BD - Alice Guy de Catel et Bocquet (2021)
Cela fait un moment que je voulais lire au sujet de cette pionnière du Cinéma, oubliée par beaucoup d’historiens. Cette BD m’en a enfin donné l’occasion.
Alice Guy est une exception. Fille d’un propriétaire de librairie au Chili, elle a pourtant une enfance compliquée, entre la faillite de son père, les déménagements, les pensionnats, la mort d’un de ses jeunes frères puis de son père. Sa mère, ses sœurs et elle doivent se débrouiller pour vivre. A cette époque, il faut surtout faire un bon mariage. Elle choisit plutôt le travail et le hasard la met sur la route d’un certain Léon Gaumont qui s’occupe de photographie. Le jeune ingénieur-entrepreneur s’intéresse aussi à une nouvelle technique qui permet de faire bouger les images. Elle n’est que sténo-dactylo quand elle est embauchée mais son audace et sa débrouillardise la rendent vite indispensable. Elle permet à Gaumont de nouer des contrats, des financements pour qu’il développe ses premières salles de projection de ce que l’on appelle rapidement “Cinématographe”. Elle ose alors demander à réaliser de premiers films “1 bobine”, qui sont aussi à destination des forains. Elle y apporte des scénarios plus construits, de la fiction, de l’imaginaire, sorte de synthèse entre le théâtre qui la passionne depuis l’enfance et le cinéma de Mélies, le magicien.
Cet épais volume de 300 pages nous conte la vie de cette femme qui alla jusqu’à bâtir un studio dans les premières années du cinéma, un peu avant l’arrivée des premières stars comme Charlie Chaplin, Buster Keaton… Le cinéma se perfectionne, apprend ses techniques et elle y participe très largement. Malheureusement, il ne reste rien ou quasi rien de ses films puisque les pellicules vieillissaient mal ou étaient réutilisées. Tout juste a-t-on quelques remakes ou copies de ce qu’elle faisait. Elle fut l’autrice réalisatrice d’un des premiers péplum de l’histoire, “La Vie du Christ”, un “5 bobines” comme on disait à l’époque. La BD donne une vague idée de ce que cela donnait visuellement mais l’aspect technique est peu développé. On parle des essais sonores avec les synchronisations avec des gramophones et de la concurrence des différents systèmes de prise de vue ou de projection. Mais le récit est centrée sur cette femme qui injecta, en plus de sa propre carrière, du féminisme dans ce qu’elle faisait. Elle fut aussi la première à faire un film avec un casting totalement noir, un scandale à l’époque du “black face”.
Le biographe et historien du Cinéma Francis Lacassin la remit dans la lumière, c’est le cas de le dire et elle avait écrit une autobiographie avant de mourir à 94 ans. Je ne vais pas tout dévoiler de ce récit qui est mis en image sobrement et classiquement. Un peu trop à mon goût mais cela a l’avantage de la clarté et de l’accessibilité. Sa personnalité et son énergie déplaçait des montagnes mais pouvait aussi avoir ses excès de confiance. Elle fut aussi trompée… par son mari comme par d’autres. L’histoire aurait pu être toute autre sans quelques placements malheureux, mais déjà l’ère des studios dirigés par des hommes remettait les premières réalisatrices sous l’éteignoir, en France ou aux États-unis. Le studio Solax d’Alice Guy aux USA brûla même en 1920. Après la lecture, j’aurais tant envie d’en voir plus, de lire plus et donc la mission est réussie pour cette BD. Les quelques 20 ans de carrière de la jeune femme furent finalement une petite partie de sa vie, mais une partie importante qui montre la vitesse de progression de ce qui devint le 7ème art bien plus tard.