Cinéma - Les Misérables de Ladj Ly (2019)
C’est le film qui fait le buzz en ce moment, dans le bon sens du terme. Encore un film sur la banlieue me direz vous ? Moi je m’inquiétais presque de cette mode, comme si ce n’était peut-être pas mérité.
Le réalisateur vient du documentaire et du cours-métrage. Ca se ressent très vite dans cette peinture très réaliste d’une situation qu’il connaît bien, celle de Clichy - Montfermeil. Réaliste… mais extrême car les banlieues ne sont pas toutes dans cet état. C’est là qu’intervient le parti pris de mise en scène, le choix de l’histoire : “Stéphane, qui est policier, quitte Cherbourg pour se rapprocher de la mère de son fils. Il intègre la brigade anti-criminalité de Montfermeil où il fait équipe avec Chris et Gwada. Alors que le trio fait sa tournée journalière, ils rencontrent les différentes personnes influentes dans le quartier. Stéphane, encore habitué aux méthodes de sa ville, est un peu perdu et a du mal avec les actes de Chris, qui agit en caïd pour se faire respecter. La journée est émaillée par une altercation entre les gitans d’un cirque et les habitants de la cité. Un petit garçon à la peau noire aurait volé un lionceau appartenant au cirque, et les gitans menacent la communauté noire si leur lionceau n’est pas ramené dans les 24 heures”
J’ai forcément confronté cela à ma propre expérience des banlieues, celle des quartiers qui ressemblaient à celui-ci ou y ressemblent aujourd’hui surtout. Ici, il n’y a plus vraiment de zone contrôlée par le trafic de drogue, de zone où la Police ne va plus. Le clientélisme y est décrit avec des anciens chefs de gang devenus “grands frères”, des petits dealers indics, des anciens taulards devenus imams des frères musulmans. Tout ça crée un statu quo avec la police qui se contente d’éviter un débordement de trop, une guerre de gang ou d’influence. Mais la situation est surtout cantonnée à ce territoire de la cité. Et pourtant nous sommes en France… c’est ce que dit la belle séquence d’ouverture ou le pays se retrouve uni dans la victoire du football puis boublie ses enfants.
Evidemment, le parallèle avec La Haine de Kassovitz est à faire. Cette fois on ne suit pas directement un groupe de personnage de la cité mais ce jeune policier. Le personnage de Cassel pourrait exister dans cette galerie de portrait. Il faut noter l’excellence du casting qui fait que le film fonctionne très vite. Il y a cette même tension qui saisit le spectateur et ne le lâche plus jusqu’à cette fin… C’est un film politique, comme Ma 6T va craquerde Jean-François Richet, même si ce n’est pas la même charge qui est présentée. Il n’y a pas que le méchant flic et le gentil flic, le méchant jeune et le gentil jeune. La phrase d’Hugo qui termine le film résume bien : “Il n’y a pas de mauvaise herbe ou de mauvais hommes mais de mauvais cultivateurs”. On peut vraiment dire qu’ils se sont succédés avec brio ces cultivateurs, depuis 60 ans.
On a appris dans un plan com voulu par le gouvernement, que le Président Macron avait été très touché par le film et avait demandé des solutions…Hum. Il n’a pas été touché, il a simplement eu peur…Car découvrir la situation aujourd’hui à travers ce film quand on est politique, c’est confirmer qu’on vit en dehors du monde, qu’on ne s’intéresse pas à ses semblables. Pas un scoop ça… Mais cette impression qu’on utilise toujours ces quartiers à travers des effets d’annonces. Je vous laisse justement découvrir cette fin percutante, violente, où le réalisateur réussit à être sur un fil, sans jamais basculer dans le côté donneur de leçon. Il décrit un ghetto mais ce n’est pas qu’un territoire, c’est aussi un ghetto des idées, des envies, des possibles qui finit par gagner tout le monde. Je ne sais finalement pas si Ladj Ly n’a pas accompli simplement le film de sa vie, au vu de sa filmo et de cette vérité qui transpire de chaque image.
Un film qui ne m’a pas forcément appris grand chose mais qui remet avec talent le sujet en lumière. J’ai juste la certitude que ça ne sera pas le dernier sur ce sujet…