Blog - Quand la géopolitique se réinvite par la force...
Je disais en fin d’année que je n’avais plus autant de passion pour la géopolitique. Et pourtant un lecteur (il n’est pas le premier, vilain flatteur) m’interpellait sur le sujet en me disant qu’il appréciait mes articles…Et puis est arrivé Donald Trump avec ses gros… missiles.
Je n’ai pas pu passer à travers ce conflit maintenant ouvert entre les USA et l’Iran. Il y a quelque chose d’étrangement similaire d’ailleurs dans ces deux pays. les deux sont partagés entre des extrémistes et des modérés. Aux USA, on a retrouvé un peu de modération chez les démocrates, sauf qu’ils ne sont plus au pouvoir. Mais le pays est clairement divisé entre une droite évangéliste et une centre progressiste ce que l’on caricature souvent par les côtes démocrates et le centre républicain. En Iran, c’est structurellement déjà que le pays est divisé avec le conseil des gardiens de la constitution qui reste le garant de cette république islamique mais aussi un pays qui vote démocratiquement… pour ceux qui sont passés entre les mailles de ce filet. Dans les faits nous avons eu un pouvoir plus modéré (Hassan Rohani) avec les accords sur le nucléaire mais qui succédait à un régime plus belliqueux (Mahmoud Ahmadinejad 2005-2013). S’il y a eu des révoltes populaires durant ces dernières années, elles sont dues à ce blocus illégal des USA, voire à des pressions extérieures. L’opposition réellement laïque est inconnue des iraniens et expatriée. La population, hautement qualifiée et éduquée est divisée entre des conservateurs religieux et une jeunesse qui rêve de libertés (comme leurs parents leur ont raconté) et d’un avenir meilleur.
Mais que le conflit dégénère aussi rapidement était** peu prévisible**. Il est clair pourtant depuis quelques temps que Donald Trump répond souvent par des diversions lorsqu’il est attaqué en politique intérieure. Il avait utilisé la Corée du nord pendant un temps, le Vénézuela. Cette fois, il a trouvé un nouveau bouc émissaire pour que l’on parle moins de la procédure d’impeachment, des manigances pour “détruire” ses ennemis démocrates. Trump est largement en campagne pour sa réélection et à l’image d’un Macron en 2016-2017, il n’hésite pas à utiliser les moyens de l’état pour faire cette campagne sournoisement. On le voit s’afficher auprès des évangélistes, user de la religion pour justifier ses actions, dire que Dieu est avec les USA. Cette dérive religieuses des USA est au cœur de l’appareil républicain depuis longtemps. Elle était présente chez George W. Bush, chez le Tea Party, des gens comme Palin (évangéliste) ou Mitt Romney (qui est mormon…). Et puis l’arme de la guerre contre le terrorisme est une vieille astuce aussi qui permet de réunir du monde derrière sa bannière étoilée.
Non violence…Nations Unis, NYC
Pour bien comprendre tout cela, il faut revenir à cette croyance des évangélistes que l’on appelle le sionisme chrétien. “Les évangéliques considèrent que l’existence même de l’État d’Israël ramèneraJésussur terre, le fera définitivement reconnaître commeMessieet assurera le triomphe de Dieu sur les forces du mal, pendant que le peuple juif se convertira auchristianisme.” Dit comme cela, cela paraît aussi peu crédible que le fait que la terre soit … plate. Mais cela permet de comprendre aussi l’évolution de la politique US dans le moyen-orient et vis à vis d’Israël. Si Trump a rapidement reconnu Jérusalem comme capitale, c’était pour contenter cette frange de son électorat. Ajoutons à cela les liens pétroliers avec les régimes du golfe, d’obédience musulmane sunnite et ça devient complexe. L’appareil militaro-industriel américain est à la manœuvre chez ceux que l’on appelle néo-conservateurs. Pour eux comme pour les régimes du Golfe, le mal c’est le chiisme, l’autre branche de la religion musulmane. Un peu comme les protestants chrétiens par rapport aux catholiques… encore que ça pourrait plus se rapprocher des chrétiens orthodoxes. Mais il se dit qu’un Think Tank est un peu trop influent autour de l’establishment Trump, aussi.
