Blog - Le don ne suffit pas
Hasard de la vie, encore, j’écoutais à la radio la psychologue Arielle Adda parler des enfants et adultes “doués” et de l’inadaptation qu’ils peuvent rencontrer dans leur enfance jusqu’à l’âge adulte. Et pendant tout ce discours, je revivais beaucoup de ma propre vie.
Je ne me considère nullement comme un surdoué, surtout dans la caricature qu’on en fait (et qu’elle a battue en brèche justement dans cet interview) mais juste quelqu’un qui fut “en avance” comme on dit, ce qui finit par me jouer des tours au fur et à mesure du temps. Aujourd’hui, avec le recul, je comprends bien mieux ce qui m’est arrivé et ce que je dois faire pour aller contre cela. C’est dans cet esprit là que j’écris cet article.
J’ai appris à lire assez facilement sans avoir vraiment d’avance au CP en primaire. J’étais plutôt doué aussi pour dessiner à cette époque, comme j’ai pu le souligner dans “ma BD” mais rien qui pouvait montrer une prédisposition particulière. J’ai assez mal vécu le CE1 car je faisais un blocage sur cette institutrice, trop sévère à mon goût, et qui forçait à faire des apprentissages au lieu de me faire prendre du plaisir dans cela, mais j’avais toujours de très bonnes notes. La notion d’apprentissage et de plaisir sont très liées pour moi…créant vite des blocages. Je me suis mis assez tôt à la lecture par moi même, lisant tout ce qui me passait sous la main à la maison puis à la bibliothèque. J’étais curieux de tout, de l’histoire, des histoires de fiction, des BD (pas trop, mes parents n’aimaient pas) et même des gros dictionnaires de mes grands parents. Le CE2 arrive et c’est l’ennui alors que j’aimais beaucoup ce vieux professeur, sévère pourtant, dont beaucoup se moquaient. Tout ce que l’on me donnait à lire me semblait pour des “bébés” et je vivais très mal cela. Je me souviens que l’on a proposé à mes parents de me passer au CM1 mais ils ont refusé. Une voisine un an plus agée avait fait ce saut et elle avait eu un peu de mal au niveau CM2… Je l’ai revu bien plus tard mais ça c’est une autre histoire. Ils avaient sans doute peur que cela arrive. Pendant toute la primaire je fus dans les deux ou trois premiers de ma classe, sans avoir l’impression de bosser sans arrêt pour cela. Quelques devoirs le soir en rentrant, très vite expédiés, un apprentissage de récitation et ça suffisait. Les deux autres qui partageaient les lauriers ne me paraissaient pas en faire plus mais je découvrirai plus tard que c’était faux.
Oskar Kokoschka 1913 - MOMA
Le collège arrive, on me force à faire de l’allemand première langue parce que “la classe est meilleure”. J’obtiens les félicitations sans forcer encore puis au fil du temps cela se transforme en encouragements. Je suis noté comme “sérieux” mais je ne participe pas assez. Pourtant j’en connais des réponses mais je n’aime pas me montrer. Je suis timide, il faut dire, un défaut qui se transformera avec le temps, tardivement. Mais surtout, j’ai souvent préféré parler avec les adultes plutôt que les autres enfants. En primaire, si j’avais des camarades de classe pour m’amuser, je me sentais un peu en décalage. Parfois plus proches des filles, ou des garçons moins populaires, je n’avais pas vraiment les mêmes centres d’intérêt. J’ai “forcé” parfois mon personnage pour m’intégrer mais au fond, ça n’allait pas. Je préférais l’école pour m’instruire en m’amusant, apprendre sans cesse. Quand l’un ou l’autre des ces apports n’a plus fonctionné, c’est devenu compliqué. Au collège, l’apprentissage des langues, de la musique fut une nouveauté. Il y a des années où ça a bien fonctionné parce que je voyais un intérêt, je comprenais surtout l’intérêt de la chose, et d’autres où ce fut juste ce qu’il fallait pour avoir la moyenne. Avec le temps, je m’aperçois que ça dépendait beaucoup de l’affinité avec des professeurs. Déjà cette hypersensibilité…
