BD - Moi, René Tardi, prisonnier de guerre au Stalag II B de Jacques Tardi (2012)
Après avoir rendu hommage à son grand-père, Tardi s’attaque à l’histoire de son père et, à travers lui, à celle des prisonniers de guerre de la seconde guerre mondiale. il lui faudra 3 tomes pour être complet sur le sujet.
L’histoire de René Tardi, c’est celle d’un fils de poilu qui n’a jamais vraiment connu son père, même de son vivant, tant la guerre l’avait broyé. Mais c’est aussi celle de la défaite de 1940, cette débâcle dûe à l’arrogance de l’état-major, à la désorganisation, l’impréparation, l’ignorance et/ou la complicité des politiques… René Tardi s’est engagé dans les chars dès 1935 et il verra bien cette défaite se construire, que cette armée qui se disait la première au monde, n’était qu’un leurre. Il parle peu de sa rencontre avec sa femme, de la naissance du petit Jacques, mais plus de ce début de carrière militaire, son apprentissage des chars, le Hotchkiss H39.
Puis vient la mobilisation, l’attente de l’ennemi, les convois alors que les civils fuient le nord et l’est de la France. Il ne faut que quelques jours pour que de chef de char, il ne tombe à prisonnier, non sans avoir donné la mort à ceux d’en face, un traumatisme difficile à décrire. Il y a le transfert vers ce stalag de Poméranie (actuelle Pologne), les mauvais traitements, la chaleur insoutenable puis le froid, la faim, cette envie de crier sa haine de ce monde. Tardi raconte cela en ce mettant à la place de l’Enfant qui demande à son père de lui raconter l’histoire, alors qu’il a commencé à récolter ces informations dans les années 80.
Ce traumatisme durera 5 ans…De quoi voir la nature humaine, ne pas comprendre l’attitude de certains qui collaborent avec l’ennemi dans le camp, dans les fermes alors que René Tardi se fait porter malade, sabote son travail, etc…Cette histoire, je l’ai entendu de mon grand-père, qui lui aussi a pourri la vie de ses geôliers comme il pouvait. Sauf que lui n’était pas PG (prisonnier de guerre) mais prisonnier “politique”, et que je n’ai jamais pris le temps de retranscrire aussi méthodiquement son histoire, qui ne dura pas 5 ans…Après ces 5 ans (un premier tome de 180 pages), il y a l’après, le retour tout d’abord, puis la reconstruction d’une vie après la guerre, le regard des autres pour ceux qui ne sont ni des héros de guerre, ni des résistants, ni des juifs de retour des camps, ni des collabos : L’indifférence. Il y aura même l’humiliation de son propre père…
Tardi nous raconte cela avec son style habituel, ses couleurs grises, rouges, sépia. Il laisse le vocabulaire de son grand-père, celui des biffins de l’époque, les mots allemands retranscrits comme on les comprenait. Le lecteur peut aussi mieux comprendre pourquoi la réconciliation a été si dure avec l’Allemagne pour cette génération sacrifiée. Là aussi, je me souviens de mon grand-père et de ce qu’il me racontait, lui qui avait aussi perdu son père 25 ans plus tôt, qui n’a plus retrouvé ses amis d’avant-guerre, qui a vu aussi ceux qui ont profité de Vichy, qui ont retourné leur veste au bon moment, se sont achetés des témoignages pour sauver leur tête à la libération. Tardi nous offre encore trois ouvrages essentiels pour le devoir de mémoire. D’autant plus importants en ce moment que l’on oublie ce qu’est une guerre, ce qu’est la haine de l’autre, l’endoctrinement de masse et tout ce qui a amené à ces millions de morts. Car Tardi parle aussi des russes, des polonais, des belges, tous ces militaires, ces prisonniers croisés dans les camps ou sur le champ de bataille. Avec tout cela, Tardi nous donne l’histoire de l’Europe du 20ème siècle, une petite histoire qui en a fait une grande. Une fois de plus, merci Jacques Tardi.