*Et notre ami suédois n’est pas connu pour être anti-américain *
**Ce qui devient complexe, c’est de mesurer **les conséquences de ces actions dans la géopolitique régionale. Bien sûr, il y a le Hezbollah présent à la fois en Syrie, au Liban, et qui a pris une part importante dans la lutte contre l’Etat Islamique (EI). Sans ce Hezbollah, sans support de l’armée US à minima logistique, il ne reste que des kurdes déjà affaiblis par la Turquie et des Russes qui protègent surtout leurs intérêts géostratégiques. On croit à tord que l’EI est du passé quand il reste des poches prêtes à se reconstituer. D’autant que l’idée de l’EI s’est exportée plus à l’est en Asie ou même au coeur de l’Afrique. L’autre chose à comprendre c’est que l’Iran créait un équilibre aussi avec les influences Saoudiennes et Turques. Déséquilibrer cela, c’est laisser prospérer les deux autres puissances sunnites. Israël est aujourd’hui en affaire avec les Saoudiens mais pourrait se retrouver plus frontalement avec une Turquie avide de revanche politique. Il faut toutefois en modérer la portée car pour l’instant il est difficile de prévoir un après Erdogan.
Dans ces cartes bouleversées, il y a des pays qui peuvent souffrir des effets de bord. Le Liban déjà, au bord de la rupture économique, avec 25% de sa population qui vient de Syrie, une autre part venant de Palestine. On parle aussi beaucoup moins de la Jordanie, dans une posture plus neutre historiquement mais qui subit aussi de plein fouet ces crises dans son économie. Avec une Turquie qui prend aussi pied dans le conflit libyen que la France a aveuglément créé avec les USA, on a la moitié du pourtour méditérannéen qui peut être touché demain par … l’égo démesuré de Trump et les néoconservateurs. Le premier effet de bord a été cet avion ukrainien abattu…Mais quel infâme traitement médiatique derrière, et même diplomatique dans un monde qui n’a plus de mémoire. La réaction des iraniens a été digne dans cette effroyable erreur. C’est une guerre ne l’oublions pas, qu’a déclenché Trump mais on a surtout oublié l’avion de l’Iran Air abattu par les USA en 1988 avec 66 enfants morts et 290 passagers civils. Les USA n’ont jamais présenté d’excuses, ni dédommager les victimes. pire même George Bush Sr a médaillé le donneur d’ordre de ce massacre. Reste alors ce bref mensonge ou message prématuré de l’état iranien dans les premières heures après le drame et à la relativiser. Les Iraniens, eux, vivent aussi avec d’autres mensonges de leurs dirigeants. (NDR : qui a dit comme les nôtres). Mais un peu plus loin, les Sud-Coréens s’inquiètent de ces revirements de Trump qui pourraient mettre en danger les accords avec la Corée du nord.
*Embrasement possible *
Alors, il y a un élément plus difficile à estimer, c’est la réaction des populations. Si en Irak il y a une vraie rivalité confessionnelle entre kurdes, sunnites et chiites, si cela se retrouve aussi au Liban en rouvrant des blessures, la détestation des Etats-unis et des régimes des états du golfe est très forte dans les pays musulmans. Au point que même l’Iran chiite peut susciter une certaine solidarité si le conflit devenait vraiment ouvert. Jusqu’où irait cette solidarité ? C’est une question qu’il faut se poser. Autant vous dire que si le Yemen est oublié par l’actualité, ce n’est pas le cas chez tout le monde. Les Etats-unis pourraient tout perdre au final et le pétrole irakien est déjà bien compromis aujourd’hui. Mais la réaction à l’intérieure de l’Iran est aussi à prendre en compte. Bien-sûr on nous diffuse des images d’étudiants révoltés mais ils restent minoritaires. Il est difficile aussi de savoir quels sont les catalyseurs extérieurs de ces réactions puisque là aussi on connaît des cas d’ingérences dans des états pour les déstabiliser. La chute d’un état iranien, en dehors des effets extérieurs, aurait des effets imprévisibles à l’intérieur du pays, dont on a oublié la période du Chah, sa corruption, ses violences.
