Législatives 2022 - Une victoire défaitiste

Avant un bilan de campagne plus personnel, je voulais faire un bilan de ce résultat plus que contrasté et de la campagne en général. Une victoire pour plusieurs partis et plusieurs défaites.

La victoire, c’est déjà pour le débat parlementaire, du moins en théorie si d’aventure on en retrouve la recette perdue depuis bien des années. Avec un parti présidentiel qui atteint péniblement un quart de l’assemblée et un tiers avec ses alliés MODEM et Horizons, cela promet des alliances ponctuelles ou définitives selon l’avenir du gouvernement Borne. Car la première défaite, c’est bien celle du parti d’Emmanuel Macron, autrefois hégémonique. Mais c’est pourtant aussi une victoire pour les idées de droite et notamment la retraite à 65 ans, ce qui va donc à l’inverse de l’opinion publique, si l’on en croit les sondages (64% contre selon BFM). Autre paradoxe, la gauche (la désormais NUPES) peut pavoiser puisqu’elle progresse en doublant aisément son nombre de députés, en ayant permis que Macron n’ait aucune majorité évidente. Mais elle n’atteint pas cet objectif utopique d’une majorité de gauche pour avoir Jean-Luc Mélenchon 1er Ministre. Pourtant, en nombre de voix, elle n’était pas loin du groupe de la majorité et a eu deux fois plus de voix que le RN au second tour, tandis qu’il y avait déjà égalité au 1er tour et un RN distancé de 8%. Et c’est là que ça se complique.

Car la victoire la plus inattendue, c’est celle d’un RN qui n’a pas fait campagne et qui cette fois rafle la mise dans les circonscriptions de province, notamment le Nord et le Sud Sud-Est. Alors que les législatives étaient défavorables par le jeu des alliances “républicaines”, cette fois, il y a eu retournement de situation en faveur du RN. Cela en fait le 1er parti d’opposition au sens stricte et en cela, c’est aussi une défaite pour une gauche radicale en lutte contre l’extrême droite. Les fautifs sont facilement identifiables puisque dans cette campagne et surtout cet entre-deux tours, la majorité et les médias associés n’ont fait qu’essayer de discréditer la NUPES, autant économiquement qu’en proférant des accusations d’anti-sémitismes, à coup de parfois tracts orduriers anonymes, et en identifiant la Gauche comme un danger aussi grave que l’extrême droite, contre laquelle il n’avait rien à redire du programme. On y ajoute les accusations fallacieuses de lien avec Poutine (alors que pour le RN…), d’être anti-européen (alors que la France est encore mise en défaut pour non respect des chartes européennes du travail) et c’était une NUPES transformée en diable rouge que l’on avait à longueur de journée.

Il faut ajouter à cela les manœuvres des dissidents du PS (surtout ceux de Carole Delga) qui ont permis l’élimination de la NUPES dans le sud et le maintien de candidats LREM dans des triangulaires pour rajouter encore des élus au parti de Marine Le Pen. Elle n’en attendait pas tant, elle même, ayant un large groupe mais ne sachant pas forcément encore quoi en faire (l’appétit vient en mangeant…). Reste que cette assemblée se rapproche finalement assez d’une opinion française devenue totalement morcelée où l’Extrême droit est conséquente, alors que paradoxalement, elle n’a jamais été aussi peu représentative : A peine 15 % pour le premier parti, c’est encore pire que la présidentielle. Même géographiquement, il est difficile d’en donner une tendance claire. A force de diviser l’opposition pour mieux régner, Emmanuel Macron a opposé les français les uns aux autres et attiser la haine. Une haine qui fait une entrée jamais vue dans l’histoire de l’hexagone post-seconde guerre mondiale. Mais une haine qui ne dérange nullement cet agglomérat du vieux centre et des plus vils traîtres politiques de la gauche et de la droite, baptisé ensemble (n’oublions pas que ça aussi ils l’ont volé à Clémentine Autain). A peine le résultat énoncé que le ténor du barreau et champion du retournage de veste Dupond-Moretti draguait déjà ses nouveaux amis de l’extrême droite, pardon “Droite radicale” dans la novlangue des grands médias…un terme pas si nouveau puisque déjà usité dans les années 50.

