Présidentielle 2022 - Déclassement
On parle beaucoup (trop) de la notion de déclassement et de déchéance, ces derniers temps. Ce thème a déjà été utilisé de nombreuses fois dans le discours politiques, qu’il soit en France ou dans d’autres pays, avec des résultats peu reluisants.
Il est bon de revenir aux définitions des mots employés :
Déclassement : Action de déclasser quelqu’un, quelque chose, de le faire sortir de sa catégorie, de son rang initial (Larousse)
Déchéance : Action de déchoir moralement ; état de quelqu’un qui est déchu, avili ; dégradation, abaissement - Perte d’un droit juridique, d’une qualité. (Larousse)
A titre personnel
A titre personnel, on peut avoir le sentiment d’un déclassement, notamment par rapport au rang social qu’avaient nos aînés. Ainsi, la classe ouvrière avait pu se hisser dans ce qu’on appelle “la classe moyenne”, joyeux fourre-tout qui se situe juste entre “les pauvres” et “les riches”. La notion de riche est elle-même floue et le terme classe moyenne n’arrive donc pas à faire consensus, d’autant que même le terme pauvre a dû être précisé dans les années 90-2000. C’est juste pour dire que l’on se sent plus pauvre, la plupart du temps. Pour le sentiment de déclassement, ça serait de retomber dans la pauvreté, ou de ne plus être dans les “riches” mais dans la classe moyenne. Pour s’y retrouver, il faut aller voir une “mesure”, celle de l’INSEE par exemple, avec les défauts de ce genre de chiffre mais au moins, on parle toujours de la même chose au fil du temps…quand on a les chiffres.
Sur les 20 dernières années, on voit qu’il y a eu une baisse puis une augmentation très nette sur l’année 2018, le taux restant quand même entre 13,2 et 14,8% (ou plus précisément un différentiel de 1,5 Millions). En 2019, il y a eu baisse à 14,5% et ce serait le même niveau pour 2020, quoiqu’en dise la communication du gouvernement. Il faut aller voir un peu avant pour constater que la pauvreté a été au plus bas vers 1978-79 pour remonter avec l’effet retard du choc pétrolier, l’augmentation du chômage. Et il faut encore tenir compte de la répartition géographique inégale sur le territoire français, comme on peut le voir ci-dessous en 2017 :
Le sentiment de “pauvreté” ou de déclassement peut s’expliquer par bien des manières. Il y a notamment ne pas avoir de logement stable, ou avoir un logement en mauvais état, avoir peur pour la situation de ses enfants, ne pas avoir d’emploi ou d’emploi stable, payer de plus en plus cher pour les choses essentielles comme manger, se chauffer, se soigner et donc ne pas pouvoir répondre à ces besoins essentiels. Ces dernières années, la part de l’énergie (chauffage, carburant) a fait monter subitement le “Seuil de pauvreté mensuel”, c’est à dire le seuil de revenu à partir duquel on est considéré comme pauvre. Il a pris 30 euros entre 2018 et 2019, par exemple. Évidemment, ce sont les foyers les plus proches de ce revenu qui s’en ressentent et qui donc seront sensible à ce terme de déclassement lorsqu’il est prononcé. Les aléas des cours de l’énergie sont un des facteurs majeurs ces dernières années, ce qui fut aussi le catalyseur des “gilets jaunes”.
L’amalgame entre le personnel et le pays
Les plus malins utilisent le terme de déclassement en mêlant à la fois les catégories sociales et le rang supposé de la France dans l’ordre mondial. La France est donc classée depuis bien des années, dans les grandes puissances mondiales, apparaissant dans le G7, le G8, etc, selon le sacro-saint PIB, c’est à dire la “richesse” produite par un pays mais pas seulement. Dans les années 2000, la France est 6ème derrière USA, Chine, Japon, Inde et Allemagne. En 1950, elle était 7ème. En 1973, elle était 6ème. Et là, on se dit que ça ne correspond pas à ce que l’on nous dit ?! On a brièvement gagné une place avec la chute de l’empire soviétique. Mais les derniers classements font passer aussi le Brésil, le Royaume Uni, l’Indonésie, et la Russie devant, selon ce que l’on compte et selon les crises économiques et politiques, nous plaçant plutôt à la 9ème place aujourd’hui. L’Italie a bien plus dévissé que la France. Mais alors que fait-on au G7 si nous sommes 9ème ? Il y a d’autres facteurs puisque le Canada (12ème) s’y trouve avec l’Italie (14ème), mais ni Chine, ni Inde, ni Russie (sauf périodiquement depuis 1997), pour des raisons historiques et politiques. Ce club de pays paraît donc entretenir l’illusion d’un faux classement lorsque le monde a changé. Il n’y a qu’à voir l’absence plus fréquente de la France depuis 20 ans dans le règlement des conflits internationaux, ou sa moindre influence dans ce qui était la Françafrique, par rapport à l’impact de la Chine, des USA, de la Russie, mais à l’égal des autres puissances européennes.
