Blog - Covid-19 et moi, épisode 3/?
Suite et à priori pas fin de ce récit d’une période exceptionnelle, dans le sens littéral. Et je vais parler un peu plus de cette vie réelle, dans une ville moyenne de banlieue, même si je suis entourés de gens privilégiés, à 300m d’une cité plus ouvrière.
Privilégié, c’est ce que l’on aurait appelé normal avant que des années de libéralisme forcené ne mettent le supposé “modèle français” à genou. J’ai parlé dans le premier numéro du problème des médecins de ville. J’ai croisé la mienne en fin de semaine dernière, de loin, elle est en forme, ouf. Parce qu’on vient de perdre son prédécesseur d’une crise cardiaque à environ 60 ans…Privilégié, c’est avoir au moins 3 pharmacies dans la ville, des commerces de proximité, comme je citais mon primeur, dépanneur. Privilégié, c’est avoir un laboratoire d’analyse, un laboratoire de radiologie à moins de 5 minutes de chez soi avec des horaires adaptés à la vie active. C’est même avoir un cinéma, une salle de spectacle, et une piscine même si elle a été construite loin de tout et mal desservie par les transports en commun. Privilégié aujourd’hui c’est justement avoir encore des transports en commun, deux gares, même si les horaires et les lignes n’offrent aucune alternative aux personnes retraitées. Tous ces petits riens, on ne les rencontre pas ou plus dans bien des villes et villages en France.
Donc cette semaine, j’ai été confiné avec encore du plaisir dans mon petit chez moi, cette maison paraissant minuscule dans la rue, mais qui a un vrai jardin.** Un véritable luxe** par rapport à ce que nous avions à Paris il y a 15 ans, mais qui se paye pour certains par l’absence d’activité culturelle riche. Oui, mon voisin banquier, issu d’une grande ville bourgeoise du coin, se trouve maintenant trop isolé dans sa grande maison. Il veut sortir, aller dans des soirées, des cafés, etc…Chacun son truc, il n’est pas aussi dérangeant que d’autres de ses congénères avec leurs SUV rutilants changés tous les ans et leur sans gêne affiché à toute heure (non je ne développerai pas). C’est un luxe déjà d’avoir un jardin par rapport à des immeubles HLM de ma ville que l’on réhabilite mais qui restent quand même peu confortables lorsque l’on est une famille nombreuse. Il y a juste un parc en bas, souvent squatté par quelques petites bandes de mecs qui zonent. Le cliché de la cité de banlieue en modèle réduit, mais rien à voir avec ce que je connaissais dans ma ville de naissance. Tu ne te sens pas agressé ici, même quand tu es une femme seule, au moins. Pour ça, il faut juste prendre le train le soir sur notre ligne et qui relie une des villes-dortoirs du département. Comprenez que là bas, le confinement, ce n’est pas une mince affaire. Alors quand j’entends certaines critiques de chroniqueurs des beaux quartiers ou que je vois les fachos de service sortir du bois….
Mais la cité à 300m de chez moi abrite aussi quelques ouvriers de l’automobile qui bossent sur les chaines de ma boîte. Vous n’imaginez pas le monde différent entre la recherche et développement et le monde de la production. Moi bien plus puisque nombre de mes collègues en viennent, de la production. Alors cette semaine, on a dit que **l’automobile c’est le mal **puisque depuis le confinement, la pollution a diminué, comme en Chine. On ne peut pas le nier et pourtant ce n’est pas l’industrie automobile toute seule qu’il faut blâmer, déjà parce qu’elle ne génère pas ces déplacements, elle ne fournit que l’outil, souvent palliatif à d’autres plus respectueux mais indisponibles. Laissez moi d’abord vous parler de ce que l’on vit de l’intérieur.
