Réflexion - Ce monde du mensonge

Je me souviens d’une lointaine conversation avec mon grand père au sujet de la retouche photographique et des images de synthèse. Je lui expliquais que bientôt il serait impossible de faire la différence entre réalité et mensonge dans ce que l’on voit… L’avenir m’a donné raison.

Au point qu’aujourd’hui je m’amuse beaucoup moins à transformer mes propres photographies pour les améliorer comme je le faisais il y a 10 ou 15 ans. Mon oeil a appris aussi à faire le tri dans toutes les images dont on nous abreuve dans les magazines, les publicités… Mais encore faut-il être attentif. Le recadrage, l’effacement d’éléments, quand ils sont bien faits deviennent quasi indécelables. Mais heureusement ou malheureusement, les contraintes de production laissent de moins en moins de temps de faire un bon boulot de retouche et les fautes sont souvent grossières. Une des dernières photos publicitaires de mon employeur nous a fait beaucoup rire mes collègues et moi, par exemple, tant les ficelles sont grosses pour qui prend le temps de la “lecture” des différents éléments. Utilisation d’une photo de “stock”, erreurs d’ombre, flou de bougé approximatif, c’était un festival de la retouche. Si seulement cela ne concernait que la publicité, cela serait encore tolérable mais hélas, ces manipulations ont aussi des visées politiques, sociétales…Il y a heureusement quelques solutions pour vérifier ce qu’il en est.

Nous sommes aujourd’hui dans la folie de la “fausse nouvelle” (fake news) et chaque média s’est doté d’une équipe de “vérification” qui essaye de détecter les rumeurs à la mode et d’en prouver la véracité ou non. Cela devient même n’importe quoi quand on va dans du futile, du people mais il faut bien vendre du papier, de l’abonnement, de la … pub. Le problème est que dans ce brouhaha médiatique de “fausses nouvelles”, on finit par croire que tout est faux, ou partiellement vrai. La philosophe Hanna Arendt disait dans un article, “Quand tout le monde vous ment en permanence, le résultat n’est pas que vous croyez ces mensonges mais que plus personne ne croit plus rien. Un peuple qui ne peut plus rien croire ne peut se faire une opinion. Il est privé non seulement de sa capacité d’agir mais aussi de sa capacité de penser et de juger. Et avec un tel peuple, vous pouvez faire ce que vous voulez”. Les changements politiques récents dans le monde montrent que ces propos sont pertinents, même dans notre “pseudo-démocratie” qui a élu une nouvelle caste du mensonge, contre la peur d’une peste brune. Les extrêmes (je mets l’ultra-libéralisme dedans) s’utilisent toujours les uns les autres.

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Cf 42eme minute

J’avais fait un article polémique il y a 5 ans sur un des premiers sites de “fausse information” qui étaient sortis. Cela m’avait attirer des attaques ciblées, des trolls d’extrême-droite, etc… J’avais étudié un peu la méthode qui consistait à mêler de vraies informations avec des mensonges dans un savant mélange pour faire finalement croire à tout et n’importe quoi. Cette méthode est ancienne et récemment, le Rassemblement national en a usé pour faire croire que les réfugiés avaient plus d’argent que les retraités. Le mensonge est toujours séduisant, la séduction du Diable diront les plus dévots. Aujourd’hui, on arrive à faire croire que des mesures coûtent 10 milliards alors que ce n’est qu’un déplacement de dépenses, récupérées par ailleurs, mais le coût de la non-réaction/anticipation à la révolte n’est pas compté. On arrive à faire croire à de faux chiffres de remontée du grand débat en cumulant réponses numériques, participants à des débats locaux quand ce sont souvent les mêmes qui font les 2. Et puis il y a toujours le chiffre des manifestations, éternel débat entre manifestants et pouvoirs, surtout quand les manifestations sont éclatées comme aujourd’hui. Pour avoir relaté des manifestations par le passé, j’ai bien constaté que le mensonge était partagé entre les deux camps et que la vérité se situe au milieu. Tout ce que j’avais récolté par mon propre compte, c’était des critiques des pro et anti qui n’avaient pas l’honnêteté d’avoir fait la même démarche, évidemment! Mais dans un monde où l’image est omniprésente, je n’arrive même plus à vérifier les chiffres par des photos qui peuvent être habilement cadrées ou détournées. Chacun y va de son propre intérêt dans l’histoire.