Si on regarde un peu plus loin, la France a été dans les 3 premières puissances au début du 19ème siècle, autour de la 6ème place à la fin du 19ème si on ne tient pas compte de ce qu’apportait le pillage des colonies et ce fut encore le cas avant la 1ère guerre mondiale. Mais est-ce que pour autant on y vivait mieux qu’ailleurs et surtout mieux que maintenant ? En corrélant le classement d’un pays et le classement social, c’est l’illusion que l’on donne. Pourtant cette France du 19ème siècle était inégalitaire, avec une bourgeoisie qui devient plus riche mais une classe ouvrière qui vide les campagnes et est exploitée par la révolution industrielle. Je ne parle même pas du sort des femmes, de l’arrivée très tardive du droit de vote, etc… Et justement, la France fantasmée des années 60 ne devait pas l’être tant que ça pour qu’on s’y révolte en 1968. Ce n’était pas la joie pour tout le monde, femmes, jeunes, ouvriers ou employés. J’en veux pour preuve le témoignages des anciens en usine, ou lors de la répression dans le sang des mouvements sociaux, dont ceux de ma propre famille. Là encore, les révisionnistes réécrivent l’histoire à leur manière. On a oublié la revalorisation du SMIC de 35% et de 7% pour les autres salaires après les accords de Grenelle ? Pas un hasard vis à vis de la répartition des richesses. Et pas de déclassement à la clé derrière, juste un ordre mondial qui se construisait, évoluait, des empires fragiles qui tombaient et d’autres qui se réveillaient d’une longue léthargie.
La Nostalgie des empires
L’amalgame conduit à brandir des empires du passé comme modèles. La richesse mal partagée de ces époques est mise sous le tapis. Comme les millions de morts des guerres napoléoniennes, par exemple ? Le pillage et les massacres en Afrique du nord ? L’esclavagisme relancé après la révolution ? “le bon vieux temps des colonies” gomme tous les abus, tout comme il oublie les cultures qui furent saccagées et que l’on peine à retrouver dans des musées récents. On oublie le rôle d’un certain général dans la décolonisation. Et j’en passe. Mais les Empires français ne furent pas seuls. L’empire britannique alimente-t-il encore la même nostalgie ? L’empire espagnol ? L’empire austro-hongrois ? L’empire ottoman ? L’empire russe ? …Vous aurez vite fait le tri sur ceux qui utilisent la nostalgie pour des pouvoirs autocratiques où la liberté individuelle diminue graduellement. Le paradoxe est encore que les même parlent de “liberté” dans le même discours, d’entraves de supposés lobbies ou administrations quand leur réponse sera de ne suivre que leur propre avis sans écouter et de rompre avec les libertés individuelles.
Les glorieux personnages de notre histoire ont écrit un récit national, que l’on essaie de rabâcher sans esprit critique, sans curiosité, sans regarder apports et conséquences. Outre les massacres, les guerres, il y a toutes ces manigances politiques, toutes ces répressions parfois sanglantes de mouvements sociaux. Il y a des traces néfastes laissées pour longtemps parfois, plus longtemps que leur vie et avec plus d’influence que sur un seul pays. Si les flux migratoires sont aujourd’hui ce qu’ils sont, c’est aussi à cause de ces empires du passé montrés comme des exemples, à cause de personnages glorieux qui ne virent pas jusqu’où menait leur entêtement à vouloir conserver ce qui ne devait plus être. Les empires sont fait pour mourir, même ceux construits sur la finance. Les tous-puissants GAFAM d’aujourd’hui mourront aussi comme sont morts les General Motors, les IBM, les Standard Oil, American Tobacco, General Electric, même si ces sociétés existent encore à un degré moindre que leur apogée.
