Musique - Anne Sila - A nos coeurs (2021)
Voilà une chanteuse paradoxale. Je l’ai entendu dans de superbes reprises dans plusieurs émissions/vidéos mais sur ses deux premiers albums, la magie n’opérait pas. Et puis elle a gagné The Voice cette année, ce télé-crochet préformaté pour les maisons de disque. Alors je m’attendais encore à une déception sur son troisième opus.
Avec un peu de recul, il y avait de bonnes choses sur le premier mais pas assez pour la faire sortir du lot. Car sa force est dans cette alliance subtile entre douceur et puissance, énergie et technique. Reconnue comme une des meilleures chanteuses française par ses pairs, elle a un gros passé de Jazz avec un passage aux USA, un rôle de Marie dans la comédie musicale sur Jésus (!!) d’Obispo et ça aurait dû lui assurer une carrière. Mais non, il y a autre chose qui coince derrière. Drames perso, plus manque de confiance en soi ? Elle semble en dévoiler plus sur les paroles des chansons de cet album.
La pochette de l’album est joyeuse. Elle a laissé repousser ses cheveux après sa période crane rasé…Du détail mais parfois ça en dit long, l’image dans ce métier. Sur son premier album, “Amazing Problem”, c’était parfois trop conceptuel, trop jazzy pour le grand public mais il y avait un talent vocal indéniable. Cette fois, on attaque directement par une mise au point très personnelle sur Derrière le miroir. “On m’a pris ma lumière”, “j’ai dû courber le dos”, “j’ai cru à des chimères qui m’ont bouffé les doigts”. La voix est claire pour exprimer ce doute de l’artiste, ne laissant pas trop de place à la rage. Cette chanson n’est pas d’elle ( mais de Clotilde Maïnetti), contrairement à beaucoup d’autres sur l’album. Tu sais bien parle plus banalement d’amour alors que J’ai Attendu le printemps est intéressant par sa rythmique, son amplitude vocale, son texte, sa joie communicative. On découvre la chanteuse sous un nouveau jour qui ne s’éloigne pas tant que ça du jazz avec son break. Et le refrain est efficace. Prochain single ?
La déception et la dispute amoureuse reste une inspiration classique. C’est le cas avec Même si ça fait mal en duo avec son ami Matt Simons, rencontré à New York. Les voix s’accordent bien et le chanteur ajoute de la douceur dans ce titre très pop. Je suis plus client d’un joli piano-voix comme A nos coeurs qui aurait pu sombrer dans la banalité sans cette voix et ce talent d’arrangement. Là encore, on retrouve le thème de la musique comme exutoire. La balade C’est quoi? est jolie mais ne décolle pas vraiment et est suivie d’un interlude jazzy. Il fait le lien avec Carte du tendre, titre en anglais et totalement jazz où l’on sent qu’elle prend beaucoup de plaisir. Elle y retrouve aussi les musiciens de ses débuts. Et cela donne un album à 2 facettes puisque l’on retrouve aussi cela dans Track of time plus tard. Le titre L’interlude est plus radiophonique et pop mais j’ai du mal à entendre ressortir sa particularité vocale.
Il y a bien plus d’émotion sur Abracadabra où l’on retrouve ce thème du doute. “J’attends quoi pour tourner la page”. Cela se termine sur une note d’espoir. J’ai des regrets est peut-être le titre qui tente la synthèse entre pop et jazz avec une rythmique plus sautillante, joyeuse sans se départir des thèmes de l’album et d’un refrain pop. Sympa. Le single Dis moi Oui tiens à un bon refrain mais ne peut cacher des faiblesses sur les couplets. Je lui préfère le Je suis perdue. “montre moi le chemin de ma vie sans lendemain” …ce n’est pas joyeux mais l’émotion y est bien plus présente avec de beaux graves et des aigus puissants. La surprise de l’album c’est la reprise de “Tu te reconnaîtras” d’Anne Marie David, vainqueure de l’Eurovision en 1973. Mais une reprise en version turque, que son papa lui chantait. Et après 50 ans, c’est toujours aussi efficace. L’‘album se termine sur le titre qui a permis son come-back dans l’émission The Voice All Stars (sic) , le “Je reviens te chercher” de Gilbert Bécaud. Et voilà tout le drame de l’album : Les meilleurs titres sont des reprises. Il reste comme souvent trois titres qui sortent du lot. C’est déjà pas mal.
S’il y a quelques bons singles, leur personnalité n’est pas assez forte pour marquer aussi durablement que les reprises. On sent cet amour du jazz aussi mais c’est sans doute trop pointu pour le grand public. La fragilité palpable de l’artiste magnifie des titres qui auraient pu rester dans les oubliettes. Il manque pour moi la rencontre avec le/la compositeur/trice plus que l’auteur/trice pour que ça fonctionne totalement. Mais l’exposition du programme de TF1 et les émissions de promotion feront quand même le reste pour cette fois. Peu à peu, elle se rapproche de son Graal, et on ne peut que lui souhaiter de rencontrer ce bonheur qui chassera les doutes, même s’ils nourrissent aussi cette qualité d’interprétation (allez voir le “Chandelier” de Sia, par exemple).