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cycles d’activité du soleil

Le mensonge qui me dérange le plus, ces derniers temps, c’est celui autour du Réchauffement climatique. Il n’y a aucun doute sur ce phénomène de la part de tous les climatologues, d’autant plus que nous sommes dans une période basse des cycles du soleil. Mais la presse grand public, qui n’y connaît pas grand chose en science, se délecte du moindre contradicteur pour lui offrir une tribune inespérée. Il en est allé ainsi de l’ancien ministre et chercheur Claude Allègre dont le livre sur le sujet était un tissus de manipulations, contre-vérité, et mensonges. La presse scientifique s’en est fait l’écho, tout comme le journaliste Sylvestre Huet dont je vous conseille la lecture de son blog. Il reste dans tout cela un doute dans la tête des gens sur le fait qu’il y ait vraiment une source humaine dans ce réchauffement climatique, tandis que tous les éléments factuels ne se discutent plus depuis des années. Le seul point difficile à estimer est l’étendue des dégats à venir en fonction par exemple de l’activité nuageuse qui protègera plus ou moins la terre. C’est ainsi qu’on peut parler de fonte totale de glaciers provoquant une montée des eaux de 6 m ou avoir une estimation plus basse. On peut se poser la question de l’intérêt d’un tel mensonge mais quand on regarde qui finance les recherches dans le monde, hors climatologie, on comprend mieux que des scientifiques dont ce n’est pas la spécialité s’insèrent dans ce débat qui ne devrait plus exister. (celui sur les solutions, si…) Dès que je suis dans une conversation sur le sujet, j’entends toujours une personne qui reprend la théorie des cycles terrestres, avancées par les climato-sceptiques.

Le mensonge est une arme terriblement destructrice et souvent utilisée comme contre-feu. J’ai en mémoire un reportage sur l’ancien ministre Charles Pasqua qui parlait de sa technique pour étouffer les scandales. Il fallait provoquer un contre-scandale, discréditer l’adversaire. Récemment, je ne peux m’empêcher de penser au scandale sexuel autour de Nicolas Hulot, sorti par un éphémère magazine qui a disparu après un mois. Avec le recul, aujourd’hui, on peut se demander si ce n’était pas une contre-attaque d’un lobby qui en voulait au ministre pour ses actions. Il suffit de relire ce qui se disait dans la presse pour chaque scandale aussi (Benalla, Cahuzac, Fillon) sur les accusateurs, de regarder qui étaient les relais des accusations contre les accusateurs pour mieux comprendre les rouages de ces contre-feux. L’effet de bord est de croire à de perpétuelles conspiration, à un mensonge généralisé alors qu’il n’est souvent le fait de quelques éditorialistes ou directeurs de rédaction toujours près à aller dans le sens du pouvoir, quel qu’il soit. Tous les bords politiques de gauche à droite ont utilisé un jour cette arme scélérate dans la guerre médiatique. Je ne serai pas surpris, qu’au lendemain de l’annonce de la vente d’une grosse part d’Aéroport de Paris, on ne nous trouve pas un bon petit contre-feu médiatique pour occuper le landerneau…

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un chiffre… beaucoup d’explications

Et puis ne dit-on pas “Qu’importe que l’on parle de moi en bien ou mal, pourvu qu’on parle de moi” (attribuée à Léon Zitrone mais inspirée par d’autres, dont Oscar Wilde) ? Le mensonge se retient plus souvent que le démenti qui paraît plus tard. La saturation des médias a été théorisée, le risque étant qu’à force on finit par avoir un effet inverse. Mais lorsqu’il s’agit d’insinuer une idée, l’effet des réseaux sociaux est autant à prendre en compte que la bonne vieille rumeur. Chaque année, on voit revenir cette fausse idée des chômeurs qui fraudent et ruinent l’assurance chômage (on parle bien moins des radiations de plus en plus importantes, de la fraude aux cotisations du côté entreprises, de la progression du travail au noir), des réfugiés qui viendraient pour profiter d’aides sociales plus importantes que les petites retraites (risquer sa peau sur un bateau pour ça , ne paraît déjà pas illogique mais il suffit d’aller voir les conditions d’accès sur le site service-public pour comprendre que c’est faux). Des idées qui ne viennent plus seulement de partis extrémistes mais aussi du centre, car “diviser pour mieux régner” est une maxime toujours valable. Aujourd’hui, on fait aussi ce que j’appelle le mensonge d’amalgame qui n’est pas seulement “les politiciens tous pourris”, mais de faire croire qu’un cas particulier devient une généralité : Trouver quelques “gilets jaunes” racistes ne permet pas de dire qu’ils sont tous comme ça. Trouver un président complotiste (bouh, les russes sont derrière tous les problèmes européens) ne permet pas de dire que tout son gouvernement pense pareil. Trouver un ou deux fonctionnaires absents ne permet pas de dire qu’ils sont tous fainéants. Trouver des libristes harceleurs de leurs petits camarades ne permet pas de dire qu’ils sont tous cinglés…

