peut déjà remonter à ce qui amena Sarkozy au pouvoir, puis Hollande puis Macron. Pourtant, le mal est plus lointain. Il faut regarder le syndicalisme en France et ce que sont devenues les manifestations, ainsi que les forces de l’ordre. De ce rapport de force et son évolution dépend la situation d’aujourd’hui. Les travailleurs ont laissé lentement dériver les mouvements protestataires en charmantes kermesses tandis que le pouvoir confisquait peu à peu les effets de la grève, tout en appauvrissant l’image des syndicats.
Le graphique au dessus représente l’évolution du syndicalisme en France. On voit qu’après le choc pétrolier, c’est une lente descente aux enfers après un sursaut en 1968. La bosse de 1995 n’était qu’illusion, et la victoire de la gauche en 1981 a même cloué le cercueil. Il n’y a plus de représentation des travailleurs crédible aux yeux des salariés. Pour comparaison, l’Allemagne était à 24% en 2000, soit le niveau de la France en 1950 !! Par contre il y a une baisse très nette qu’on peut imputer au début des lois Hartz vécues comme des trahisons. Les conquêtes syndicales ont été absentes en France. Dans les années 70, c’est la fin de la sidérurgie, des mines, du monde ouvrier. En prenant des éléments des syndicats dans le programme de 1981 à 1983, Mitterrand a paradoxalement poursuivi la désintégration du syndicalisme français qui ne pèse plus dans le débat.
Je me souviens de mon grand père qui trouvait les manifestations syndicales ridicules et molles. Pour lui, la lutte syndicale des années 30 avait été violente. Et s’il s’était écarté de ce mouvement, c’est pour l’avoir payé assez cher et pour le poids du PCF stalinien là dedans. Lycéen puis étudiant, j’ai pu juger aussi du manque d’efficacité de tout cela, puis ensuite dans les lois sur les retraites adoubées souvent par une CFDT qui faisait plus dans le conservatisme que le réformisme dressé en étendard. Le grand-père avait prévu l’aspect capitalisation et toute la destruction graduelle du modèle social. J’ai fréquenté assez des représentants du personnel pour voir qu’il y a un problème de fond : Compromission ou Opposition systématique sur fond de division. Le patronat ne peut être que gagnant.
Mais comme si ça ne suffisait pas, il fallait aussi tuer ce qu’il restait d’efficacité par des entailles dans le droit de grève. Sarkozy et ses sbires le firent avec la SNCF, la RATP en demandant des services minimums, des délais etc..Puis ensuite l’arsenal répressif de la police s’est aussi durci puisqu’en face les syndicats ne représentant plus grand chose, les services d’ordre non plus. On a vu des doctrines issues parfois d’anciens pseudo-syndicalistes étudiants s’imposer avec les fameuses nasses, le ridicule étant notamment une manif qui faisait tourner en rond les manifestants dans un espace clos. Pendant ce temps, l’expression démocratique fut aussi confisquée (référendum sur la constitution européenne) sans que la moindre révolte se fasse. La force et la violence montrèrent pourtant quelque efficacité lorsque ce furent les bonnets rouges ou la FNSEA, faux syndicat agricole à la solde des puissants de l’agro-alimentaire. Les lois travail de Macron ministre continuaient aussi de diminuer l’influence syndicale dans les entreprises et déjà la protestation était vaine.
En fait, les avancées syndicales sont toujours un mélange de négociation et d’actions de blocage et de violence. Nos voisins allemands se sont fait avoir sur les lois Hartz mais leurs syndicats restent puissants pour être capable de bloquer un pays ou une filière industrielle. Par contre, l’exemple Thatcherien anticipait de quelques décennies ce que nous subissons aujourd’hui. Le blocage devient néfaste à un mouvement pacifiste si l’environnement est la pauvreté. Il ne devient efficace que s’il pèse sur le résultat des grands groupes. Aujourd’hui, aucun groupe n’a vu des mouvements syndicaux véritablement bloquants (Total ?? ils ont une réserve et peuvent même se permettre des ristournes pour tuer la concurrence). Et l’exemple de la sidérurgie devrait nous le rappeler. Nous l’avons oublié et avons même regardé les entreprises fermer dans l’indifférence, jusqu’aux équipementiers automobiles. Tout ça parce que l’individualisme des 30 glorieuses a pris le pas sur la solidarité des travailleurs.
