Cinéma - Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma (2019)
Quel regret de l’avoir vu si tard ! Si ce film se mérite, il nous le rend au centuple…
Quand je parle de se mériter, c’est que l’histoire peut ne pas parler à tout le monde, au premier abord : “À la fin du dix-huitième siècle, Marianne, une artiste peintre, dirige une leçon de peinture. L’une de ses étudiantes l’interroge sur l’un de ses tableaux intitulé Portrait de la jeune fille en feu.Des années auparavant, Marianne arrive sur une île bretonne. Une comtesse lui a commandé un portrait de sa fille Héloïse, fiancée à un noble milanais. Mais on informe Marianne qu’Héloïse refuse de poser pour un portrait car elle ne souhaite pas se marier. Marianne est donc présentée à Héloïse en tant que dame de compagnie, et l’accompagne quotidiennement lors de ses sorties afin d’analyser et de mémoriser ses traits pour les recopier ensuite sur une toile.”
Ensuite, il faut aimer un cinéma fait de regards, de silence, de contemplation et cela pendant 2 heures. Mais quelle contemplation déjà. Si un césar a été mérité cette année, c’est celui de la photographie avec le travail fabuleux de Claire Mathon. C’est une succession de plans sublimes avec un travail sur la lumière, sur les plans, les flous. De véritables peintures qui se contemplent à l’écran. Je n’avais rien vu d’aussi parfait depuis le Barry Lyndon de Kubrick, peut-être. Ce sont des décors de Bretagne enchanteurs. C’est aussi une mise en scène léchée où chaque chose est pensée pour avoir du sens. Après l’avoir visionné, j’avais envie de le revoir. Ça tombe bien, il sort en DVD. Il ne faut pas négliger la musique (Vivaldi surtout….) qui réserve des surprises, mais surtout ces silences qui en disent long.
J’avais apprécié le travail de Céline Sciamma scénariste sur “Ma vie de courgette”. J’avais aimé aussi la réalisatrice dans “Bande de filles”. Je ne peux que saluer ce petit chef d’oeuvre de délicatesse et d’intelligence. Tout cela ne fonctionnerait pas sans cette histoire qui mêle féminisme, romance, mythologie. On s’interroge évidemment sur le sens du titre et du tableau. Je n’en dirai pas plus … Mais l’histoire est servie par un duo d’actrice à la hauteur de l’excellence de la réalisation. Adèle Haenel m’avait déjà capté dans “120 battements par minute” mais elle a ce talent naturel devant la caméra, cette intensité parfois sauvage à laquelle il est difficile d’échapper. Je ne connaissais pas Noémie Merlant mais elle est le parfait miroir d’Adèle Haenel. J’avais du mal à comprendre le césar d’Anaïs Dumoustier sur le très scolaire “Alice et le maire”. Je le comprends encore moins maintenant.
Tout cela fait que l’on se laisse emporter par cette histoire, dans ce tourbillon, cette tempête. Céline Sciamma sait parfaitement nous rappeler ce que c’était d’être femme et ce que c’est encore. Elle nous montre cette aspiration à la liberté que l’on refuse toujours, et notamment la liberté d’artiste, de réalisatrice. Que ce film a du être dur à monter, comme la vie de ses héroïnes. Là encore, ce sont des femmes à la production. J’espère que la mise en lumière indirecte au césar permettra une seconde vie à ce film qui n’a fait “que” 300 000 entrées France.