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Fuyant la critique de Pere Borrell del Caso (1874)

Notre monde de l’image et du “buzz” permanent se délecte des marchands de mensonges. Quand bien même on sait qu’ils disent n’importe quoi, on les invite à longueur d’année sur les plateaux de talk-show, dans les matinales radio. Pas plus tard que le week-end dernier, je tombais sur du Asselineau et ses délires paranoïaques (bien sur, parmi cela, il y a aussi des vérités…) et Philippe De Villiers qui nous sort de la théorie du complot. Plutôt que d’inviter des gens qui ont des critiques constructives, proposent des alternatives argumentées, on fait dans ceux qui refusent tout, critiquent pour vendre, sortent des phrases chocs juste pour que l’on parle d’eux, justement. Et surtout ce sont des gens qui refusent finalement tout débat d’idée, comme cela devient le cas pour de plus en plus de choses. On est même dans la caricature permanente. Ce n’est pas un hasard si les “leaders” que recherchaient les médias dans les gilets jaunes répondaient à ce profil caricatural et a lentement dérivé vers des “grandes gueules”.. Tiens justement le titre d’un talk show radiophonique recherchant le buzz continuel en se clashant sur du néant. Et puis le mensonge c’est de se dire que si Internet, créé il y a pile 30 ans, est devenu ce qu’il est, c’est de la faute aux GAFA…C’est surtout de Notre faute. Partir d’un partage de connaissances pour en arriver à du commerce et des lieux où l’on s’invective, il fallait le faire !

En effet, après ce tableau peu réjouissant, nous pourrions penser que ce monde est devenu un enfer comme jamais. En réalité, ce n’est **ni pire, ni mieux qu’avant **car le mensonge a toujours fait partie de l’humain. Mais les situations font que ça ressort plus ou moins. Parfois nous détournons le regard pour ne pas voir. Et l’histoire comprend toujours ces périodes sombres et hystériques où l’on se monte les uns contre les autres. Prenez les USA après la seconde guerre mondiale. Avec la guerre froide, la bombe atomique, la peur montait et a été instrumentalisée dans une conquête de pouvoir. Un certain sénateur Mc Carthy (qui changea de crémerie pour mieux se faire élire) trouva opportun de lancer une chasse aux rouges et ainsi de faire chuter quelques figures de pouvoir. Heureusement, son manque de talent le condamna vite dans son propre camp et ne le fit pas accéder à l’investiture. Mais si on regarde le parcours d’un certain Orban en Hongrie, on trouve de curieuses similitudes, mais à une autre échelle, dénoncer un système que l’on a utilisé pour accéder aux cercles du pouvoir puis se faire élire en agitant la peur du pire, c’est une technique qui fonctionne très bien…oserai-je dire qui marche ? Je suis assez effaré de voir une situation où chacun use de la peur plus que de l’envie pour se faire élire dans notre monde occidental. Les peurs et les complots se construisent si facilement.

