Réflexion - En finir avec le "moins-disant"?

L’humain a bien des mauvais cotés qui l’entraînent à sa propre perte. Et si le capitalisme a accentué ce phénomène, il faut aussi regarder ce que l’on fait au quotidien.

La définition du Larousse : Personne qui, dans une adjudication, fait l’offre de prix la plus basse. Naturellement, lorsque l’on compare des offres, des produits, nous allons le plus souvent sur le moins cher, les autres éléments devenant secondaires. C’est particulièrement le cas dans cette époque d’inflation galopante. On fait ce que l’on peut avec ses moyens. Mais cela ne s’arrête pas à ce sujet, car on peut élargir à tout ce qui nous fait aller à la facilité et ne pas prendre le temps de l’analyse.

le moins disant dans nos achats

Comme dit précédemment, nous avons tous tendance à prendre le moins cher parmi des produits qui nous semblent offrir la même chose. Le temps de l’analyse, ça serait aller regarder d’autres éléments, à commencer par la fabrication, la composition, la provenance. Cela nécessite parfois des connaissances techniques, remplacées aussi par des signalétiques simplificatrices. Après tout, tout le monde ne sait pas ce que font les glucides non sucrés, les différents lipides, etc… Ou ce que sont les conservateurs, on bien les différents composants d’un téléphone, la taille de la mémoire, le type de processeur. On se fait parfois embarquer dans les boniments d’un vendeur, ou d’une jolie vidéo. Et en plus de cela, s’ajoutent maintenant des éléments éthiques et écologiques qui sont encore plus ignorés. Qui fabrique ou récolte le produit? Dans quelles conditions ? Où et comment est-il transporté?

Il faut être honnête, personne ne peut faire cela en permanence. Nous sommes faillibles et tous les artifices sont là pour profiter de nos failles. Ne peut-on se remémorer au moins l’essentiel, un critère autre que le prix qui nous fera réagir? Et puis le prix, justement, c’est un argument pour nous les pauvres ou nous qui nous croyons dans une classe moyenne qui n’est qu’un leurre. On commence à oublier le critère prix quand justement on est riche. Mais le deuxième leurre, c’est celui de ne plus afficher le prix des choses et de parler flexibilité à travers un tarif d’abonnement ou un crédit. Nous verrons un peu plus loin que cette liberté, c’est celle d’être captif. Et notamment d’une plateforme.

Les “plateformes” et leur supposée liberté

Le premier exemple qui vient, c’est celui d’Uber et ses dérivés. On a vu récemment comment le candidat Macron avait trouvé ce lobbying intéressant pour dynamiter le code du travail et ainsi permettre plus de précarité pour les salariés. Oui, on peut devenir auto-entrepreneur, avoir la liberté de travailler pour une ou plusieurs plateforme. Sauf que c’est au prix du…moins-disant social puisque c’est l’auto-entrepreneur qui paye de sa poche, plus l’entreprise qui l’emploie, pour la retraite ou le reste. Et ça devient encore plus compliqué en cas d’accident du travail. Et pour la retraite, c’est aussi selon les revenus, qui sont souvent très faibles pour valider des trimestres. Mais ça, c’est du coté du travailleur. Du coté du client, nous voyons aussi le gain financier et la possibilité d’un service à toute heure.

Nous pouvons nous faire livrer tout ce qui nous obligeait avant à nous déplacer. Nous pouvons nous déplacer sans chercher à se faire voir d’un chauffeur de taxi un peu bourru. A peine si nous avons remarqué que la rémunération du chauffeur/livreur a baissé du fait d’une décision de la plateforme. A peine se demande-t-on combien d’heures il a enchaîné avant, sachant qu’il peut leurrer la réglementation en passant d’une plateforme à une autre. Oui, c’est son choix mais surtout celui d’une société qui sous-paye ces emplois parce que nous voulons toujours plus pour moins cher. En participant à ces activités, nous tuons la concurrence. Ainsi en a-t-il été des transports en car voulus par Macron et qui à force de dumping social des plus gros acteurs, a fini par aboutir à deux acteurs (Flix Bus et ….euh rien) sur le secteur qui ne manqueront pas de dicter leurs prix à terme. J’ai fait le test sur un trajet autrefois possible par la SNCF, il n’y a qu’un acteur pour un voyage de 5h à un tarif plancher qui empêche toute concurrence. Là aussi derrière, c’est serrer la vis aux compagnies de car sous-traitantes qui n’ont aucun autre choix. Et en plus ça peut concourir à tuer les petites lignes de service public du rail par un moyen plus polluant.

