Musique - Kassav - Best of (1979 - 2006)
Je n’ai jamais compris pourquoi les groupes français qui s’exportent et sont mondialement respectés ont du mal à être reconnus en France dès qu’ils ne sont pas dans le moule. Kassav est de ceux là, accumulant disques d’or, records de tournées mondiales, et reconnaissance de ses pairs.
Oui, bon, ne soyons pas idiot, cela tient pour beaucoup au fait qu’ils sont des Antilles françaises et qu’ils chantent en créole. 5 millions d’albums (sans doute plus) et plus de 40 ans de carrière. J’avais commencé cette chronique avant la disparition du guitariste Jacob Desvarieux, quelques années après le décès de Patrick Saint-Eloi. Mais je ne parvenais pas à me décider sur l’album à chroniquer parmi les 16 albums studios du groupe, les dizaines de projets parallèles des membres, et autres productions apparentées. Car Kassav est un collectif autour duquel gravitent de nombreux artistes des Antilles françaises et même un peu plus. Je ne reviendrai pas trop sur l’histoire, la fondation par un des frères Décimus après le groupe Vikings, l’inspiration du Kompa haïtien de Tabou Combo, et du funk, de la disco, etc… Alors je me suis dit que tant qu’à faire (re)découvrir le groupe, autant partir d’une compilation. Mais je la trouve tout de même bien restreinte.
Etant métropolitain, mon premier contact avez le zouk et la musique antillaise a été avec des gens comme Philippe Lavil ou la Compagnie créole, ce qui est quand même sérieusement édulcoré et ripoliné. Le premier est un béké martiniquais et a mis en lumière Jocelyne Béroard dans un duo en 87 sur un titre de … Kassav. Les seconds sont des musiciens antillais réunis opportunément par un producteur parisien pour fournir une musique dansante et joyeuse. Et puis dans les années 80, j’ai vu débarquer ce collectif aux chansons en créole mais qui ne semblait pas là pour nous distraire seulement mais aussi pour nous parler. Je pense que ce n’est qu’avec Syé Bwa en 1987 que j’ai pris contact réellement avec leur musique car on commençait enfin à en parler à la télévision, un peu à la radio. Mais bon, je n’avais pas pris trop le temps de creuser à la fois le message et également la richesse de leur musique et l’influence qu’elle a pu avoir.
Car de Miles Davis à Peter Gabriel, Youssou N’dour, des rappeurs aux jazzmen, il y a de quoi parler sur ces influences. Les Antilles et les Caraïbes ont donné tellement à la musique mondiale, synthétisant les influences africaines, hispaniques et anglo-saxonnes avec bonheur. Le Zouk est le style de Kassav, à ranger à la même hauteur que le Reggae ou la Salsa. La rythmique est caractéristique avec ce temps de pause, mais chez Kassav, on y trouve des inspirations funk, une belle section cuivre, des claviers et synthétiseurs, des chœurs, et tout ça avec une diversité de solistes qui pourrait faire croire à un mélange hétérogène. Mais non, et le concert de leurs 40 ans de carrière me l’a encore démontré récemment. Ce n’est pas non plus un groupe qui revendique la négritude, même si quelques titres parlent de la colonisation des Antilles et de l’esclavage. Le groupe est lui même métissé et revendique aussi ses inspirations diverses.
Alors cette compilation est évidemment bien partielle, comme une simple introduction. Les spécialistes recommanderont des albums particuliers, des albums solos parfois. Il fallait un choix et je plains celui qui a défini la playlist.
- Syé Bwa
- Ou Lé
- Siwo
- Rétè
- Zouk-la Sé Sel Médikaman Nou Ni
- Mwen Malad’aw
- Kavalié o Dam
- Oh Madiana
- Bel Kréati
- An Sansib
- Kolé Séré
- Soulajé Yo
- Wèp
- Mwen Alé
- An Mouvman
Déjà “Syé Bwa” a tout avec cette rythmique incroyable, les chœurs, le mixage parfait des instruments (je vous conseille l’écoute au casque comme toujours pour en percevoir toute la quintessence) et puis la voix de Jacob sur un texte qui a quelque chose d’amusant dans cette sorte de dialogue. “Ou lé” est plus love avec l’invitation à découvrir un beau lieu caché dans la nature. Mais Jocelyne nous parle de ses goûts en matière d’homme dans “Siwo”. C’est au tour de Jean-Philippe Marthély de parler d’amour aussi dans “Rétè”. Le hit “Zouk-la Sé Sel Médikaman Nou Ni” appelle plutôt à positiver avec la musique dans la difficulté. Je préfère largement les versions live que cet enregistrement acoustique avec des percussions caribéennes.
La chronologie n’est pas respectée puisque par exemple “Kavalié o Dam” date de 1984 et a une instrumentation faisant appel à des violons comme chez Malavoi mais fait encore une habile synthèse de styles. Peut-être y a-t-il un peu trop de place pour les titres les plus sucrés mais cela fait partie d’une des facettes du groupe. Le titre “An Sansib” montre aussi l’évolution du style dans les années 2000 avec une mise en avant des voix. Faut-il revenir sur “Kolé Séré”, tellement connu que c’est rentré dans le langage courant en métropole. Ici les synthés peuvent faire un peu datés mais il y a tant de versions disponibles. Idem pour “Soulajé Yo”, où les synthés répondent aux cuivres sur une rythmique survolté. “Wèp” reste toujours dans la thématique des relations compliqués avec là encore un superbe travail sur la rythmique et l’alliance des voix de Jocelyne et Jacob. Il faut aussi entendre le travail de basse sur “Mwen Alé” et les riffs de Devarieux qui n’a jamais caché son attirance pour le rock. “An Mouvman” clôture trop tôt cette compilation.
Bref, dans ces 15 titres, il en manque mais c’est déjà suffisant pour séduire par bien des aspects et faire à la fois la fête, danser, bouger, apprendre, s’enrichir musicalement et peut-être aussi comprendre qu’aujourd’hui il y a un peu de Kassav dans quelques hits d’artistes biberonnés avec. J’avoue préférer le groupe en live la plupart du temps et ça aurait aussi pu faire une bonne compilation. L’embarras du choix ou plutôt “Pale Pou Chwa”.