BD – Nous étions les ennemis de Takei et Becker (2020)
George Takei, vous connaissez ? Mais si, Sulu dans Star Trek, l’asiatique de la série ? Et bien il est d’origine japonaise par ses parents, même s’il est né en Californie. Mais connaît-on la douloureuse histoire de la communauté japonaise américaine durant la guerre ?
En effet, après avoir malencontreusement perdu la déclaration de guerre japonaise dans les méandres de son administration et fait passé Pearl Harbor pour une infamie, Roosevelt et beaucoup d’états des USA ont mis les japonais résidents sur le sol américain dans des camps. Pire que cela, ils ont vu leurs comptes bancaires gelés, ont vu leur bien saisis et ont perdu leurs maisons pour se retrouver dans des camps, souvent en plein désert. George Takei était encore petit avec son petit frère et sa sœur encore bébé, et pourtant cela l’a marqué. Cette bande-dessinée est l’adaptation d’une partie de sa biographie, celle qu’il a consacré à cette sinistre période de sa vie.
C’est Harmony Becker qui met en image le récit avec un trait simple, épuré, pas très éloigné d’un style manga mais avec une patte Comics indé US. C’est donc un documentaire et elle a reçu le prestigieux prix Will Eisner. Il faut dire que cette période est particulièrement méconnue, bien que récente. Juste avant le McCartisme, après des périodes où la xénophobie s’exprimait pleinement et encore loin de la période des droits civiques, les USA montraient qu’ils étaient encore ce pays coupable du massacre des populations indigènes et d’un racisme endémique, bien loin de l’image de pays des libertés. La famille de George Takei était pleinement intégrée et soudain comprend qu’elle n’est plus la bienvenue. Intégrée mais n’ayant pas d’accès à la nationalité américaine, d’ailleurs, puisqu’interdite aux immigrés asiatiques alors.
Pour le petit George, c’est une incompréhension tout d’abord, même si sa mère fait tout pour garder une sorte de normalité. Ce sont des « grandes vacances », dit-elle. Mais la routine s’installe dans ce camp de l’Arkansas, dans des baraquements sans isolation en plein soleil. J’ai repensé à ce que disait Roberto Begnini dans le magnifique « La Vie est belle » à son fils. Il y a en effet un parallèle possible avec le traitement des juifs en Allemagne et celui de ces près de 100 000 japonais, même s’il n’y a pas eu d’extermination proprement dite; sinon par manque de soins. On retrouve cette indifférence de la population ou cette hostilité qui se manifeste d’abord par des tags, des destructions de biens, des violences envers les enfants.
En Californie, le coupable de cette mesure a été longtemps gouverneur avant d’aller à … la cour suprême ! Il faut lire les justifications de la mesure pour être effaré, bouleversé. Et soudain s’apercevoir que ces à-priori, ces accusations continuent de vivre aujourd’hui envers les ressortissants asiatiques ou métissés en France, aux USA, Canada, …. George Takei ne parle pas de ce qu’ont du subir aussi les autres personnes d’origine asiatique, comme la communauté chinoise, nombreuse aussi en Californie. Il ne pouvait hélas pas le voir comme il était enfermé dans un camp. Il raconte son histoire avec le regard d’un enfant et celui de l’adulte qu’il est, qui a parlé à ses parents et à d’autres témoins de cette période. Les camps étaient répartis sur tout le territoire US et pas seulement à l’ouest.
Un ouvrage bouleversant qui montre que les grandes démocraties peuvent vite sombrer dans le pire. Ces périodes sombres, ces exactions envers des populations ne sont pas l’apanage des USA. Pensez aussi aux réfugiés espagnols, aux Harkis en France ou aux bidonvilles qui existaient après guerre, et existent à nouveau maintenant, sans évidemment oublier la période de l’occupation et le camp français du Struthof. Takei raconte son histoire avec sobriété, sans animosité, factuellement. Ce pays qui l’enferma lui a offert aussi une belle carrière, même si là aussi il représenta au cinéma et en télévision l’ »Asiatique de service » plutôt que l’acteur à part entière. Il trouva d’autres rôles au théâtre. Que de chemin à parcourir encore… Que ce témoignage nous y aide.
Commentaires :
Alias sur Mastodon
J’avais vu passer un article, il y a peu, qui parlait de cet épisode historique sous l’angle de la confiscation des terres tenues par des familles d’origine japonaise. Je n’ai pas réussi à retrouver l’article en question, mais j’ai trouvé celui-ci: (en anglais)