BD - Hitler de Shigeru Mizuki (1971)
Sorti 40 ans après sa publication au Japon, cette oeuvre est atypiqe dans la carrière de cette légende du Manga. Shigeru Mizuki est spécialiste des mangas de monstre mais ce n’est pas pour cela qu’il s’intéresse à Ce Monstre de l’histoire.
En effet, Shigeru Mizuki a vécu la seconde guerre mondiale, embarqué dans ce conflit par cette casto militaro-aristocratique. Il y laissa sa jeunesse et un bras. De ce fait, il s’interroge sur ces personnages historiques qui menèrent le monde au chaos. Cela l’a amené à faire des mangas sur la guerre mais aussi à se pencher sur le personnage principale de celle-ci : Adolf Hitler. Le manga chroniqué ici est donc une biographie bien documentée mais voulue accessible au plus grand nombre par sa forme. On commence en 1911 pour arriver au suicide du dictateur.
J’ai été surpris par le dessin très caricatural, d’abord, même si l’essentiel des planches est très riche en détail et en réalisme. Dans l’édition française, il y a une présentation succinte des différents acteurs du récit, de la nièce du dictateur à des figures plus connues comme Goebbels ou Rudolf Hess. Il faut comprendre aussi que le Japon de l’après guerre connaît finalement mal le volet Européen du conflit mondial. Donc l’auteur tente de cerner les personnalités du jeune Hitler, peintre viré des écoles, SDF, puis militaire héros un peu par mégalomanie, avant qu’il devienne militant politique dans une Allemagne exsangue des années 20 et qui ne rêve que de revanche. Le récit montre justement ce terreau politique et social qui explique la montée de ce petit parti “ouvrier” qui décide de mettre “socialiste” dans son nom par opportunisme. On y voit les rixes avec les communistes, l’égocentrisme et la folie du personnage mais aussi son incroyable culot qui finit par payer. Si j’ai parlé de la nièce, c’est justement que c’est un épisode plus que trouble dans la vie du dictateur et qui laisse planer beaucoup de mystère.
Le risque d’un tel ouvrage, c’est de tomber soit dans la critique pure, soit dans l’hagiographie ou l’idolatrie… particulièrement pour Hitler. Le personnage est ici dépeint comme colérique, psychotique, parfois franchement ridicule mais on voit aussi la progression et la confiance qu’il gagne en public, l’exaltation qui le gagne lors de ses discours. J’entendais récemment un témoigne de Joseph Kessel à l’époque qui dépeignait aussi la transformation qui s’opérait. Shigeru Mizuki le montre aussi dans l’évolution du dessin du personnage, d’abord chétif, maladif, voûté puis qui gagne en prestance, rêvant lui même de porter de beaux costumes comme les aristocrates.
Je n’ai donc pas ressenti la moindre admiration mais la montée jusqu’au pouvoir de ces médiocres dans cette atmosphère de crise sociale est bien une leçon. Leçon peu apprise mais qui fait aussi écho à la dérive du Japon post-Meiji qui mènera le pays à sa perte. Le récit est finalement passionnant et dérangeant à la fois. Le manga d’auteur a eu du mal à percer chez nous par rapport à des séries plus distrayantes. Mais avec “Opération Mort”, c’est peut-être l’oeuvre majeure du dessinateur, celle où il a mis le plus de soi. Aura-t-il pour autant trouvé toutes les réponses ?