Réflexion - Internet, miroir de l'évolution de notre société
Pour quelqu’un comme moi, qui a connu les débuts de “l’internet”, c’est une évidence. Pour d’autres une découverte? En réalité, c’est une projection en accéléré de l’évolution du monde de l’après seconde guerre mondiale. Même si j’en ai déjà parlé, il est nécessaire de revenir sur l’histoire du réseau.
(article écrit juste avant la période COVID et tous mes billets sur ce thème…)
L’internet des débuts, si on oublie les buts militaires, c’est un échange entre scientifiques, un outil de communication. Et puis, après les scientifiques sont venus d’autres utilisateurs, des “informaticiens”. Je mets des guillemets car derrière ce nom commun se cachent bien des métiers, entre les fabricants de hardware, les gestionnaires de systèmes, les programmeurs, …. Mais nous avions alors un nouvel outil, un nouveau territoire à défricher qui permettait de discuter avec des gens éloignés, inconnus. C’était aussi l’outil qui permettait de mettre “en ligne” du contenu, du savoir, de la création. A défaut de reconstruction, c’était la phase de construction.
Ce contenu, c’était évidemment du scientifique et de l’informatique mais on a vu se développer des sites sur des sujets plus variés. C’était avant wikipedia (2001), c’était pourtant le début de la fin des encyclopédies papier, la fin aussi des éphémères encyclopédies multimédia sur CD-ROM (1993-2009). Quand je vous disais que c’était en accéléré. Pour ma part, arrivé en 96-97 sur le réseau, malgré les contraintes techniques et la lenteur, je me suis essayé assez vite à la création de contenus, avec du pur HTML bien aride mais finalement léger et lisible, et puis en intégrant des sites que l’on n’appelait pas encore “participatif” où l’on pouvait déposer des articles, chroniques. Les blogs sont arrivés un peu après.
Car les premiers contenus étaient plutôt orientés vers les autres, vers les “internautes” en diffusant notre savoir, notre passion, nos découvertes, nos programmes…Et un peu après certains se sont dit que l’on pourrait y mettre nos musiques, pas encore nos films préférés. C’est une autre histoire. Si l’internet de l’époque était payant et coûtait cher en communication téléphonique et en … temps, il n’était pas si commercial que cela. Pas encore trop de publicité, et il fallait payer pour s’héberger. C’est un peu après que des hébergeurs “gratuits” sont arrivés financés autrement. Du fait de l’origine très américaine de l’internet (même si techniquement il a des racines européennes), il ne faut pas s’étonner d’y retrouver les bienfaits comme les travers de ce pays.
Wikipedia à sa création il y a 19 ans
C’est le début de l’internet du commerce, un Internet arrivé très tôt en réalité. Amazon qui n’est d’abord qu’une librairie en ligne, arrive en 1995 sur le réseau mais ne fera des profits qu’en 2001. Ce n’est qu’un peu après que nous, européens, en verront la couleur. Les puissances d’aujourd’hui viennent de la fin des années 90, du début des années 2000, si on fait abstraction des “vieux” Apple et Microsoft. Je mets à part les Facebook, Twitter qui arrivent dans un second temps. Il y a en Europe encore assez peu de commerce parce que nous sommes en retard dans cette démocratisation de l’internet. Il faudra vraiment attendre la démocratisation de ce réseau pour que cela s’accélère vraiment. Le réseau reste encore une affaire de spécialistes et les outils ne permettent pas la mise en place facile de boutiques en ligne. Wordpress ce n’est qu’en 2003 et encore ce n’était qu’un blog. Malgré la bulle internet qui explosa, on pourrait dire que ce sont les 30 glorieuses du réseau.
Les blogs ont commencé au début des années 2000 justement avec des outils comme Livejournal, par exemple. Les Skyblogs, c’est à partir de 2003 surtout. Ce sont des outils simples et gratuits qui permettent de faciliter la mise en ligne de contenu. Mais si jusqu’à présent nous avions des contenus spécialisés avec un certain soin dans l’écriture, l’orthographe et … la politesse, l’arrivée de ces nouveaux “créateurs”, va changer la donne. Avant, on demandait poliment à celui qui avait mis une image de pouvoir réutiliser son contenu. Comme ce n’était souvent pas commercial, cela se passait très bien. Mais très vite, cette partie de la “netiquette” tacite a sauté. Les blogueurs de l’époque ne citaient plus trop les origines des illustrations et même les liens hypertextes ont commencé à se raréfier, les recopies à proliférer. On en perdait l’essence même de l’internet. Les blogs sont quelque part un début de nombrilisme où l’on parle plus de soi que sa passion.