Dans le dernier magazine Polka, une équipe de photographe s’est amusée à reconstituer de célèbres photos par des maquettes. Ainsi on voit défiler toutes les scènes qui donnent lieu à des théories du complot : 11 septembre, L’homme sur la lune, l’assassinat de Kennedy…La démonstration par l’absurde fonctionne-t-elle pour dénoncer le complotisme ou pour alerter le public que l’on doit toujours aller à la recherche de la vérité ? J’ai comme un doute sur l’effet de cette méthode, même si le travail est remarquable. Savoir lire une image est une chose qui s’apprend longuement, comme l’on apprend à bien composer une photographie par exemple. Il faudrait rajouter aussi comprendre la communication puisqu’aujourd’hui c’est une discipline omniprésente. Rien n’est choisi au hasard dans ce que l’on voit. Et si certains choisissent de choquer, comme Oliviero Toscani, d’autres préfèrent la mise en scène léchée, les éléments symboliques. La profusion d’image, le matraquage médiatique sont des éléments pour construire une histoire plus belle qu’elle n’est en réalité. Ainsi, on va reconstruire l’image d’une marque en montrant un passé supposé. On va aussi donner l’impression de l’écoute en filmant des heures durant un organisateur de réunions publiques qui détourne pourtant bien de l’argent public pour financer une campagne européenne…Même si une procédure est lancée ensuite, le mal sera déjà fait et aucune élection ne sera annulée.

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un montage de Toscani…Effet pour la marque ?

Le plus exaspérant, finalement, c’est que dans cet engrenage du mensonge, même les plus intègres sont poussés peu à peu à utiliser les mêmes méthodes. Pour certains on dira que c’est du populisme (mot tiroir … compte triple), pour d’autres on ne dira rien. Et le mensonge finit par pourrir tout, jusqu’à la confiance de chacun. Comment s’en sortir, se demande-t-on ? Le moins pire apparaît comme la solution souvent mais le moins pire est-il toujours celui que l’on croît, ou que l’on présente ? Prenez l’Inde, par exemple avec des élections en perspective. Le dirigeant actuel, Modi, nationaliste et libéral, a trouvé un moyen d’avoir à la fois le soutien de puissance, de faire du nationalisme pour sa frange droite au risque d’une guerre avec le Pakistan au sujet du Cachemire et de donner des gages aux plus démunis…. Une habile manœuvre qui semble le guider vers la réélection quand les alternatives sont soient corrompues, soient communistes, soient centrés sur des problèmes ethniques. Alors le moins pire devient le conservatisme, l’apparente stabilité qui se transforme souvent en fuite en avant. En Algérie on parle beaucoup des manifestations contre Bouteflika… mais peu du fait qu’il est réélu dans des élections au suffrage universel. L’analyse est alors moins glorieuse pour ce que l’on croît être la démocratie, même en considérant une part de fraude. Peut-être tout simplement parce que l’on se ment à soi-même en voyant l’avenir comme un passé fantasmé.

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Je pose ça là et je vous laisse chercher un peu…

Je regardais il y a quelques jours un documentaire sur les recherches pour aller avant le big-bang, quelque chose qui défie même notre propre logique humaine puisque les lois de la physique ne sont plus admises alors. C’est proprement fascinant et il doit y avoir des milliards de dollars dépensés pour recréer ce phénomène (infiniment petit avant l’expansion de l’univers), basé sur des théories qui seront peut-être remises en cause demain. Et je me suis forcément dit que cet argent aurait été mieux utilisé pour préparer l’avenir… Mais en même temps, ce qui n’était pas dit, c’est que la compréhension de ces phénomènes peuvent aussi déboucher sur des découvertes scientifiques qui aideront à l’avenir. Le choix d’orienter vers telle ou telle recherche est complexe même si une chose est sûre pour moi : L’humanité ne “dépense” pas assez pour sauvegarder sa propre planète au regard du risque et de l’urgence. L’humanité se ment à elle même et ce mensonge est aujourd’hui au cœur de toute notre vie, touchant les ressources pour se nourrir, s’abreuver, s’abriter, etc… Les petites maneuvres des élections sur un continent paraissent bien anodines face à cela, surtout quand le débat est déplacé vers la peur des extrèmes plutôt que le fond (projet européen, avancées sociales, écologie, place de l’Europe dans la géopolitique, par exemple). Et pourtant cela sera dans ce mensonge que devra émerger la vérité pour sortir l’humanité de son impasse. Bon courage… Je vais déjà commencer par ne plus me mentir à moi même sur d’autres sujets, ça sera plus simple, car la première chose est souvent de se regarder soi-même pour mettre ses actes en phase avec ses idées :-)

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Ecrit le : 16/03/2019
Categorie : reflexion
Tags : journalisme,photographie,politique,Réflexion

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