Une carte qui date déja (https://notes-geopolitiques.com/lheure-de-liran/)
La Russie reste l’arbitre de la situation, malgré une puissance très moindre. Il faut dire que l’Europe reste totalement absente diplomatiquement. On se demande, d’ailleurs, ce qu’elle a à offrir à l’Iran en échange d’un respect des accords passés. La France avec sa tentative du G20 à Biarritz est encore absente du jeu, comme l’Allemagne pour ce continent, même si les deux communiquent avec le Royaume Uni. Le positionnement pro américain du président Macron après l’assassinat du général Soleimani est symptomatique de cette situation de “mort cérébrale” de l’a diplomatie européenne. La Chine observe patiemment le déclin de son adversaire et va encore tirer habilement les marrons du feu à n’en pas douter par le biais de son commerce, de ses industries et de son … besoin énergétique. Même si pour l’instant, officiellement, la Chine ne commerce pas avec l’Iran pour son pétrole. Il n’y a que la dépendance au dollar et au système bancaire international qui freine encore le lâchage des USA par ses alliés traditionnels, ce qui ne semble pas près de changer.
Toute cette situation est effrayante et en même temps passionnante, dans tous les sens du terme. En effet, il y a deux échéances électorales qui interviennent. D’un coté les élections en Iran vont voir un retour des plus durs ce qui ne va pas arranger la diplomatie internationale dans ses négociations. De l’autre, les élections US s’annoncent perturbées par ces événements et Trump compte sur une coalition derrière lui qui ne pourra que gêner les démocrates. Il a peut-être l’air stupide et inculte mais il a un sens inné de cette conquête et conservation du pouvoir. Je ne crois malheureusement pas en les chances d’une Elizabeth Warren, dans ce qui s’annonce comme une véritable boucherie, avec des coups bas, des “fake news” à gogo. Sanders est trop à gauche et son programme a été syphonné par ses concurrents, Biden déjà vu comme un croulant, les autres étant trop inconnus. Et à part Sanders, il n’y a pas eu de franc mouvement de détente face à l’Iran de la part de ces candidats. En prendre encore pour 4 ans de Trump, c’est ce qu’il risque d’arriver, voir 4 ans de plus de Pence, l’autre extrémiste des républicains. Et puis il y a toujours cette menace nucléaire que l’on fait peser, même si l’Iran n’est pas capable de se doter d’une arme nucléaire dans un délai court. Ce ne seraient que des accords dénoncés dans un premier temps.
Toute cette situation m’a remis un peu le pied à l’étrier. J’ai relu pas mal des contacts et experts que je ne lisais plus. Je suivais déjà un peu la situation au Liban parce qu’inquiet pour des personnes que je connais là bas…Le monde ne fait que se réchauffer dans tous les sens du terme. Comme je le disais, il y a assez peu de lectures sur le sujet en langue française et il faut vraiment mixer des sources traduites (courrier international), des avis tranchés (Monde diplomatique) et des experts étrangers et français qui sont parfois auteurs d’articles dans les quotidiens. Ma vision étant plutôt d’obédience Néo-réaliste, je suis assez effaré de voir la domination des néo-conservateurs et des atlantistes d’un côté et la passivité de mise de l’autre. Je vous passe les réactions particulièrement débiles des réseaux sociaux qui semblent prendre ces conflits comme des jeux ou des feuilletons télé. Nous avons clairement un problème avec les dernières générations qui ignorent tout des horreurs de la guerre. Et dans ces réseaux, j’ai cessé de regarder une situation franco-française qui se dirige vers un chaos certain au profit des plus riches pour regarder ailleurs, élever un peu le niveau de mes lectures.
Bien malin celui qui pourra deviner l’issue de ce conflit. Je reste persuadé que Trump saura ne pas aller trop loin malgré son ego. Il n’a pas une véritable doctrine néo-conservatrice ou évangéliste mais fonctionne plus à l’opportunisme et pour ses propres intérêts. Est-ce que je vais continuer à traiter le sujet ici de manière plus régulière ? Je n’en sais vraiment rien car cela demande du temps, beaucoup de temps, de la réflexion, des recherches et je suis déjà bien occupé par des sujets personnels, le roman feuilleton, etc…J’aurai bien aimé l’intervention d’un blogueur/libriste que l’ami Cyrille B. connaît bien mais qui a un peu pris sa retraite. Ses avis sont toujours pertinents et la confrontation est enrichissante. Puisse la sagesse revenir un peu dans les esprits et offrir à nos amis iraniens un peu de sérénité à nouveau. Ce pays est si accueillant, bien loin des clichés et des dirigeants…Un peu comme la différence entre Trump et les Américains, tiens !