Littérature - Pour que je sois la dernière de Nadia Murad (2018)
J’avais à coeur de lire cette autobiographie de la Prix Nobel de la paix 2018. Déjà parce que je connais mal son histoire et celle des Yézidis, mais aussi pour le sujet même.
Préfacé par Amal Clooney, la célèbre avocate internationale, l’ouvrage est dur mais passionnant. Je pourrais dire qu’il se lit comme un roman si l’histoire n’était pas aussi terrible et tragique. Car Nadia Murad raconte le génocide des Yézidis, le dernier en date si on fait abstraction de celui en cours en Birmanie avec les Rohingyas, et le quasi génocide du peuple Yéménite. Les Yézidis sont une des ethnies présente en Irak, une religion à part, monothéiste mais qui ne vise aucune conquête. Nadia est une jeune fille qui vit à Kocho, un petit village au nord de l’Irak. Elle n’aspire qu’à une vie tranquille, à des études mais la guerre autour d’elle va en décider autrement. Après l’occupation américaine, après les brimades de certaines populations sunnites, c’est quelque chose de bien plus terrible qui arrive avec la banière noire de l’Etat Islamique d’Irak et du Levant.
Le livre commence par quelques explications sur le peuple Yézidi, sur sa religion. Puis Nadia Murad explique sa vie, la pauvreté de sa famille dans le village, les relations avec les autres tribus. On comprend un peu plus de la situation irakienne rien qu’avec cela. Et puis la menace se rapproche jusqu’au siège du village, encerclé par les combattants. Ils appellent au secours, via les frères et cousins qui sont ailleurs. A Washington, à l’ONU, au Kurdistan, à Bagdad, leur appel reste sans réponse. Les habitants de Kocho se disent qu’on va peut-être les rançonner, simplement les chasser dans les montagnes mais certainement pas les tuer tous. Et un jour, les combattants de l’EI entrent dans le village, les parquent dans une école, séparent les femmes des hommes, les jeunes des vieux, ….
Et cette histoire là rappelle bien d’autres génocides. Les juifs ne croyaient pas à l’extermination massives lorsqu’on les envoyaient dans des trains pour l’est mais la réalité fut plus terrible que les pires cauchemars. Ici, pour les Yezidis, cela ne s’arrête pas là car si les hommes sont abattus, les femmes sont envoyés comme esclaves sexuelles dans les villes détenus par l’EI. Ce récit est terrible et on pense à ce que faisaient d’autres armées, comme les Japonais à Nankin, par exemple. Il n’y a même pas de mots assez forts pour décrire ce qu’a vécu cette femme, beaucoup d’autres comme elles. Les mots employés dans cette traduction n’y suffisent même pas et je tremble encore de l’horreur de ces scènes que Nadia Murad décrit autant qu’elle le peut.
C’est un témoignage essentiel qui permet de comprendre le drame de Yezidis mais aussi de tous les peuples qui subissent les guerres, les massacres, les génocides. J’ai pensé à des réfugiés de guerres civiles récentes que j’ai croisé et qui n’osaient parler des horreurs qu’ils avaient vues. C’est aussi entendre le déracinement, le déchirement d’être loin de son pays juste pour survivre. Nadia vit en Allemagne à la fin du livre et témoigne aussi de ce vide dans sa vie d’aujourd’hui qu’elle remplit en se consacrant à 150% à ce que les coupables soient jugés. Elle veut voir en face d’elle des gens condamnés, juste pour qu’elle soit la dernière. Et pourtant, au moment où j’écris ces lignes, le viol continue d’être une arme de guerre, de génocide dans d’autres pays du monde. L’autre lauréat du prix Nobel de la Paix, Denis Mukwege, consacre aussi sa vie à “réparer” les victimes, autant qu’on puisse le faire.
Alors ce livre n’est bien sûr pas dépaysant, pas joyeux mais dépeint la réalité de ce monde dans toute sa cruauté. Il montre les pires dérives des humains, les mensonges des faux prophètes, les hésitations dans les relations internationales, la diplomatie. J’ai repensé au Rwanda en lisant cela, j’ai repensé au Cambodge et j’espère ne plus repenser un jour aux Yezidis ou aux Rohingyas. Et ce week-end même, des images de retour d’enfants Yézidis dans leurs familles étaient diffusées…