Blog - Têt
Pour ceux qui ne le savent pas, le Têt, c’est la version vietnamienne du nouvel an asiatique. C’est aussi mon “marronnier” annuel de blogueur. Sauf qu’à force d’expliquer en long, en large et en travers ce qu’il se passe, je ne sais plus trop quoi dire…. Ah si.
Peu à peu, cette fête du nouvel an asiatique s’installe dans notre année, surtout parce que c’est l’occasion de vendre, de consommer… Et c’est vrai que je trouve toujours des “séries spéciales” de produits dans les magasins. Après la sauce Maggi (qu’on retrouve dans le Banh Mi, le sandwich vietnamien) version nouvel an chinois, j’ai trouvé aussi des paquets de riz siglé de l’animal de cette année. Mais quand je vais chez les épiciers du 13ème arrondissement de Paris, le quartier “chinois”, c’est l’explosion de rouge et or. On a des boîtes de gâteaux de toutes sortes, des sucreries et confiseries avec le gingembre, la graine de lotus, le melon d’eau, la patate douce, …. J’ai même trouvé des Moon cakes qui ont fait la prolongation de la fête de la lune de la fin d’année (15ème jour du 8ème mois lunaire). Cela monopolise deux rayons en général, voir trois et il vaut mieux y aller 2 semaines avant la date (cette année c’était le cochon le 5 février).
Il y a du monde à la pagode
Je vous ai parlé de quelques plats spécifiques à cette fête au Vietnam, comme le Banh Chung, par exemple. Mais c’est l’occasion de réunir toute la famille et de faire** une grande table avec des plats différents. S’il n’y a pas beaucoup de desserts en général (quoique avec du lait de coco, du tapioca, il y a énormément de variantes), il y a des soupes, des nouilles, des raviolis, des grillades, des plats cuits longuement dans des feuilles de bananiers, du riz, etc…avec de multiples herbes et plantes. Je n’ai pas parlé encore d’un met pas du tout végétarien, le Nem Chua, le fameux porc fermenté présenté dans de petits paquets carrés blancs réunis dans un filet. Ils sont à consommer avant la date fatidique et on les laissera le plus longtemps possible si on aime ce goût. Là, il n’y a aucune version végétarienne (on dit Chay en vietnamien), et si on consomme ce plat au Laos, il n’a pas été “volé” par les chinois comme les Nems ou les Rouleaux de printemps. Car **dans l’esprit de beaucoup de gens, encore, chinois=asiatique !
Et puis, les invasions et guerre ont aussi permis ces mélanges et adaptations. Ainsi les raviolis grillés japonais appelés Gyozas ne sont rien d’autres que des raviolis chinois (plutôt Pékinois) adaptés à une cuisson plus typique du japon. Les Yakisoba typiques de la cuisine de rue au Japon, sont un emprunt aussi des nouilles chinoises de blé sautées avec en plus une sauce plutôt d’origine occidentale (Worcestershire) et des légumes. Le cas de la fondue mongole est aussi intéressant puisque j’ai retrouvé ce plat en Corée, en Chine, au Vietnam et il y en aurait une version japonaise également. La vulgarisation liée au nouvel an asiatique nous fait intégrer plus facilement des plats asiatiques dans notre vie de tous les jours. Je me souviens encore quand mon grand père a mangé la première fois des germes de haricot mungo (soja) lors d’un séjour à l’hôpital. Il devait y avoir des cuisiniers asiatiques et ils avaient intégré cela dans les habitudes culinaires. Aujourd’hui, nous n’y pensons même plus, tout comme le Couscous et la Pizza sont devenus des plats courants en France.
Les commandes sont prètes
D’ailleurs on parle souvent du nouvel an chinois, oubliant qu’il s’agit d’un nouvel an lunaire qui est fêté dans une grosse partie des pays d’extrême orient, notamment l’Asie du sud-est. Mais avec une population chinoise majoritaire, une domination économique mais pas encore culturelle, cette confusion est compréhensible. Il faut déjà comprendre que la Chine, malgré la domination Han, comprend bien d’autres ethnies, religions, langues, un peu comme si nous confondions des suédois, des portugais, des turcs et des polonais en Europe. Et donc il y a toute la variété culinaire qui va avec. Malheureusement, les restaurants chinois en France ne sont pas représentatifs de cela, venant souvent d’une même région (alors qu’on en dénombre huit, “officiellement”), surtout au nord-est et mélangeant tout cela avec des goûts occidentaux plus neutres, et des plats d’autres pays d’Asie. Comme les restaurants japonais sont aussi détenus par des chinois, voir des vietnamiens en France, on rajoute à cette confusion avec des adaptations amusantes, comme le Maki Printemps, mélange de rouleau de printemps viet/chinois et de Maki japonais.
