BD - Fatty de Julien Frey et Nadar (2021)
J’avais entendu parlé de Fatty Arbuckle en lisant sur l’histoire du cinéma et sur les pionniers du cinéma muet. Cet ouvrage permet de lui redonner vie à travers le récit qu’en fait Buster Keaton, son ami.
Il fut, juste avant Charlie Chaplin, l’une des plus grandes stars d’un Hollywood naissant, dans les années 15-20. Archétype du “Gros”, dans les films muets, il réussit à sortir de ce cliché pour donner naissance à ce cinéma muet et cet humour tarte à la crème qui se vendait si bien après la première guerre mondiale. C’est un humour aujourd’hui oublié mais qui marqua son époque. Fatty paya cher ce succès, à l’image d’un Max Linder chez nous, ou de ce qui faillit arriver à Charlie Chaplin.
L’histoire de cette BD commence lors d’un tournage avec un Buster Keaton en fin de carrière. Lui aussi star du cinéma muet, “L’homme qui ne rit jamais” était un de ces génies comiques du cinéma originel. Ce que l’on sait moins est qu’il apprit son métier avec Roscoe “Fatty” Arbuckle et fut un des modèles de Charlot. Il parle ainsi de son ami Fatty à un jeune assistant réalisateur qui a peur de se faire virer. Tout commence dans les années 10, lorsque Hollywood est fondé. L’industrie du cinéma bascule d’une côte à l’autre des USA et les studios ne sont pas encore tous puissants. C’est l’ère des pionniers et les salaires augmentent vite. Les métrages sont encore courts, le comique reste schématique, visuel (puisque muet) et caricatural. Le vocabulaire cinématographique s’invente peu à peu. On emprunte un peu au cirque et on retrouve souvent la figure du Gros et du maigre (qu’on retrouvera avec Oliver Hardy et Stan Laurel). Le plus doué de sa génération est Fatty Arbuckle. Acteur puis réalisateur chez Mack Sennett, le studio phare de l’époque, il donne sa chance à Buster Keaton.
On le voit apprendre le métier, créer peu à peu son propre personnage au coté de son ami et mentor. Fatty le pousse à réaliser lui même. Et puis c’est le Hollywood des fêtes, l’arrivée des Warner, MGM, Paramount qui deviennent des machines à produire mais aussi à régenter la vie des acteurs et réalisateurs. Fatty semble toujours joyeux mais un mal le ronge aussi. Vient la prohibition et les interdits pseudo-religieux. Fatty incarne dans ses films toutes les transgressions. Et Hollywood a une image sulfureuse qui ne convient pas au pouvoir en place. Une jeune femme meurt mystérieusement dans une fête qu’il donne et c’est la chute de la star, la trahison de ses “amis” ou patrons. Tel est le drame conté ici.
Je n’ai pas vu un film d’Arbuckle, seulement des extraits. Les vieux Mack Senett sont démodés et pourtant il en reste quelque chose dans l’humour d’aujourd’hui. La transgression et la caricature sont toujours là, même si aujourd’hui on y a ajouté la parole. C’est l’histoire d’une injustice que l’on nous raconte, autant qu’une histoire d’amitié et de l’envers de la célébrité. C’est touchant, dessiné avec talent sans tomber dans un noir et blanc qui aurait trop rappelé les films. Cela donne envie justement de remettre le roi d’Hollywood sur un piédestal qu’il n’aurait pas du quitter. Comme Chaplin fut injustement banni par les fascistes américains, Fatty et tant d’autres pionniers furent rejetés. La dictature de la nouveauté aussi mais n’y avait-il pas aussi un peu de grossophobie, en plus de la jalousie? Une BD indispensable pour un passionné de cinéma comme moi mais qui va au delà en étant avant tout une bonne histoire.
Pour les plus curieux, on peut voir des films ici.