Blog - Et un jour, le mur tomba
Que le calendrier est bien fait puisque l’on fête pile aujourd’hui les 30 ans de la chute du mur de Berlin, une date qui m’a particulièrement marqué.
Comme beaucoup de petits français des années 80, j’ai fait allemand première langue. C’était une manière sournoise de faire une sélection mais bon, passons…J’avais donc fait quelques voyages en Allemagne avant cette année 1989. Même si ma municipalité communiste avait un jumelage avec une ville d’Allemagne de l’est, c’était bien en Allemagne de l’Ouest que j’avais voyagé. J’ai donc découvert la Forêt noire, la Bavière ou la Rhénanie-Westphalie, régions relativement proches de la France. Et puis une fois, une seule, j’avais entraperçu l’autre côté, le bloc de l’est comme on disait avec une frontière. Et quelle frontière… un No man’s land en pleine cambrousse avec du côté est des miradors et des gardes, des barbelés. C’était au cours d’un séjour linguistique et nous étions un groupe de français et de japonais à contempler cette Allemagne de l’est tant fantasmée. C’était en …. 1988. Ah si j’avais su !
un peu de ce que j’avais vu…
Car ma jeunesse a été bercée par cette guerre froide que l’on voyait dans les films. Quelques années plus tôt, on avait la grosse propagande américaine des années Reagan dans le Rocky IV où Stallone va mettre la pile à Dolph Lundgren qui jouait le méchant russe. Normal qu’un Nordique joue le russe, ah ah …. On avait pléthore de films d’espionnage, jusqu’au plus amusant comme le James Bond de Bons Baisers de Russie. C’était le manichéisme de l’epoque aussi avec le mal en face et nous du côté du bien, hum. Cette situation paraissait immuable, même si les missiles étaient peu à peu détruits suite à des accords entre USA et Russie. On parlait pourtant de Perestroika depuis 1985 avec l’arrivée d’un certain Mikhaïl Gorbatchev. On parlait d’un syndicat d’ouvriers des chantiers navals polonais comme d’un symbole. En 1986, l’accident de Tchernobyl avait aussi fendu le bloc de l’est avec des conséquences à l’ouest. En fait, cette Perestroika ressemblait beaucoup à ce que la Chine a fait avec Deng Xiaoping ensuite, la réussite en moins, si on considère ce qu’il est arrivé après.
Le mur de Berlin, c’était le symbole de cette séparation entre est et ouest dans une même ville. La Capitale allemande, pour moi, c’était Bonn, quand pour beaucoup, cela restait Berlin. L’Allemagne, c’était une présence française , beaucoup de bases américaines et j’ai eu l’occasion d’en voir, d’en traverser même dans mes divers séjours. C’était une atmosphère curieuse puisque à la fois militaire mais sans le côté renfermé que je connaîtrai plus tard dans mon service. Et puis on a senti que le bloc de l’est prenait l’eau de plus en plus avec des situations économiques de plus en plus critiques. J’avais l’image des magasins vides et des files d’attente mais après tout, il y a de la propagande dans tous les sens. Mais ça prenait l’eau en Tchécoslovaquie, en Allemagne de l’est, en Pologne, en Roumanie après cet été 1989. Difficile de savoir qui a été le vrai déclencheur, un peu comme les “printemps” précédents ou suivants. La chute de Jaruzelski en Pologne ? On parle aussi d’une rencontre avec Kohl en 1988 où Gorbatchev négociait une aide économique pour un bloc de l’est aux abois.
**Les demandes de départ **des allemands de l’est vers l’ouest ont grimpé durant ces années et pourtant on n’en voyait pas grand chose. Jusqu’à ce que la Hongrie et la Tchécoslovaquie ouvrent les portes (à partir de Février). Les Allemands partaient alors dans ces pays en “vacances” puis se retrouvaient sur les routes. Cela n’a pas duré si longtemps car finalement, cela a débouché sur une ouverture des frontières et la chute d’un mur devenu inutile. Tel des dominos, tout le bloc de l’est s’est écroulé en quelques mois avec le régime de Ceaucescu en Roumanie, par exemple. En 1990, je repartais justement en Allemagne, en Forêt noire et en Bavière. J’allais enfin pouvoir voir cette migration sans précédent des allemands de l’est dans leur propre pays, pas encore vraiment réunifié.