Avec mes habitudes végétariennes, il m’est plus difficile d’aller à la découverte des spécialités de chaque pays, et notamment celles du Vietnam. Le nouvel an me le permet plus facilement à travers les quelques pagodes présentes sur notre territoire. On y fait souvent des fêtes, avec chacun qui apporte ses spécialités. C’est mon rendez-vous annuel avec cette ambiance si particulière, conviviale, de partage. Sinon, quelques restaurants végétariens existent mais j’ai souvent été déçu, à part un qui a aujourd’hui disparu (le monsieur est à la retraite et son fils a préféré une cuisine plus occidentale). Chaque année, je parviens à découvrir encore un autre plat, dont j’ai du mal à saisir les noms, malheureusement. Rien que le rouleau de printemps peut avoir plusieurs nom selon la région, la recette, au Vietnam. Idem pour ce qu’on appelle ici nem et qui s’appelle chả giòau sud et nem ránau nord. En France, on rencontre peut-être plus de personnes du sud-vietnam mais c’est compliqué après de comprendre les menus dans le pays. Car au Vietnam, aucun souci pour manger végétarien, même si on peut se retrouver avec des repas très….light. Je ris encore de la fois où j’ai du me contenter d’un bol de riz dans le train, faute de pouvoir me faire comprendre, ou de Banh Cuon (ravioli vietnamien) sans aucune farce. Maintenant, je repère mieux les pagodes et je connais mieux les périodes propices aux menus chay.
Nous aurons droit encore à des images de cette transhumance mondiale qui fait que l’on retrouve la famille et que de une semaine à un mois, l’activité professionnelle est en berne. C’est comme le repas de Noël puissance 1000. Quelques boutiques seront fermées par chez nous à cause de cela alors que j’ai connu la capitale vietnamienne vidée de sa population pendant une semaine. Impossible de prendre certains moyens de transport, mais il y a aussi un esprit de fête que je n’ai pas retrouvé depuis. Tout le monde se met sur son 31 et le soir même, on fait les offrandes aux ancêtres en les brulant dans la rue. Je me souviens d’une discussion entre expatriés à Pékin, par contre qui parlaient du changement d’ambiance, de mode de vie dans la capitale chinoise. Tout va plus vite, il y a une certaine perte de chaleur, pour eux, et je parle de personnes qui étaient là bas depuis plus de 10 ans. Je pense que je ne retrouverai pas forcément la même ambiance aujourd’hui à Saigon (HCMC) dans ce que j’ai vu de la ville récemment, même si l’évolution du pays n’est pas au même niveau que la Chine mais dans les villes de province, cela ne change pas aussi vite. Il y a plus de routes, des destructions de quartier, un métro, et des bâtiments de métal et de verre de plus en plus haut et brillants.
J’ai un petit problème avec l’architecture internationale qui rend tout uniforme, malgré la créativité des architectes. Mais j’y joindrais aussi le postmodernisme et ses abus. Je voyais un reportage sur Shangai et les projets les plus fous (un immeuble avec une cascade en façade, par exemple) et à aucun moment je me suis dit : “là, je suis en Chine”. Sans le commentaire, j’aurais pu être n’importe où en Chine, en Asie, dans une grande capitale mondiale très dynamique. Pas évident d’inclure des références locales dans des formes qui doivent être à la fois modernes, solides, fonctionnelles et démonstratives de la puissance. Surtout que pendant longtemps, on faisait appel à des studios occidentaux, ou sinon des architectes proches du pouvoir, à défaut d’être les plus talentueux. Mon contre-exemple, c’est l’ancien palais présidentiel de Ho-Chi-Minh-Ville (Saigon), appelé aujourd’hui Palais de la réunification. L’architecte Ngô Viết Thụ fut d’ailleurs reconnu par ses pairs pour ce travail qui allie des références traditionnelles à une allure moderne, remplaçant ainsi l’ancien palais aux allures coloniales. Car il fallait aussi afficher une rupture, politiquement et culturellement.