Mais c’était aussi une population plus jeune qui s’est lancé là dedans, avec d’autres codes que leurs aînés. Si nous utilisions cette netiquette, c’est par expérience des travers du monde réel aussi, par connaissance des droits, des risques. La démocratisation (le mot est mal choisi…) je l’ai vraiment ressenti dans la population internet en 2002 en France. L’outil est devenu à la mode. Pour avoir fréquenté des forums, le changement fut net, violent. D’ailleurs il faudrait parler du pseudonymat à qui on colle tous les maux. Mon pseudo date du début et même d’avant (ouep, j’ai fait la “guerre” avec). Nous n’avions aucun besoin d’agir sous notre propre identité car nous ne nous faisions pas de publicité. Nous étions des fournisseurs de contenus ou des participants anonymes dans le bon sens du terme. J’étais presque choqué quand je voyais des gens s’inscrire sous leurs vrais noms en 2002-2003 dans des forums. Certains mettaient même leurs numéros de téléphone. Je pensais déjà risque de dérive car on avait déjà des cas de cyber-harcèlement ou cyber-violence.
Je me souviens de ce clivage apparu dans des forums entre ceux qui fournissaient le contenu, animaient, modéraient aussi parfois, par rapport à ceux qui ne venaient que lire, piochaient, recopiaient surtout. De l’internet du partage, on passait déjà à l’internet du loisir, de la distraction, avant même que le streaming ne s’installe et que cela fasse radio, télévision. Un peu comme la télévision que l’on pensait apte à éduquer et fournir de la culture, on est passé au pur divertissement de masse et cela en bien moins d’années. l’ami Cascador et bien d’autres ont parlé de la perte de “leur internet”. Il y avait alors un internet commercial, un internet publicitaire, marketing, comme un des premiers réseaux sociaux, Myspace, dont on rit aujourd’hui.
En réalité, c’était un site plutôt nombriliste et qui visait à se faire sa pub, en essayant d’être plus simple que le blog, plus illustré et multimédia, avant que Facebook ne facilite encore plus les choses. On ne parlait plus que de soi et on montrait des morceaux de sa vie. A la télévision, il y avait longtemps que l’on parlait télé-réalité en plus, donc ce n’était qu’un simple accompagnement. L’humain aime regarder d’autres humains et souvent pour s’en moquer. On a commencé à tout montrer de soi, ce que l’on mange, où on va, où on est, comme s’il fallait exister par rapport à la masse. Mais on ne se clashait pas encore trop, même si le trollisme existait depuis les tchats et forums.
Ce nombriliste a été parfaitement intégré par une nouvelle génération d’internautes qui venaient pour se la péter. Parmi eux émergea un jeune journaliste plutôt pédant et qu’il était de bon ton d’inviter sur les plateaux pour avoir l’air “à la page (web ?? …)”. Je parle évidemment du tristement lolesque Vincent glad qui tente en ce moment de réécrire sa sinistre histoire. Mais mon très éminent collègue Guy Birenbaum s’occupe de ne pas le laisser ranger ses cadavres dans le placard. Ils trouvèrent dans Twitter un nouveau moyen d’expression pour se valoriser. C’était en effet des petits cons de cour de récré venus pour foutre la merde et former leur petit clan sans rien apporter comme contenu (je vous conseille la lecture de cet article de Florence Porcel pour clore le débat ) . Enfin disons qu’ils faisaient croire qu’ils en apportaient tout en étant des parasites vivant sur la bête. Un peu comme les codes venus du commerce du marketing, ils oubliaient qu’avant de vendre, il faut inventer et fabriquer. Aujourd’hui, ils ont payé…un peu.