En Français, ça a commencé à moins bien se passer en troisième alors que je m’épanouissais totalement en 5ème et 4ème. Le latin par contre, alors que c’était la même prof de français qu’en 4ème, m’a totalement ennuyé par son côté rébarbatif. Mes parents et elle ont essayé de comprendre ce qu’il se passait… En vain et j’ai même vu un psychologue mais on ne trouve que ce que l’on cherche et je me demandais bien ce que l’on cherchait chez moi… Donc je me suis renfermé. Une autre rupture a été en histoire-géographie quand on a commencé à aborder cette matière autrement. Je n’ai pas su ce que l’on attendait de moi alors que cela me passionnait. Il me semblait que l’on parlait de si peu de choses par rapport à ce qu’il y avait à apprendre. Sans que mes notes soient une catastrophe, elles n’ont plus jamais atteint de sommets. Les mathématiques aussi sont devenues plus difficiles ( alors qu’un prof m’avait fait aimer cela au collège…une sorte de M. Borne peut-être) mais surtout au lycée où je n’ai plus su faire comme avant. Le pire fut en allemand où j’ai eu un véritable blocage avec la prof en troisième au point de ne plus vouloir du tout aller en cours. Je me souviens des mots d’excuses de mes parents, des crises nerveuses, de la honte que je ressentais au retour en donnant le mot. Pendant ce temps, tout allait bien en anglais. Le collège a été, en apparence, facile puisque sans beaucoup de travail, j’avais quand même de bonnes notes mais j’étais déjà malheureux. Le brevet, je l’avais avant l’épreuve, qui était d’une facilité déconcertante en plus. Il y a eu aussi le sport, l’athlétisme, pour m’épanouir avec là encore une facilité pour appréhender la technique mais à force un plafonnement des performances. Ca a duré 3 ans, il fallait que je change de challenge, je n’en ai plus trouvé. Et ensuite, c’est le corps qui m’a rappelé à l’ordre. Et puis il y a eu cette professeur de français (Mme Palaggi) que j’ai déjà cité dans un ancien article, qui m’a redonné envie le temps d’une année d’exprimer tout ce que je ne pouvais pas faire, en 5ème, puis une autre à un degré moindre en 4ème avant cette descente aux enfers.
Au lycée, tout est devenu plus compliqué. Honnêtement, je ne travaillais pas assez puisque j’avais l’impression de savoir ce qu’il fallait mais que je buttais sur des problèmes. En réalité, je ne savais pas travailler correctement. Cela a commencé à se voir en mathématiques où des cours en plus ne me paraissaient pas faire grand chose. Si, ça me donnait juste un peu de confiance en moi pour trouver plus facilement. En 1ère, ce fut la catastrophe : Une prof humiliante, plus du tout de confiance en moi, l’impression d’être totalement perdu et mes copains autrefois plus mauvais que moi qui me dépassaient. Compliqué alors en 1ère S lorsque la physique et la biologie sont très moyens. J’ai fini par tout lâcher, inconsciemment et ce fut le redoublement. Ce fut surtout un véritable drame car le peu de repère que j’avais avec des gens que je côtoyais depuis la primaire, disparaissait. Comment étais-je devenu soudainement idiot ? Car c’est bien ce que j’ai ressenti dans le regard de la prof de math, à ce moment. En plus je me retrouvais le plus âgé avec des gens qui n’avaient pas du tout les mêmes affinités que moi. Je me suis encore plus isolé même si j’ai essayé de rallier le groupe par le sport. J’ai redoublé donc, eu rapidement les meilleures notes où il fallait parce que c’était pareil mais une fois que ce fut atteint, j’ai repris ce rythme de croisière, ce faux rythme de travail pour terminer l’année dans le paquet et passer en Terminale C (S aujourd’hui).
J’ai finalement réussi à reprendre le fil en histoire-géographie par des profs (Mme Damien par exemple) qui étaient passionnées, même si sévères (ça ne se ressentait pas tout de suite dans les notes). Elles m’ont donné le goût de la géopolitique, de comprendre le monde mais là encore j’avais l’impression de donner peu, de ne pas apprendre par rapport à ce que je voulais (Et avec le recul j’ai l’impression que le programme était un carcan pour ces profs). Je lisais sur beaucoup de choses, empruntant beaucoup de livres, relisant ceux présents à la maison mais on ne me demandait jamais rien de tout cela, juste de stupides schémas peu réalistes pour situer des ressources. Je passe sur la philosophie, enseignée totalement hors sol pour moi, et j’ai eu ce bac sans avoir le sentiment d’avoir fait beaucoup mais en surprenant par des notes au dessus de ce que je faisais dans l’année, même au bac blanc …le challenge mais pas trop. Je commençais enfin à avoir des facilités en anglais par rapport au niveau global demandé et ça me suffisait. Le déclic avait été en troisième, avec un prof et un séjour en Angleterre. Maths et physiques furent faciles par rapport à l’année où je tournais pourtant autour de la moyenne. Je ne savais toujours pas comment travailler mais ça passait. Je me souviens d’un petit jeu à la fin de l’année où l’on devait faire deviner des choses aux autres par le dessin. Évidemment, je ne mettais que des choses connues de moi… et de la prof. Malaise qui m’a marqué, et un peu de vengeance inconsciente par rapport aux moqueries de certains.