Exit les barrières républicaines installées en Avril pour se faire élire. Elles furent brûlées allègrement en qualifiant toute opposition de “non républicaine” et en n’appelant pas à s’opposer au RN lorsque c’était face à un adversaire NUPES. Mais si seulement cela n’avait été qu’une consigne d’un élu local. Le plus grave dans cette élection c’est le relais trouvé dans la quasi majorité des médias TV et presse écrite, service public compris et le discours présidentiel, celui-là même qui avait soutenu un Zemmour agressé verbalement ou trouvé du bien chez Pétain. Déjà avait-on pris l’habitude du rond de serviette donné à Eric Zemmour dans toutes les rédactions, heureusement renvoyé à ses chers livres par les électeurs, ou encore à la presse du gourou fondamentaliste Bolloré. Mais c’est bien cette presse aux mains des milliardaires qui a fait une campagne acharnée contre la NUPES, que ce soit des élus PS, EELV ou LFI. Des unes de Challenge (refusée par ses journalistes, imposée par le patron) ou du Figaro jusqu’à celles du JDD, on avait presque l’habitude mais il fallait ajouter les chroniques d’éditorialistes inattendus, des chroniqueurs économiques les plus sournois, laissant peu de place aux quelques économistes qui essayaient de justifier une autre voie économique.

De campagne, il n’y a en fait pas eu. Aucun débat, aucune confrontation d’idées et tout cela parce que beaucoup trop proche de la présidentielle. L’élection législative voulue validation par Chirac et les grands partis de l’époque, est devenu le piège à cons et les cons…c’est nous. Mais c’est aussi devenu le lit de l’abstention. En enchaînant ainsi les élections, dont la première avait déjà été marquée par une non-campagne (comme en 2017, un président élu sur du vent, mais qui ne produit pas d’énergie), les électeurs en avaient marre. Je l’ai bien ressenti personnellement lors des tractages et il n’y avait clairement pas le temps de convaincre du contraire. On y ajoute une large ignorance du rôle du député, surtout chez les jeunes (qu’est devenue l’éducation civique ?) et on a ce résultat, très marqué chez ceux qui sont les plus touchés par la crise. Ainsi, tout l’électorat de gauche s’est retrouvé largement démobilisé par cette lassitude et cette campagne de dénigrement. Il ne restait que cette frange toujours colérique de l’extrême droite pour rester présente, cette fois-ci, ne serait-ce que pour venger aussi le petit Eric Z. La campagne au eu son lot habituel d’agressions, et pas qu’à la crème chantilly mais à la lacrymo. A observer encore le traitement de ces agressions, on comprenait bien que la presse avait choisi son camp…Celui du pouvoir et de l’argent mais surtout celui de la haine, tellement plus vendeuse que de bons sentiments. A l’heure du clash et de la punch-line, n’espérez plus faire émerger des idées compliquées.

