Témoignage - Un si long silence de Sarah Abitbol (avec Emmanuelle Anizon – 2020)

C’est le livre Témoignage qui a changé (j’espère durablement) la fédération française des sports de glace, fait sauter une omerta, et enfin fait chuter le dictateur Didier Gailhaguet. Mais c’est encore un livre utile dans la compréhension traumatisme qu’est un viol, parce que j’entends encore trop d’imbéciles s’exprimer sur ce sujet.

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En préambule, il faut que je vous dise que Sarah Abitbol (avec son partenaire de patinage Stéphane Bernadis) a une place particulière dans mon coeur, celui d’un fan de patinage artistique. Elle a participé à l’âge d’or du patinage artistique mondial (entre 1985 et 2000) et m’a fait suivre la discipline de couple, sachant que je suivais plutôt la Danse sur glace. C’était la TeamColombes de Jean-Roland Racle. Et puis comme en plus j’ai une nièce par alliance qui a fréquenté à très haut niveau ce milieu, ça me touche un peu plus. Sarah Abitbol c’était la patineuse pétillante et drôle à l’époque de sa carrière, la battante qui nous a fait pleuré à sa blessure aux JO de Salt Lake, que j’avais retrouvé brièvement à l’écran lors d’un challenge télé sur glace un peu foireux. Et c’est donc un choc qu’elle dévoile ce drame un jour de 2020.

Ce n’est pas du voyeurisme que de lire cet ouvrage. C’est surtout pour (faire) comprendre le phénomène complexe du choc post-traumatique qui amène du stress chez la victime d’un viol, de l’amnésie et bien plus encore. En cette période de #Metoo et de prédateurs dénoncés par des actrices ou d’autres femmes, il faut arriver à faire rentrer dans la tête des gens, et pas seulement des mâles que ce n’est pas comme dénoncer un vol, un cambriolage. Il faut faire comprendre ce que le corps subit, le psychisme, les défenses (encore mal maîtrisées par les soignants) que le corps peut mettre en place. Vanessa Springora parlait de manière plus littéraire de son cas. Celui de Sarah Abitbol est un autre volet autour du même sujet d’une relation Dominant-Dominé.

Sarah Abitbol s’adresse à M.O, son ex-entraîneur des français volants (que l’on sait aujourd’hui être Gilles Beyer). Elle l’interpelle, lui pose des questions, l’accuse et aimerait avoir des réponses qu’il ne donnera sans doute jamais. Cela commence brièvement par la découverte du patinage puis rapidement le succès en compétition et une famille qui se saigne pour qu’elle vienne à Paris suivre la meilleure formation. Elle fait d’abord la rencontre de Jean-Christophe (Symond, ex entraineur aussi de Bryan Joubert). C’est un peu l’opposé de ce M. O, plus prévenant, plus technique, plus dans l’ombre aussi. Il sera mystérieusement débarqué de cette formation. Est-ce parce qu’il aurait vu cette « ombre » se glisser dans le vestiaire des filles ?

Puis vient la construction de l’emprise, le viol, les viols à répétition, le piège qui se referme sur une jeune fille de 15 ans qui aime d’abord son sport. Sa carrière en pâtit et heureusement elle trouve la porte de sortie du patinage en couple, plutôt qu’en solo. Stéphane Bernadis sera sans le savoir son protecteur, son épaule, son moyen d’oublier et Sarah Abitbol redeviendra la battante qu’elle était… Brièvement. Car vient la terrible blessure, la reconversion, la tentative de reconstruction d’une femme meurtrie, qui pense d’abord que c’est « la petite mort » d’un arrêt de la compétition. Elle cherche à s’en sortir mais professionellement comme personnellement c’est grave. Les médicaments ne suffisent pas, et ce qu’elle avait oublié, cette période des viols, ressurgit.

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Emmanuelle Anizon a su mettre les bons mots sur cette souffrance, sur ce parcours de la combattante qu’est Sarah Abitbol. C’est choc mais aussi touchant et drôle parfois. Il y a, par exemple, cette évocation des chiens, ses Yorkshire terrier qui accompagnaient déjà la patineuse sans que l’on comprenne alors pourquoi. Le livre est court, intense mais dit les choses telles qu’elles sont. On peut avoir quelques envies de meurtre devant la dureté des faits (surtout en temps que parent de victime, j’imagine). Ce n’est pas là que l’on aura trop de confidences sur les coulisses des compétitions, à part les échanges de bons procédés entre fédération pour privilégier un champion de l’une contre le vote de l’autre. Je ne pense pas que quelqu’un doute encore de ce que représente ce sport comme difficulté avec 5 à 6 h d’entrainement par jour pendant des années.

Tout ce que l’on peut espérer c’est que ce témoignage aide non seulement Sarah Abitbol a enfin pouvoir vivre une vie normale mais aussi d’autres victimes de ces monstres. Elle a lu ou rencontrer d’autres personnes touchées par ce crime, ce qui l’a aidé à avancer. Elle évoque aussi le fait que le viol soit prescrit alors que justement le choc post-traumatique empêche les victimes de témoigner immédiatement. C’est aussi un point de juridique hérité du patriarcat et qu’il serait temps, à l’image de bien des pays, de faire sauter. La loi a commencé à évoluer dans les années 80 seulement avant une encore trop lente évolution jusqu’à nos jours. Il y a encore un long chemin à parcourir dans la loi et les esprits de chacun.


Ecrit le : 28/05/2020
Categorie : litterature
Tags : 2020s,féminisme,littérature,livre,témoignage,viol

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