Tout le monde se regarde aujourd’hui, attendant je ne sais quel signe pour se joindre à un mouvement de grève. Les syndicats de l’intersyndicale sont dans l’unité du compromis mais sans se répartir les actions selon les habitudes de chacun. Soit, la CFDT n’est pas habituellement dans le blocage mais dans des compromis (et même la trahison si l’on reprend au moins 30 ans d’histoire). Mais qu’au moins sur un but commun tous les moyens soient mis en œuvre… Macron savait bien que ce ne serait pas le cas car reconnaissons lui au moins le mérite de savoir jauger certaines personnes. N’ayant rien à perdre dans ce quinquennat, il avait profité de quelques crises pour accentuer encore la partie répressive afin de trouver le bon moment, pure application de la théorie des chocs. Une parfaite analyse de la machine de la 5ème république et une stratégie de division. La filière logistique a été particulièrement absente, du fait de négociations particulières, par exemple.
J’en entend souvent se gargariser de la maturité politique du peuple français. FAUX. Il suffisait de discuter en 2017 pour s’apercevoir que personne n’avait décodé ce qu’allait faire Macron, à part quelques uns que l’on n’entendait pas. J’entendais encore hier un comédien parler de “Oui mais il était ministre de Hollande alors on a cru qu’il était de gauche”…Avec un peu de maturité et de connaissance, on savait qu’Hollande n’était pas de gauche et surtout un piètre secrétaire général du parti socialiste. Mais lui aussi un opportuniste manipulateur qui laissa Martine Aubry remettre la machine en marche pour lui. Je ne suis pourtant pas convaincu qu’une victoire de Royal ou Aubry aurait changé grand chose car le PS était rongé de l’intérieur depuis longtemps (Cf Dray, Cambadellis, Valls, Le Guen, DSK….).
Cela fait un moment que je me dis que l’après manifestation aurait déjà du être enclenché. Mais avec une inflation galopante et entretenue artificiellement, on pense plus à sauver sa peau que jouer collectif. La peur de la répression policière fait le reste sur les quelques mouvements un peu durs, même si les syndicats font casser cela par décision de justice. Et donc, même s’il y a partout la volonté d’en découdre et le ras le bol, l’étincelle reste éteinte.
C’est évidemment un jeu dangereux et qui le sera encore plus en 2027 puisque maintenant c’est ce qu’il faudra attendre dans ce pays à la constitution déréglée par le quinquennat. Dans l’hypothèse RN au pouvoir, il y aura la violence de l’antifascisme puis la violence de la désillusion qui suivra dans l’exercice du pouvoir. Dans l’hypothèse bloc libéral, cela sera encore pousser le curseur plus loin jusqu’à l’explosion. Et dans la peu probable hypothèse de gauche radicale, cela serait un autre type de blocage économique pour un virage à la 83. Renverser la table c’est bien, mais encore faut-il assez de convives autour.
On peut me trouver pessimiste, un peu aussi parce que je suis dans une municipalité de droite où la jeunesse ne se mobilise plus pour rien et ne pense qu’à son petit confort individuel. C’est justement ce qui fit la différence dans les précédents mouvements de protestation et qui ne se fait plus. Il y a comme un désenchantement sur l’avenir, l’écologie qui n’est pas sans rappeler le no-future punk de l’Angleterre où Thatcher s’imposa. Tout est une histoire de cycles mais on est un peu au creux de la vague dans un monde qui ne nous attend plus. J’arrive à un age où je peux ranger quelques illusions dans la poche et tenir les discours qu’on me tenait il y a 30 ans. Maintenant, ce n’est plus moi qui ait le jeu en main. Ce ne sont pas quelques quarante ou cinquantenaires militant sur les marchés qui réenchanteront cette frange de la population désintéressée de la politique, des syndicats et même de son futur.