Ce pouvoir et cet argent qui décident, cette montée de l’extrême droite, cette crise économique et cette inflation galopante, cela rappelle de plus en plus la situation des années 30, surtout si on y ajoute une guerre aux portes de l’Europe. Une communauté religieuse en remplace une autre comme bouc-émissaire mais on voit se dessiner de très dangereuses alliances dans cette assemblée. On voit même là encore quelques rouges basculer bruns, même si c’est beaucoup moins que la radicalisation des LR ou la fascisation du parti Macroniste, avec un culte de la personnalité et un présidentialisme que ne renieraient pas Orban ou Poutine. S’ajoute le danger de la guerre de succession à Emmanuel Macron entre les LREM et Horizons, le Modem étant déjà hors-course par un François Bayrou définitivement perdu dans ses délires. Quelle honte de voir ces gens préférer un RN, où l’on a même des antisémites notoires condamnés pour violence avec arme, plutôt qu’une gauche qui n’a de radicale que le nom dont on l’affuble et le verbe haut. La chose politique est devenue d’ailleurs de plus en plus proche de ce que l’on a vu aux USA dans les dernières élections avec son lot de “Fake News”, d’insultes, d’infantilisation du débat. Tout cela ne fait que convaincre les abstentionnistes de leur choix et on ne peut redonner confiance aussi facilement. Si Mélenchon émergea aussi bien de la présidentielle, c’est aussi par les erreurs de Macron (retraite à 65 ans), que par la médiocrité des campagnes à gauche (EELV, PS), en plus du talent à galvaniser les fins de campagne.

Alors comment inverser cette tendance qui vide aussi de leurs substances les vieux partis LR ou PS ? Le nivellement par le bas de la politique est une tendance forte dans le monde. Face à cela, on retrouve des régimes autoritaires. Juste peut-on observer des sursauts de la gauche en Amérique du sud, notamment mais je suis pourtant méfiant sur ces cas. La dérive des ces partis de gauche est possible dans les mêmes travers que leurs adversaires de droite ce qui là aussi crée un profond clivage de la société. Si la France des présidentielles montrait 4 pôles (abstention, populaire, extrême droite et libéral), j’en viens à penser qu’il n’en restera que trois, voire deux si la gauche d’opposition à cette alliance droitière basculait dans un blocage “abstentionniste” par la grève ou les manifestations. La suite serait alors dans la rue dans une tradition bien française avec l’opposition frontale d’une Police qui est déjà plus qu’incontrôlable puisque noyautée par l’extrême droite et ses puissants syndicats. J’ose pourtant espérer que ce réveil de la gauche se poursuive en voyant les actions de la NUPES à l’assemblée pour contrer cet “Axe du mal” qui pourrait se constituer. La voie de sortie est à la fois économique puisque les crises facilitent toujours l’extrême droite, mais aussi éducationnelle par rapport à la politique et son importance. On peut dire que cela ne sert à rien mais si on n’essaye jamais rien, on conforte cet immobilisme et même cette fuite vers le pire. Un pire non seulement idéologique mais aussi social (retraite, droits du travail…) et climatique. Le dimanche de vote fut orageux ou caniculaire, comme pour nous indiquer la voie à suivre… Mais comme un symbole aussi, c’est cette jeunesse soit-disant éco-anxieuse, qui ne fut pas de sortie.

Il est facile donc de se décourager, de se diviser à nouveau dans cette situation qui rappelle aussi quelque part ce qu’il se passe en Israël. Le pays est depuis quelques décennies aux mains d’alliances incohérentes ou droitières, ne laissant plus de place à la gauche modérée (Mapaï, Akhdut HaAvoda). Le parallèle s’arrête pour l’instant là mais l’évolution de l’un est instructive pour l’autre au moment où la coalition au pouvoir se disloque et pourrait provoquer un retour du Likoud (qu’on pourrait classer entre LR et RN). Au rayon comparaison, on peut aussi observer l’Allemagne qui a jugulé la progression de l’AFD, dont le LFI local (Die Linke) est au plus bas mais qui aura bien du mal à trouver une stabilité politique dans l’avenir, malgré cette culture du compromis. Que sera alors l’avenir entre recomposition de l’appareil politique par un vrai parlementarisme qui pourrait redonner un peu confiance, ou bien une extrêmisation du débat qui le pousserait à droite? La clé de cela est d’abord dans les mains du président en place qui devrait s’en souvenir pour laisser non pas une tâche dans l’histoire de la France mais compenser ce premier mandat destructeur. Je vous laisser deviner vers quoi il va. L’espoir fait vivr


Ecrit le : 01/06/2022
Categorie : reflexion
Tags : réflexion,politique,france,législatives

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