En dehors de tout cela
Et puis il y a des pays qui n’ont jamais été dans les “premiers”, parfois envahis puis libérés par eux-même. Il y a des pays qui se contentent finalement de vivre paisiblement aujourd’hui, de ne pas tenter de guider la marche du monde. Ont-ils des nostalgies de royaumes passés ? Ont-ils la nostalgie de grandes conquêtes guerrières ? Souvent, ce sont les pays où le sentiment de “bonheur” prédomine. Le dernier classement World Happiness Report (PDF) conserve les pays nordiques en tête avec la Suisse en 4ème position, l’Allemagne en 7ème, la France en 20ème (mieux que le précédent). Le Japon n’est que 40ème, la Corée du sud 62ème…Ok, on peut douter de la méthode statistique. On retrouve des similitudes avec l’indice de développement humain. Mais le classement de l’optimisme et la confiance en l’avenir place la France en 41ème sur 55 en 2018 (PDF). La surprise est alors de voir des pays comme les Philippines, le Vietnam, la Colombie, le Mexique dans la tête du classement. Le premier européen est les Pays-bas. Cela reste un sondage avec des échantillons. Mais cela montre aussi que d’autres éléments viennent nourrir le sentiment de bien-être et d’optimisme en l’avenir, même dans les périodes les plus troubles. Cela dit, l’Europe de l’ouest a souvent en commun un même sentiment de déclassement par rapport à la place dans le monde, à cette mondialisation sans contrôle.
Pire encore, ces petits malins qui jouent des amalgames, parlent aussi de déclassement par rapport à des “remplacements” de religion, de couleur de peau, etc… Comme s’il devait y avoir des priorités selon l’origine, et non pas selon des capacités et quelques devoirs élémentaires. L’amalgame est suffisamment sournois pour ne jamais être énoncé si clairement, de peur d’être encore plus condamnés par la justice qu’ils ne le sont déjà. Les extrêmes nourrissent les extrêmes… Tout cela est évidemment encore ignorer l’histoire, dont ils se réclament, avec les nombreuses migrations et déplacements de population, justement provoquées par des guerres, des jalousies, et parfois par des phénomènes climatiques durant les siècles passés. Et aussi ignorer que le “remplacement” brandi n’est rien d’autre que la normalité de la vie sur cette planète où nous ne sommes que métissage depuis les origines de l’homme. Pour avoir étudié un peu la généalogie de ma propre famille ou celle de madame, je peux témoigner de cette réalité sur une échelle de temps plus réduite. Et quid encore de la “méritocratie” qui permettrait de faire le chemin inverse, terme récent et objet de débats sans fin. Plutôt que cela, il convient d’examiner les inégalités scolaires grandissantes qui ne sont aucunement contrecarrées par le recours de plus en plus fréquent au privé, ou la grande centrifugeuse des réformes inspirées ou dirigées par un certain ministre de l’éducation. Là le déclassement est réel.
A force de ne regarder que derrière, on oublie de se soucier de l’avenir. Et si l’avenir est de revenir en arrière, il va falloir trouver une sacré invention pour que ça fonctionne. Car pendant que l’on veut revenir en arrière, d’autres vont de l’avant et pas seulement dans une croissance effrénée mais aussi dans des évolutions plus profondes. Il reste beaucoup de chemin à faire pour changer les mentalités. Les discours que j’entends chez les spécialistes du déclassement et ceux au pouvoir, ce sont des discours conservateurs, qui sont dans cette posture de volonté de domination qui a toujours conduit à des catastrophes. Il est vrai aussi que le catastrophisme écologique que l’on y oppose souvent ne fait pas forcément plus rêver. Or l’humain aime rêver et l’humain déteste la peur du lendemain. Voilà justement les deux leviers de ces personnages : Demain fait peur, Hier c’était mieux. Je comprends que cela fasse recette chez certains des plus âgés qui n’ont aujourd’hui pas connu les guerres et dictatures. Ce sont eux, de surcroît qui votent le plus. Mais cela marche aussi chez des jeunes qui ne voient plus d’avenir, sinon dans ce passé fantasmé dont ils n’ont pas connaissance, sinon à travers ces mensonges. Il y a certainement un manque de transmission et une perte de mémoire sur ces périodes, sinon dans des vulgarisations simplistes. Et l’inculture est bien une déchéance, si toutefois on s’entend sur un socle minimal de culture à avoir.