A la fac, ça a passé aussi…Un semestre, celui où l’on oriente où tout fut trop facile. Et d’un seul coup je suis passé de 14 à 3 sans rien comprendre ! Refaire un semestre et encore un autre n’a rien changé. J’ai retrouvé mes vieux démons (et des profs demotivés et humiliants) et surtout je ne voyais aucun intérêt à ce que j’apprenais… ou plutôt ce que je n’apprenais pas puisque cela me paraissait inutile, abstrait. Je cherchais des excuses dans un niveau supposé faire la sélection mais en réalité, c’était moi qui n’était pas capable de fournir le travail nécessaire pour ce type d’exercice. Je n’étais pas “formaté” pour ça. Pas de regret quand je vois ce qu’ont fait mes camarades du moment dans cette filière.
A cette époque, j’ai croisé un gars qui venait de Math Sup et qui était revenu à la fac. Solitaire lui aussi, il ne venait que pour les épreuves, jamais pour les TP ou TD, ne parlait à personne. Il restait la moitié du temps de l’épreuve, avait les meilleures notes, et c’était tout. Tout le monde se sentait ignare face à lui, moi encore plus avec mes notes qui n’avaient jamais été aussi basses de toute ma vie. Je comprenais pourtant ce qui l’avait orienté là… En ce moment, j’ai une nièce qui frise ce comportement. Tiendra-t-elle ? Et puis j’ai fait des TP qui m’ont passionnés, parce que je voyais enfin du concret, je pouvais enfin créer quelque chose à partir de rien, être libre… J’ai quitté la fac sans rien, sinon la certitude que ce n’était pas pour moi, que je n’y apprendrais jamais rien. J’ai rattrapé un an dans une formation bac+2 spéciale, faite en un an et là, surprise, je me suis retrouvé à nouveau dans les meilleurs, alors que sur le papier, j’avais un dossier pourri. J’étais entouré de personnes qui avaient fait licence, math sup, et même maitrise, avaient eues leur DEUG mais un petit groupe, une vraie attention en face… Et sans doute maturité et sentiment d’urgence de ma part. J’ai remis en cause mes méthodes, me suis isolé des distractions aussi. Le paradoxe ne s’est pas arrêté là puisque les matières où j’étais bon n’étaient pas forcément celles attendues. L’informatique industrielle fut à la fois un moment de gloire et de drame très symptomatique : Je trouvais les solutions à tous les exercices en quelques instants, me laissant dans l’ennui dans tous les cours, au grand dam du prof qui n’avais jamais vu ça … Et dans l’examen, je me contenterai d’un 18 acquis en restant 1/3 du temps imparti, une ou deux personnes ayant plus que moi. J’aurai du déjà comprendre que je m’étais laissé allé à la facilité, une fois de plus et je m’en veux toujours pour ça.
J’ai eu mon diplôme, j’avais un peu rattrapé ce parcours chaotique commencé en fanfare mais je ne me voyais plus continuer alors que j’aurais pu, suite à cette année. J’ai fait l’armée 10 mois, comprenant vite le jeu de chacun, et relativisant les quelques souffrances et humiliations. J’ai trouvé du boulot, dans le milieu qui me faisait rêver depuis tout petit, en plus et j’ai trouvé un peu ma place, tant bien que mal. Mon imaginaire n’a trouvé que tardivement à s’exprimer à nouveau, car ce n’était pas forcément dans mon métier que j’allais le faire, du moins pas tout de suite. Pourtant on m’a proposé des choses qui auraient pu me convenir, où on devait trouver des solutions techniques mais le carcan du cahier des charges, et des demandes absurdes des clients m’ont bloqué plusieurs fois, stupidement.
Comme je le disais, j’étais solitaire, jusque dans mes jeux d’enfant. Pas de frère ou de sœur, alors comme beaucoup d’enfant, on s’invente des histoires avec des personnages, des figurines, etc… Le goût du wargame, du jeu de rôle vient un peu de là même si vous comprenez que en solo, le JDR c’est compliqué ! Mais j’ai aussi préféré l’univers des livres, des fictions plutôt que d’aller jouer avec des camarades tout le temps. Avantage, ça te forme une bonne culture générale. Inconvénient, on ne te demande pas de t’en servir et surtout tu deviens limite associal, sans ami proche avec qui vraiment discuter. Le fait de se sentir constamment en décalage par rapport à ce qu’on attend est resté problématique. Je n’ai en fait jamais eu l’impression de “faire mon age” et aujourd’hui c’est toujours valable. Je suis toujours proche de ceux qui ont 5 à 15 ans de plus que moi, jamais les gens de ma génération.