Il faut distinguer déjà trois mondes qui cohabitent sans toujours se connaître : La production, la recherche et développement et le tertiaire (achats notamment). Je connais deux de ces mondes pour y avoir été, et le troisième pour m’y être intéressé. En ce moment, la production est à l’arrêt, la R&D un peu moins et le tertiaire beaucoup en télétravail. Dans la R&D, il y a ceux qui font des essais et les autres mais là aussi c’est de plus en plus ralenti, surtout chez les sous-traitants et prestataires. Il ne se vend plus aucune voiture (la Chine a vu ses chiffres de février baisser de 90% environ) et il ne s’en vendra pas avant au moins deux mois. Donc pas de rentrées d’argent, donc dépenses toutes annulées en dehors des énergies nécessaires. Ça veut dire investissements décalés pour tout le monde, grosses difficultés de paiement pour des sous-traitants, peut-être même des faillites en décalé si rien n’est fait en sauvegarde. L’effet domino appelez ça comme vous voulez mais tout en haut, il y a des financiers et des banquiers en panique. Je reste là purement théorique car il y a des impacts de décisions des gouvernements et banques centrales. De l’intérieur sur le terrain c’est compliqué. En télétravail on a l’impression d’être privilégié et on ne voit plus du tout ce qu’il se passe en terme de demandes, de charge de travail pour nos collègues. La communication est compliquée avec ceux qui restent sur place qui se sentent délaissés, inutilement appelés parfois et manquent clairement de moyens. Et en plus y aller ne changera rien à cette situation ubuesque, surtout avec un flacon aérosol de désinfectant pour toute protection fournie. Oups, j’oubliais le rouleau d’essuie-tout. Finalement, en toute fin de semaine il y a eu des masques, vous savez les trucs qui étaient inutiles il y a seulement une semaine et demi selon nos responsables. Sans doute que c’est une priorité industrielle nationale mais sur le terrain on la voit nettement moins. J’imagine même que beaucoup d’essais ne seront pas conformes faute de personnels et moyens. Risquer des vies pour ça, “pour garder de l’avance sur la concurrence”, voilà la réalité ! Comme les collègues officiellement contaminés depuis cette semaine. (Ailleurs à Cléon aussi…)
Et donc il y a l’automobile comme source de pollution. Sans automobile, on sent que l’air est plus respirable. Ceux qui roulent témoignent de cette fluidité du trafic. Ça aide aussi les livreurs. Oui mais voilà, nous sommes toujours très inégaux face à cela. Si je peux personnellement faire mes courses de première nécessité à pied à moins de 1km de chez moi, ce n’est pas le cas de beaucoup de mes concitoyens et même de mes collègues. La voiture devient indispensable. Se faire livrer ? Déjà c’est aussi polluant et ça n’est possible partout non plus. Sans parler de l’aspect social ou c’est le moins cher qui emporte le marché mais au prix de la fragilité. Cette crise devrait mettre en lumière cette inégalité criante déjà durant la crise des gilets jaunes, celle de l’aménagement du territoire. On n’en parle pas, laissant la lumière (enfin…) sur celle de la santé. Il faudrait parler aussi de nos interdépendances entre les pays, les entreprises…Vaste sujet. On n’arrête pas de parler de relocaliser. Là, on en voit l’urgence. Comme j’ai dit précédemment, ce qui a été gagné en délocalisant sera payé 100 fois maintenant.
Alors on aboutit à **des interdictions **de marchés ouverts sauf si… Encore heureux car il y a beaucoup de villages qui n’ont que ça comme fourniture de denrées, ou bien des camionnettes itinérantes. Et même il y a des endroits où c’était un commerce de proximité faute de mieux pour les plus pauvres. Qu’a-t-on proposé à la place ? Rien. Parle-t-on aussi de l’inégalité d’accès aux informations, par exemple celle des mairies et administrations ? Si la télévision inonde d’informations, ce ne sont pas les locales. En ce moment, ça transite par Facebook et Twitter plus que sur le site de la mairie. D’ailleurs ça fait un moment. J’ai croisé le maire qui faisait la tournée des commerces restant à la pharmacie. Il était pris, dommage…L’information est d’ailleurs le parent pauvre de cette crise, paradoxalement. comme le gouvernement, ça part dans tous les sens et tous les autres problèmes du monde sont oubliés. Des syriens continuent de mourir à Idleb, à s’entasser, n’osant plus tenter leur chance dans une traversée vers un pays infecté. Mes contacts dans la région me rapportent aussi du confinement. L’Arabie saoudite fait n’importe quoi avec le pétrole. Et puis on préfère émettre des critiques sur la Chine et sa gestion, ça peut faire diversion.
