Littérature / Document - Sodoma de Frédéric Martel (2019)
Très médiatisé lors de sa sortie mondiale, ce gros ouvrage ( 638 pages) fait allusion à la fameuse ville de Sodome, la comparant au …. Vatican actuel. Il s’agit en fait d’une enquête sociologique sur l’homosexualité dans la cité papale.
L’auteur, Frédéric Martel, est journaliste, écrivain mais aussi spécialiste de la question homosexuelle. Il ne s’affiche donc pas comme neutre vis à vis de son sujet. On peut même le considérer comme un militant de la cause LGBT à travers ses précédents écrits. Mais qu’on ne s’y trompe pas, le livre n’est pas un pamphlet contre l’église visant à “outer” (dénoncer) les prêtres homosexuels, ni même un livre sur les problèmes de pédocriminalité, viols d’enfants, de religieuses, ou même sur le célibat (il fait bien la différence entre tout cela dans l’introduction). Il s’agit bien plus d’une enquête basée sur des interviews, l’exploration d’archives, de documents dé-classifiés et autres coupures de presse et témoignages écrits et connus. Au fil de la lecture, j’ai moi même vérifié quelques uns des faits cités par l’auteur.
Il y a donc un faisceau de preuves démontrant la forte présence d’homosexuels au coeur du Vatican, avec notamment une fameuse lettre d’un prêtre qui voulait plus se venger du pape François que dénoncer ses petits camarades. Il n’y a donc pas d’outing mais des citations de cardinaux, nonces, monsigniore qui ont déjà annoncé leur homosexualité, beaucoup quittant l’église ensuite. Mais la théorie qui émerge de cela, pour l’auteur, est que plus un prêtre dénonce l’homosexualité, plus il y a de chance qu’il soit lui même un homosexuel refoulé. Une théorie qu’il tend à défendre, à argumenter sans en faire une généralité pour autant. Ce n’est pourtant pas l’élément le plus passionnant
Le sous-titre est “Enquête au coeur du Vatican” et c’est effectivement digne d’une bonne série d’intrigue et de conspiration. Il y a clairement deux camps qui s’affrontent entre les conservateurs et les ultras face aux progressistes et gauchistes. Le Pape François se range plutôt dans ce camp, contre les premiers qui étaient représentés par son prédécesseur. Mais Bergoglio (son vrai nom) est aussi un Jésuite difficile à saisir, habile politicien malgré quelques bourdes parfois (le traitement psychiatrique des homosexuels), disant parfois tout et son contraire mais avançant méticuleusement ses pions en abattant ses adversaires. La placardisation de Burke ou la condamnation de Pell sont à ranger dans les actions majeures de ce Pape pour survivre dans ce petit monde. Mais la décision récente sur Barbarin est peut-être plus complexe qu’il n’y paraît. L’auteur nous plonge dans ces conspirations d’alcôves à l’aide de ses interviews successives, réalisées parfois par une équipe d’enquêteurs.
Malheureusement, l’ouvrage souffre de redondances, d’éléments récurrents qui finissent par perdre un peu le récit. Bien que non chronologique, il y a des méandres complexes pour arriver à une conclusion incertaine, tant sur la personnalité du pape que sur cette fameuse théorie énoncée plus haut. Il y a des longueurs inutiles sur certains passages alors que la présentation de certains des personnages clés manque ou arrive trop tard. Et puis je goûte assez peu les passages où l’auteur tente de faire de la littérature, dans des envolées presque lyriques mais un peu ridicules. Cela dessert le récit, comme par exemple la description des appartements du Cardinal Burke (un grand ami de Donald Trump, hum….)
Le militant orienté à gauche qu’est l’auteur a du mal à cacher sa sympathie vers certains des personnages. Pourtant, cela se lit plutôt bien mais amène à un doute général sur l’ensemble de la curie. Derrière ce problème d’homosexualité se profile justement la question du célibat forcé et des frustrations. La religion Catholique est effectivement plus touchée par les scandales sexuels, bien qu’ils existent aussi dans d’autres religions…notamment celles qui prônent un célibat. Martel souhaitait-il démontrer que le lobbyisme gay dénoncé par les conservateurs n’était pas où l’on croyait ? Entre l’intention et le résultat, difficile de faire un choix de lecteur.