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La peinture minimaliste de Frank Stella - Harran II (1967)

Le moins-disant dans l’informatique

Mais les plateformes informatiques derrière ne sont pas les seules à souffrir de cette régression à marche forcée. Je parlais d’abonnements et autres. Maintenant, on va payer son système d’exploitation par abonnement comme on paye à l’usage pour un Office, un Photoshop. OK, le produit complet était très cher autrefois si l’on était assez idiot pour ne pas profiter de quelques offres mais surtout pour ne pas savoir qu’on trouvait le nécessaire en logiciel libre. Maintenant, on nous vend le logiciel sans même que l’on fasse le cumul de ce que l’on paye sur la vie de notre PC, et on y rajoute une offre de Cloud qui parfois ne nous laisse même plus propriétaire de nos fichiers. Tout cela est mis en avant par un système d’exploitation tête de pont ou par la réputation flatteuse d’une marque. Pour le grand public, c’est très souvent une arnaque au cumul, ou parce qu’on utilise peu de fonctionnalités. Mais même pour la possibilité de synchroniser ses fichiers dans le cloud, il faudrait y réfléchir à deux fois.

Maintenant, ces mêmes offres arrivent dans de grandes entreprises. Les économies d’échelle recherchées sont de se débarrasser de coûteux services informatiques, de compétences en sécurité difficiles à trouver pour tout sous-traiter à un spécialiste. Sauf qu’en faisant cela, on délocalise des données essentielles et on peut offrir cela à une puissance avide d’espionnage industriel. On l’a vu dans des contrats avec la défense nationale. Mais en étant sur des plateformes de serveurs connues, la vulnérabilité est importante car une seule attaque pourrait mettre en défaut plusieurs entreprises, pour des failles connues ou que chercheront plus de pirates. Pour la disponibilité du service, je n’ai, pour ma part, jamais eu autant d’incidents que depuis que c’est sous-traité à Microsoft avec même des blocages complets de l’activité puisque tout est à distance, même l’usage en local d’un logiciel qui demande son accès. En croyant faire mieux à moins cher, c’est pire à plus cher que l’on se retrouve à la fin.

Les autres secteurs industriels alléchés par les résultats commerciaux de ce secteur par cette méthode sont prêt à tout faire pareil. Par exemple, on loue une fonction d’un véhicule Tesla et bientôt chez Toyota ou BMW. A quand l’utilisation de son frigo ou son micro-onde pour la fonction glaçons ou forte puissance ?

Le moins-disant dans nos Distractions

Nous avons maintenant pris l’habitude de l’abonnement pour un tas de chose. Pour le cinéma avec les cartes et c’est souvent l’équivalent de 1,5 films par mois, voire 2. Pour la musique, nous avons le streaming et ça permet de picorer plutôt que d’acheter un album, même en dématérialisé. Là aussi, on peut gagner de l’argent en étant flexible. Le cinéma et les séries sont directement chez nous et même avec nous partout avec quasiment 2 ou 3 acteurs, mais vraisemblablement 2 à terme. Si l’offre est aujourd’hui vaste, les succès finançant parfois les sujets plus pointus et moins vendeurs, il s’opère quand même une certaine standardisation. Une standardisation qui a aussi pour conséquence de vider les salles de cinéma de la variété de films d’autrefois pour des blockbusters ou des comédies. La période SARS-CoV2 a accentué le phénomène et ce fut aussi le cas en terme de musique où il faut chercher l’originalité ailleurs que dans l’offre en ligne. J’observe que le choix d’une discographie est toujours restreint pour un artiste, jamais complet et en plus à géométrie variable dans le temps, surtout si un artiste ou une major dénonce un contrat avec une plateforme.

En mettant ces plateformes en position dominante pour notre distraction, nous avons choisi notre confort mais pas celui des artistes, créateurs qui se retrouvent avec un choix, celui de la plateforme qui finira par dicter ses choix, comme tout producteur. Nous voilà finalement revenu à l’ère des studios hollywoodiens tous puissants. Après tout, il y a eu aussi de bons films à cette époque. C’est vrai, parce qu’il y avait bien plus de studios et une domination moins globale qu’aujourd’hui. Quant au gain financier, par le jeu des exclusivités, on peut vite se retrouver avec plus de 2 ou 3 abonnements conjoints sur des plateformes. Pas si évident que l’on y gagne de l’argent, sinon à regarder ce que nous n’aurions pas vu auparavant.