Pour l’instant, je n’avais suivi cela qu’à la télévision, passant des soirées à voir tout ce qui se disait sur la situation jusqu’à l’apothéose, le mur qui se brise à coup de masses, les morceaux gardés en souvenir par ceux qui voyaient enfin la lumière…encore que c’était la nuit. On se disait que cela allait être compliqué. Mon grand-père voyait la grande Allemagne reconstituée avec angoisse. Et on découvrait maintenant des témoignages sur la réalité de l’est, on parlait déjà de la Stasi, de règlements de compte à prévoir. On regardait l’étonnement des est-allemands devant ce grand barnum que semblait être l’Allemagne de l’ouest. Il y avait de la fascination et il n’y avait pourtant aucune chaîne d’information en continue. J’avais de l’espoir, celui de la paix et pourtant un espoir teinté d’angoisse par ces disparités entre les deux Allemagne, la jalousie inhérente à l’humain.
La différence était énorme entre les niveaux de vie et même la culture. Cela commençait par des voitures d’un autre age que l’on croisait sur les routes, les Trabant et les Wartburg (la version pour les riches). Les formes, les couleurs, le bruit, la fumée bleue, tout était amusant mais les allemands de l’est ne tardèrent pas à troquer ces reliques pour des occasions de l’ouest. Pourtant, c’était mode, la Trabant, qu’il fallait presque pousser dans les côtes du sud de l’Allemagne. J’en ai même vu arriver quelques temps plus tard jusqu’en France, plus ou moins bien “customisées”.
Mais l’été suivant, j’étais en Allemagne, le sud de l’Allemagne et j’ai fait la connaissance d’allemands de l’est de mon age. Rien ne m’a paru très différent pour cette génération qui avait profité un peu plus de la porosité des dernières années mais qui découvrait encore timidement cette liberté retrouvée. On s’amusait au tennis de table ensemble et, chose curieuse, on découvrait tous un même pays, l’Allemagne de l’ouest. J’ai correspondu quelques mois encore après avec ce jeune allemand de Dresde. Cette ville était pour moi le théâtre d’un des pires bombardements de l’histoire, un tas de cendres après la seconde guerre mondiale. Mais à ce moment là, c’était redevenu une ville industrielle de l’est mais qui subirait de plein fouet la réunification et la remise à niveau entre les deux Allemagnes. Je ne me souviens plus vraiment aujourd’hui de ce que faisait ses parents, eux qui avaient entrepris un si long voyage pour rejoindre la région de Fribourg, bien plus long que le mien, surtout avec une voiture peu véloce comme leur Wartburg.
Dresde en 89
Au delà de ce souvenir de vacances et cette rencontre, il me reste le souvenir d’avoir vécu un petit moment de cette histoire, d’avoir vu la fin de la guerre froide, même si nous continuons d’en vivre des conséquences. La réunification est un cas d’école intéressant, même si on pourra toujours discuter des aides perçues, des disparités dans le pays et de la possibilité d’appliquer ce même cas à d’autres pays qui ont connu des séparations. C’était un peu comme un morceau de cette Allemagne de l’est que j’avais vu alors, de ce bloc de l’est si secret. Nous n’étions finalement tous que des hommes et des femmes qui arrivaient à se comprendre alors que l’on croyait qu’après ce conflit et cette séparation, cela serait compliqué.
En idéalisant, cette réunification semble s’être bien passée 30 ans plus tard. L’Allemagne nous apparaît encore comme un modèle mais tout n’est pas si rose derrière des chiffres de la macro-économie. On peut aussi s’interroger sur la faculté d’intégration des différents pays de l’est et des aides versées à chacun, ou bien le rendez-vous manqué avec la Russie de l’époque post-chute du mur. A l’époque, je ne réalisais pas encore la portée de tous ces choix, de la chute de Gorbatchev par exemple qui n’est pas aussi bien vu dans son pays que chez nous. Je ne saurais dire si c’est vraiment la réussite que l’on nous montre aujourd’hui où s’il n’y a pas encore les germes d’un futur conflit dans cette Europe où l’on continue de parler d’ouest et d’est, mais économiquement maintenant. Tout juste peut-on remarquer que de nouveaux extrémismes et conservatismes ont repris le pouvoir dans beaucoup de pays de l’Europe centrale et de l’est, bien loin de cet idéal de liberté et de ce sentiment de fraternité. Avec 30 ans de plus, nous verrons bien car qui aurait pu prédire cet événement en 1959. Et qui sait aussi ce qui marquera les générations actuelles et à venir ?
Aujourd’hui nous reconstruisons des murs autour de nous, entre nous, en oubliant presque ce qu’était ce mur, cette frontière entre un même peuple, ce dont était issu ce mur. Il reste des frontières et des murs dans les têtes, même entre allemands. Le vent du changement que l’on pouvait sentir dans la fin des années 80 a laissé place à un faux calme comme si nous étions dans l’œil d’un cyclone. J’espère que nous en sortirons les plus indemnes possibles.
Et comment ne pas terminer par la chanson symbole de ce moment :