Cinéma - Plan 75 de Chie Hayakawa (2022)
Imaginez que l’on autorise l’euthanasie à partir de 75 ans. C’est sur ce postulat que se base ce premier long-métrage de Chie Hayakawa. Et dans un futur proche…
Si le film prend place au Japon, ce n’est pas un hasard. C’est le pays ayant la plus grande espérance de vie, mais aussi confronté à un vieillissement de sa population. (Des projections envisagent un retour au niveau de l’ère Meiji en 2100). La réalisatrice et autrice du scénario (avec Jason Gray) situe cela dans un futur proche en imaginant que le “poids” du 4ème age (mais aussi des personnes pauvres) pour la société japonaise devient insupportable pour les “jeunes”. Jusqu’à ce qu’ils commettent des meurtres et attentats (comme le massacre de Sagamihara en 2016). Mais comme le rappel un personnage dans la scène choc d’introduction, il y a une tradition de sacrifice pour la société au Japon.
Ainsi voit-on le personnage de Michi (Chieko Baishô) bien accueillir la proposition. Elle a plus de 75 ans, n’a aucune famille ou enfants, travaille encore comme femme de ménage dans un hôtel et son immeuble va être détruit. Le jeune Hiromu (Hayato Isomura) travaille pour cette organisation baptisée “Plan75”. Il “recrute” des volontaires à l’Euthanasie, rappelant que le gouvernement donne 100 000 Yens (environ 800 Euros) pour cet acte de sacrifice. Il est motivé et efficace dans son travail, son stand étant parfois installé à coté d’une “soupe populaire”. Jusqu’au jour où il y reconnaît son oncle. Et puis il y a Maria (Stefanie Arianne), une aide soignante philippine en maison de retraite qui doit soigner sa fille malade, restée au pays. Elle accepte un boulot mieux payé : Enlever tous les bijoux, montres ou ceintures aux cadavres des volontaires !
Pendant près de 2h, la réalisatrice montre méthodiquement ces trois points de vue qui se complètent et la mise en place de cette machine implacable appelée Plan 75. Tout paraît si parfait, idyllique au point que le spectateur peut adhérer totalement au concept. Après tout, à quoi bon vivre pour souffrir, ne plus avoir de quoi survivre, manger, se distraire, etc…Il y a même un numéro d’écoute pour les volontaires, tout au long du processus. Oui mais voilà, derrière la façade, il y a la réalité, cette froideur du dispositif mais aussi les failles du Japon, un Japon bien actuel, là. On automatise la santé avec des robots, l’aide sociale n’est pas accessible, les personnes âgées doivent continuer à travailler pour vivre…jusqu’à en mourir, etc. Un tableau qui rappelle finalement la dérive d’autres pays plus occidentaux. Le Japon est un pays converti au libéralisme, avec un parti (le PLD) quasiment toujours au pouvoir depuis 1945 et une société très patriarcale depuis l’ère Meiji qui le modernisa. C’est aussi l’un des pays où la dette publique est la plus importante par habitant, même si elle n’est pas sous l’emprise de puissances étrangères comme ailleurs. Alors le film ne s’appesantit pas sur des éléments trop japonais tout en s’en nourissant.
A travers cela, la réalisatrice rend son sujet plus universel. Il y a évidemment le sujet de l’euthanasie et la fin de vie, au moment même où le réalisateur Jean-Luc Godard a choisi de partir par mort assistée en Suisse. Le sujet est complexe et si on peut adhérer au concept de Plan 75 ou quelque chose de similaire, on voit que toutes les dérives sont possibles. L’humain s’arroge pourtant le droit d’euthanasier des animaux par millions lors d’épidémies potentiellement dangereuses…surtout si elles sont dangereuses pour sa santé ou son porte-monnaie! Mais l’humain ne permet pas à ses semblables de décider d’eux-même. La fin du film aura diverses interprétations, d’ailleurs. On peut croire à une critique de l’idée même d’Euthanasie comme on peut y voir une critique sociale de ce Japon qui oublie ses fondamentaux. D’un autre coté, le système suisse a un coté élitiste avec aussi des sociétés privées, un accompagnement et un consentement auprès de médecins, etc. La question de l’euthanasie est particulièrement complexe dans le cas de personnes n’ayant plus la possibilité d’attenter à leur propre vie. Plan75 parle aussi plus largement de solidarité, de social à travers des personnes qui ont beaucoup sacrifiées dans leur vie, beaucoup données pour les autres et se retrouvent pourtant sans rien. Est-ce que la mort est la seule réponse ?
Il y a beaucoup de symbolique dans le film (rien que la scène où Maria jette les effets des morts rappelle l’horreur des camps…), de non-dits aussi avec la traditionnelle pudeur japonaise. La fin n’est-elle pas aussi interprétable de ce point de vue là ? Tout cela est magnifié par la photographie de Hideho Urata qui utilise lumière, couleurs mais aussi flou pour nous plonger dans l’histoire. Il faut aussi saluer l’interprétation des acteurs et actrices auxquel(le)s on peut facilement s’identifier ou retrouver de ses expériences. Le rythme, plutôt lent, permet à la fois de laisser du temps au spectateur de s’interroger soi-même sur le sujet mais aussi de ressentir la monotonie de cette vie si réglée. Un très beau film, sélectionné pour les prochains oscars, qui laisse venir les sentiments du spectateur avec autant de pudeur que les personnages.