Car notre habitude de chercher quelque chose qui nous “repose le cerveau” nous fait aussi aller vers une distraction facile ou régressive. Ainsi, la télévision a-t-elle multiplié les chaînes mais certainement pas multiplié la qualité des programmes. Entre copie de copie de formats qui fonctionnent et recherche du buzz, tout pousse celui qui est un peu exigeant à quitter ce média, tandis que l’autre finira par s’enfoncer dans l’océan de médiocrité qu’on lui sert. Et d’ailleurs, l’histoire a prouvé qu’en proposant des programmes plus culturels, ça ne fonctionne pas. Le média télévisuel ou la distraction ne vise pas à apprendre mais à “ Faire passer le temps agréablement à quelqu’un”, comme le dit le Larousse. Il ne semble pas que l’apprentissage soit un moment agréable pour l’animal humain.

Le moins-disant dans l’Information

Alors forcément, lorsqu’il s’agit de s’informer, on ne recherchera pas de la profondeur, un panorama complet d’un sujet mais de l’immédiat. Nous avons pris le pli de l’information en continu mais plutôt que d’attendre du recul pour un traitement complet, on nous sert de la discussion sans fin sur un sujet dont on ne sait pas grand chose avant d’attendre un nouveau sujet que l’on traitera pareil. Il nous faut notre notification pour être au courant de l’actualité. Il nous faut notre petit shoot d’info quotidien. Et plutôt que de creuser l’information, la grand messe du 20h devient divertissement, traitant du people plutôt que du fond. En relisant des magazines papiers anciens et en reprenant les plus récents, je m’aperçois que l’on a cédé le fond à la forme. C’est un peu moins visible dans le jeu vidéo puisque l’on s’adressait à des adolescents dans les années 80 quand c’est devenu plutôt des jeunes adultes aujourd’hui, mais en fait plus personne puisque la presse jeu vidéo papier n’a plus de sens pour un média d’image.

Dans mon secteur d’activité, l’automobile, j’ai déjà dit tout le mal que je pense d’une presse qui vit dans le passé ou enfile les recopies de dossiers de presse comme des perles. Je n’ai plus retrouvé la passion de feuilleter un magazine papier depuis des lustres, à part des choses différentes comme “La Revue Dessinée” ou des publications trimestrielles. Les quelques reportages télévisuels magazines qui restent se comptent…sur la moitié d’une main. Et à discuter avec collègues ou amis, je m’apperçois que soit ils ne sont pas informés, soit nous regardons à peu près la même chose. Veut-on finalement être informé, quand je repense au paragraphe précédent? Il y a une forme de désespérance et d’endormissement de la société, résignée à survivre avec le moins cher, à se donner une illusion de richesse en se faisant livrer, en ayant un choix qui n’en est pas vraiment un.

Le moins-disant est un peu cette facilité de l’humain, quel qu’il soit à se laisser aller. Cela prend la forme de la procrastination mais aussi de profiter simplement de l’instant, sans se poser plus de question sur le lendemain. Peut-on alors s’étonner que notre propension au “moins-disant” nous mène souvent à notre perte, comme la cigale face à la fourmi. Il n’existe pas de notion de “réchauffement climatique” face à cela car la problématique reste trop complexe pour les gestes du quotidien. Nous aurons tous un moment où nous laisserons cela de coté. Fatalité alors ? Pas vraiment et la crise récente l’a encore montré. Dos au mur, nous réagissons mais sur un temps court. Sur le temps long, ce n’est qu’en forçant nos habitudes. Et rien que pour sortir cet article, je me suis fait violence en me disant que je pourrais faire bien plus que ce que je fais d’habitude. Se ménager des moments de réflexion, par exemple pour se recentrer sur ses besoins réels plutôt que ceux qu’on nous proposent…Il me reste, comme tout le monde, du boulot !

Dire Straits le disait video


Ecrit le : 05/11/2022
Categorie : reflexion
Tags : environnement,croissance,économie,réflexion

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