Mademoiselle Jeanne Gonin (1821) - Ingres, … parce qu’on ne pense jamais à elle
L’esprit originel de l’internet venait plutôt du hacking, c’est à dire la transformation, la réinvention, l’optimisation. Aujourd’hui, dans la vraie vie, on retrouve un peu de cet esprit dans des milieux alternatifs, dans le bio, dans les repair-café plutôt que dans des start-ups éphémères et sans fond. C’est aussi le milieu du piratage, du défi, dans le sens noble du terme et pas celui de la cyberguerre. Aujourd’hui, on joue justement sur l’amalgame, sur la peur, pour ne pas revoir émerger des partages non commerciaux. Dans la vraie vie, on fait des brevets sur le vivant, des procès à ceux qui resèment les graines de leur jardin. L’internet d’aujourd’hui est finalement à cet image. Notre monde d’aujourd’hui valorise bien plus et paye surtout plus les gens du marketing et du commerce que les inventeurs, les ingénieurs qui conçoivent et améliorent, les techniciens qui entretiennent et valorisent, les ouvriers qui fabriquent et inventent aussi d’ailleurs.
Pouvait-on le prévoir ? Sans doute mais on a cru à une utopie, à l’envie de construire un monde autrement, sans y mettre les bons verrous. Comprenez que mettre des verrous, c’est finalement jouer le jeu du contrôle, ce qui est opposé à cet esprit de hacking. En fait tout était écrit dans ce cycle qui amène à la propre destruction d’un système. Notre individualisme était déjà là et bien là depuis les années 80, les années du libéralisme à outrance. Ce sont des enfants de cette époque (Zuckerberg 1984, ah, ah, … Page et Bryn 1973 )qui ont aussi fait évoluer ce monstre qui ne cesse de bouffer des ressources, environnementales financières et temporelles. Je n’ai d’ailleurs pas vraiment réfléchi moi même à l’avenir que pouvait avoir le truc, testant les nouveautés frénétiquement, découvrant, m’instruisant avec gloutonnerie. Il y avait aussi une part d’égoïsme puis d’égocentrisme à une période, je l’avoue.
En pleine période de virus mondial, de réchauffement climatique on pense à une chute de la civilisation sans même imaginer la chute de ce réseau qui n’a finalement qu’une trentaine d’années. Justement, les virus et autres maladies informatiques se propagent aussi plus rapidement que jamais. On se méfie de tout et on évite aussi de toucher à “n’importe quel site”, ou de fréquenter des lieux trop surpeuplés de gens qui pourraient être malsains. Et pourtant on utilise plus que jamais des sites de rencontre, peu souvent pour construire une vie, plus souvent pour une distraction éphémère et encore égocentrique. Concentrés dans des villes où l’on ne se voit plus, on finit aussi par ne plus nous soucier de nos voisins numériques, les réseaux sociaux n’en ayant que le nom. Des réseaux sociaux qui sont aujourd’hui vus comme des menaces par bien des régimes, à commencer récemment par Donald Trump. Ces mêmes régimes qui mettent en place des applications de traçage utilisant le réseau…
Je ressasse souvent cette question de l’après Internet d’aujourd’hui. Mais je pourrais plutôt m’imaginer cela à travers l’après humanité d’aujourd’hui. Y-aura-t-il un sursaut d’altruisme pour en finir avec notre individualisme ou finalement cela ne sera qu’une victoire des plus forts sur les plus faibles, jusqu’à l’autodestruction finale ? A-ton des moyens de se comparer à d’autres espèces animales pour l’imaginer ? Au fond de moi je ne suis guère optimisme mais c’est aussi ma personnalité d’imaginer des risques et de trouver des parades. Donc je ne jouerai pas les madame Irma. Juste imaginer que les solutions que l’on trouve individuellement et collectivement aux soucis de la vie réelle d’aujourd’hui sont souvent applicable à nos habitudes numériques.
Alors comme je n’ai pas l’intention de rivaliser avec un des derniers billets de Maître B, je vais m’arrêter là, vous laissant la suite pour réfléchir (podcast) et pourquoi pas répondre par un article. Oui, ça se perd malheureusement comme les liens, la lecture des liens. Enfin ça je vous bassine depuis un paquet de temps dessus. Spéciale dédicace aux blogueurs morts ! …le repentir ? mouais