Au fond, j’y vois une résurgence de cette** arrogance de l’occident** vis à vis de l’orient (voir aussi cet article d’un ami du beau frère, grand connaisseur de la Chine) On a regardé les Chinois faire quelques erreurs, prendre des mesures radicales ensuite et cela en se disant qu’on était tellement mieux qu’eux. Je remarque juste qu’un hôpital se construit avec 1000 places en moins de temps que l’on met à faire le notre pour 30 lits. Pauvre armée française qui n’a pas changé depuis mes 10 mois il y a 23 ans, sinon qu’il n’y a plus des appelés pour combler les manques. Oui il y a eu de l’arrogance chez les politiques et les médecins. Si j’ai comparé au début à la grippe en trouvant étrange ce décalage de traitement, c’était pour mettre en lumière que pour une grippe qui fait déjà 8000 morts/an (sans doute plus si on compte les morts en maison de retraite) on ne fait pas grand chose à part un vaccin. Je prenais déjà des mesures barrières pour la grippe. Ça faisait rire… la seule différence que j’y voyais était l’absence de vaccin donc de maîtrise des conséquences. Je ne m’attendais malheureusement pas à une telle gabegie. Et puis l’arrogance entre médecins est patente, à coup d’annonce et de contre-annonce sur un médicament miracle. Dans une catastrophe, il y a des pertes, des erreurs. On comptera après mais avec recul.
Je pense souvent à l’après. Je ne me fais pas d’illusions, il n’y aura pas beaucoup d’amélioration dans le système de santé et les gens retourneront à leur petit égoïsme. Pourquoi je le sais ? Parce que je fais pareil quand je rentre d’un voyage dans un pays en voie de développement, par exemple. On se dit qu’on exagère dans notre comportement de tous les jours, nos petites envies de riche, et puis petit à petit on revient à ses habitudes. Donc il en sera de même à part quelques fusibles qui paieront pour les autres dans le traitement de cette crise. Par contre je me dis que ça peut changer des choses pour notre manière de consommer. Le drive, malgré un problème de dimensionnement, a peut-être élargi sa cible. Peut-être qu’on utilisera à nouveau quelques commerces de proximité autrefois ignorés. Mais par contre ça accentuera sans doute le fait d’être livré et aussi la part du télétravail. Gagner 2h de transport par jour, ça pèse chez certains dans ce choix. Ca met en lumière aussi des fractures numériques, des manques dans les moyens de l’éducation, des erreurs sur l’accessibilité, etc…
Ce qui m’inquiète un peu plus, c’est ce que ça fera comme dégâts chez les plus fragiles, ceux déjà dans des situations familiales compliquées. Imaginez un couple au bord du divorce obligé de cohabiter et un enfant qui ne peut plus sortir pour fuir les disputes. Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres. Des dégâts, il y en a aussi chez nos amis profs, très investis dans cette période, jusqu’à l’excès. J’ai entendu des témoignages de parents qui n’y arrivent plus et qui se rendent compte enfin de ce que c’est. J’ai aussi entendu des disparités entre les classes dans la prise en charge dans cette période. J’ai aussi lu les articles de Cyrille, ….Édifiant. Je parlais des manques d’infrastructure informatique. C’est la première étape. La seconde va être de trouver des outils à la hauteur de notre technologie actuelle et de sa prise en compte par l’ensemble de la population. Il faut le répéter, tout le monde n’a pas un PC chez lui et ne sait pas l’utiliser correctement. Il faut arrêter de mettre la charrue avant les bœufs et regarder la réalité en face. Donner un pc, non, si on tient compte de sa durée de vie. Mettre des sites accessibles par différents terminaux et pratique, oui. Il y a du boulot, notamment pour des ergonomes.
Le confinement apporte au moins cette capacité à repenser nos activités. Mais on peut vite partir aussi sur de fausses bonnes idées. J’ai peur souvent d’oublier les réalités du terrain lorsque je mets au point des processus, des solutions alors je me force à retourner voir. Le confinement c’est finalement notre petite tour d’ivoire. On s’imagine les plus riches comme ci, les plus pauvres comme ça, les voisins comme ci et on oublie même ce que l’on est, ce que l’on était. Je parlais avant de notre arrogance vis à vis des chinois mais n’est-elle pas inhérente à l’humain, au moins dans notre éducation occidentale ? Je m’interroge vraiment tout comme je commence à me dire qu’il faut conclure ce billet. Mon vieux matou doit se dire cela aussi à vouloir me dissuader de taper sur le portable pour l’utiliser comme radiateur. J’ai des chats confinés aussi, pour raisons de santé ou qui tiennent au comportement. Moi vouloir être chat…