BD - Au coeur de Fukushima de Kazuto Tatsuta (2016)
Voilà un manga bien atypique, en 3 tomes qui nous permet de mieux mesurer ce qu’a été la catastrophe de la centrale de Fukushima Daichi.
Il ne s’agit pas d’une fiction mais d’une sorte de journal de bord d’un travailleur de la centrale APRES la catastrophe. En effet, Kazuto Tatstuta est un pseudonyme mais c’est lui seul qui dessine. Il a été volontaire pour aller travailler à la décontamination du site, de 2011 à 2014, plutôt que de continuer dans des petits boulots. Ce n’était même pas pour l’appât du gain mais parce que pour lui c’était un acte citoyen.
Ayant connu le milieu du nucléaire, j’en ai une vision un peu biaisée et très différente de l’auteur. J’en connais notamment les risques et dangers dans l’exploitation, pas seulement pour ceux qui y travaillent. Tatsuta n’émet ici aucune critique envers TepCo (l’exploitant) ou la myriade de sous-traitants. Il reste factuel, presque clinique dans sa description méticuleuse du quotidien. Il va répéter souvent toutes les procédures, les équipements les habillages et déshabillages, les contrôles pour préserver la santé. A l’heure où la France commence à peine à démanteler une centrale, cela permet de comprendre un peu mieux la difficulté du problème.
En effet, un ouvrier de centrale a droit à une dose annuelle, c’est à dire un suivi où l’on ajoute les doses reçues quotidiennement et mesurées par le dosimètre en Sievert (en milli ou micro plutôt). Il y a une limite fixée de manière journalière ce qui limite le temps d’intervention, notamment dans les zones à risque. Donc pour exécuter une tâche, il n’y a parfois qu’une à deux heures, soit moins que le temps pris à se préparer et à venir sur place. Si on ajoute que ce sont parfois des sous-traitants de rang 3, 4 ou 5, on imagine aisément le coût de tout ce chantier. Tatsuta nous en montre tous les recoins, du personnel de contrôle à celui d’entretien en passant par les techniciens qui vont remettre en sécurité le site. Il a d’ailleurs eu un bon nombre de poste, progressant dans la hiérarchie des sous-traitants et dans son expertise.
N’attendez donc pas de l’aventure ou du suspens. Ici, nous sommes dans le journalisme, dans le reportage. Outre le discours plutôt pro-nucléaire à défaut d’être neutre, je regrette aussi une qualité de dessin très hétérogène. C’est sur que c’est difficile de capturer toutes ces scènes sans pouvoir prendre de photo ou faire de dessin sur place avec ces équipements. Il y a clairement des choses qu’il ne maîtrise pas (les voitures par exemple vont du réalise au caricatural). Ce n’est pas si grave car l’essentiel n’est pas là. Il y a cette solidarité et cette cohésion toute japonaise, cette rigueur malgré les difficultés. Lui qui espérait un climat plus clément qu’à Tokyo, il se retrouve vite dans une fournaise, surtout sous cette couche de combinaisons et masques hermétiques. J’en ai eu à peine l’apperçu en portant des combinaisons chimiques en manœuvres militaires…
Pour qui s’intéresse au sujet du nucléaire, des dangers, du démantèlement, c’est un indispensable. Pour les autres, cela ne restera qu’un manga original mais ennuyeux, ou au mieux une curiosité.