BD - Payer la terre de Joe Sacco (2020)
Joe Sacco est un des rares dessinateurs de BD à faire du pur journalisme dans ses albums. Dans celui-ci, il nous emmène dans les Territoires du Nord-ouest au Canada, à la découverte de la situation des indigènes des “premières nations”.
J’avais abordé cette problématique il y a quelques années avec des discussions avec une québecoise qui me parlait de la situation dramatique des populations indigènes, des violences faites aux femmes, des exactions policières, de l’alcoolisme. Mais avec ce lourd ouvrage de près de 300 pages, Joe Sacco va vraiment au cœur du problème, depuis l’histoire récente de ces tribus dites “Indiennes” jusqu’à ce qui se profile dans un avenir proche. Il part vivre et rencontrer dans ces territoires avec sa guide Shauna pour rencontrer ceux que l’on appelle les Dene/Dénés, vocable qui regroupe différentes tribus dans cette région entre l’Alberta, la Colombie-britannique, le Yukon et le Nunavut.
On retrouve donc Joe Sacco avec son habituel dessin descriptif. Le découpage par chapitre essaye de nous amener à comprendre toute la complexité de la situation. On parle de la vie d’avant l’homme blanc, la communion avec la nature, ce qu’était la vie dans une communauté Dene, l’entraide entre ses membres. Et puis vient l’homme blanc, l’exploitation de l’or puis du pétrole, des gaz de schiste et surtout cette terre arrachée à ses propriétaires au cours d’un accord qui ressemble à un jeu de dupes. Les notions de propriété et d’exploitation étaient totalement étrangères aux Dene et n’avaient donc pas de sens. Ils comprenaient “partage” en bons voisins.
Sauf qu’en plus de s’approprier le sol, le gouvernement canadien a voulu gommer la présence des Dene et de leurs semblables. Il les a forcé, après le christianisme, à être assimilées, enlevant les enfants à leurs familles qui vivaient alors en forêts, ou les forçant à s’installer dans des villes. Les enfants de cette génération iront dans des pensionnats souvent religieux et y subirons les pires des traitements. De là, cette génération a reproduit ces sévices et en plus de l’alcool et la drogue, on retrouve maintenant la pédophilie, l’inceste, la violence conjugale, etc…Aujourd’hui, on découvre de véritables charniers près de ces anciens pensionnats !
Un autre élément important est le rapport à la terre. Bien sûr les indiens chassaient et revendaient les peaux pour pouvoir acheter autre chose. Mais il y a du sacré dans la terre, la faune et la flore. Actuellement, il y a un clivage autour de cette question de l’environnement, car d’un côté il faut vivre ou survivre donc avoir de l’argent et de l’autre les seuls emplois sont dans les exploitations du sol, ce qui cause de graves dégâts. Derrière cette question il y a ce besoin de retrouver ses racines, son identité et cette culture que les grands-parents avaient et qui a été gommée chez les parents d’aujourd’hui. Comment faire pour allier les deux ? C’est une des questions qui est montrée à travers de nombreux témoignages.
Le titre “Payer la terre” a ainsi plusieurs sens. On parle de l’achat de cette terre ou de ce besoin de se la réapproprier. On parle de rendre parfois hommage à la terre quand on l’utilise, quand on lui prend quelque chose. La vie d’avant était dure et la vie d’aujourd’hui semble souvent facile avec le confort de la modernité. mais ce confort se paye plus que l’on ne le croit. Joe Sacco, souvent très militant dans ses ouvrages, ne montre pas la solution miracle mais tente de nous donner les clés pour mieux comprendre. A travers les Dene, il y a finalement beaucoup de la place de l’humain sur cette terre, de sa capacité à communier avec elle.