Aujourd’hui, si l’on parle du nouvel an chinois plutôt que vietnamien (dont le nom rappelle la sanglante offensive), c’est évidemment pour la taille du pays mais aussi par l’influence géopolitique de la Chine. Dans beaucoup de pays d’Afrique et d’Amérique du sud, la Chine tisse son influence. En Asie, elle construit les “nouvelles routes” de la soie et y diffuse aussi sa culture. On parle de développement économique de régions oubliées mais tout cela se fait à marche forcée, sans trop de considérations écologiques. Le Vietnam, coincé encore dans la lutte d’influence USA-Chine, cherche sa voie dans la croissance. Et cela ne se fait pas sans heurts dans les régions rurales, autour des grandes villes. Si je regarde épisodiquement le journal de la chaîne de télévision d’état, on ne parle évidemment jamais de ce genre de choses mais d’investissement, de “progrès”. J’ai vu pas mal d’aberrations dans le développement du pays avec des zones de pêches cédées aux complexes hôteliers… mais qui restent vides, des aéroports sur-dimensionnés avec 4 avions par jour. Des échecs de la planification qui font aussi échos à nos échecs hexagonaux ou ultramarins.
La nécessaire croissance du pays (oui, il y a des besoins élémentaires aussi dans ce mot), qui reste un des plus optimistes du monde, doit aujourd’hui se confronter à d’autres problématiques comme la pollution, l’explosion démographique des villes, le réchauffement climatique…. La famille américaine de madame était étonnée de voir le Vietnam aujourd’hui, quand on a partagé quelques photos, il y a quelques années. En 50 ans, c’est une transformation radicale et ils avaient l’impression de voir un pays riche, surtout par rapport à leur région désindustrialisée des USA (Rust belt), qui n’avait rien à voir avec le pays qu’ils avaient quitté. On ne peut se rendre compte de cela qu’avec beaucoup de recul. Les images ne suffisent pas et derrière quelques richesses, il y a de grandes inégalités qui se creusent. J’ai parfois peur que le pays perde son âme, comme parfois je l’ai vu dans un sud plus occidentalisé. Je suis toujours choqué de voir des centre-commerciaux avec les mêmes enseignes que chez nous, GAP, H&M, Mc Donalds, Apple… C’est aussi ça la mondialisation.
… il s’agit d’un faux ! copyright VNExpress
Alors, parler et surtout vivre le Têt, c’est aussi l’effet inverse, la diffusion d’un peu de culture d’un pays. Je n’ai pas parlé d’autres aspects comme l’histoire, ses héros, ses légendes,(j’en garde pour l’année prochaine :p ) ou encore la musique qui est très influencée par la Chine mais a aussi ses spécificités. J’ai quelques documentaires en mémoire sur ce sujet mais je n’ai pas l’oreille assez exercée et la connaissance de la langue pour en parler. Mais je m’aperçois aussi peu à peu de ce que l’on porte en soi de l’histoire de sa famille, à travers des recettes de cuisine, aussi. Retourner voir ses racines permet souvent de mieux comprendre, comme une Madeleine de Proust, justement. Le Têt est aussi une occasion pour madame de revenir à des souvenirs d’Enfance, à des odeurs, des saveurs, des couleurs. Apprendre peu à peu comment faire des plats, les adapter, c’est aussi un voyage dans le temps, l’occasion de parler de la vie d’autrefois. Et même si l’on n’est pas né dans le pays mais qu’on est juste fils ou fille de, il subsiste un indicible lien qui finit un jour par s’exprimer.
Et donc, le soir venu, par la magie d’une box et de quelques chaînes de télévision, nous nous retrouvons à regarder le spectacle de la télévision vietnamienne, son feu d’artifice tiré à Hanoi, DaNang, HCMC, et notamment de la récente tour Vincom Landmark 81 (la 14ème plus haute du monde) qui s’illumine de mille feux. Nous retrouvons ces endroits où nous avions vu un spectacle similaire, il y a quelques années, cette ambiance, … Un petit morceau de Vietnam qui nous parvient le temps d’une soirée. A l’année prochaine.