Aujourd’hui,** je m’ennuie vite** dès que quelque chose devient routinier alors je crée moi même mon poste, dès que je le peux. Il me faut des challenges et quand je n’en ai pas, j’en trouve un quelque part autour de moi. Tenez, le billet de blog hebdomadaire en est un mais je vous laisse méditer sur le résultat à la lecture de tout cela. Le problème est qu’une fois atteint le niveau que j’espérais, ça ne m’intéresse pas de faire vivre le truc que j’ai créé. Je suis déjà passé à autre chose. J’ai beaucoup de mal face à des personnes qui mettent de la mauvaise volonté à comprendre, qui sont “lentes” sans être idiotes, mais qui sont surtout hautaines. J’ai appris à les gérer, les remettre à leur place même si ça peut être houleux. Paradoxalement, je vais prendre du temps à expliquer à quelqu’un qui ne connaît rien, qui a du mal mais que je sens “affaibli” par quelque chose, un non dit. J’ai été surpris par des personnes qui me disent que je leur ai redonné confiance. Cette hypersensibilité à la souffrance des autres m’a joué des tours mais c’est aussi ce qui me fait ne supporter aucune injustice, envers humains ou animaux depuis tout petit…je vous passe les détails. Si je vous dis que madame est pareille, que les solitaires attirent souvent les solitaires…Bref, nous avons des chats !
Quand j’entendais cette pyschologue décrire de nombreux cas, je me retrouvais totalement. Elle parlait autant d’adultes que d’enfants puisque rien n’est jamais perdu… Enfin pas tout. Je ne sais toujours pas aller contre moi-même totalement, pour ne pas me reposer sur la facilité. J’appréhende tout avec facilité, j’apprends vite au début, je réussis rapidement et puis il y a toujours un pallier qui bloque à un moment, quand le don ne suffit plus, qu’il faut travailler. Cette année j’ai résolu un problème en deux jours alors que cela trainait chez d’autres depuis 1 ans. J’ai passé jour et nuit à y penser, bloqué tout mon temps dessus, c’était mon challenge et là je travaille vraiment intensément. Je le vois dans les jeux : Je réussis vite à progresser mais dès qu’il faut apprendre, persévérer par de l’entrainement, je me décourage, ça ne m’intéresse plus, sauf s’il y a un challenge. Sur Real Racing, j’avais trouvé à progresser uniquement pour battre des collègues. Une fois que cela a été fait, que j’ai gagné un peu en ligne, je n’étais plus intéressé. Apprendre un instrument ou une langue ne pourrait se faire pour moi qu’avec une carotte au bout. Quand j’ai fait du piano, je faisais à l’oreille pour retrouver un morceau que j’aimais et le rejouer mais le solfège ou les partitions ne m’intéressaient pas. Dans l’informatique, ce n’est que par défi que j’ai appris des choses, que pour trouver une solution à mon propre problème. Mais surtout, ensuite, je n’ai pas eu envie d’aller plus loin, d’en faire un métier, parce que l’environnement ne m’intéresse pas, aussi. Mes tutos ne sont là que parce que je m’étais fixé un but. Cela fait maintenant quelques années que je suis à nouveau dans “la mesure physique”, après un court “challenge” ailleurs. Je ne sais vraiment pas ce qui me fera avancer à nouveau après ce que j’ai à réaliser dans les deux ans à venir. Je crains de retomber dans l’ennui. Je trouverai encore… Et puis j’ai toujours su m’adapter facilement à toutes les situations.
Toute cette confession pour quoi ? Pour dire que c’est bien de se féliciter qu’un enfant réussisse jeune dans les études mais que si on n’y prend pas garde, il peut se perdre totalement comme je l’ai fait. Dans l’enseignement, on ne s’intéresse pas à ceux qui réussissent vite, finalement mais juste à ce qu’il y a au milieu. Et malheureusement, la chute peut être si rapide, que l’on est brièvement dans ce peloton. Je m’y suis plu après ma chute, me faisant discret, me contentant du minimum alors que pour la même chose, d’autres buchaient comme des dingues. Cette chute m’a marqué et déstabilisé pour toujours. Aujourd’hui, je me connais mieux et je sais voir des cas comme le mien. J’en ai vu il y a quelques années gâcher tout sans avoir le temps de trouver les mots qui les feraient réagir. Je me félicite aujourd’hui de savoir que des gens s’intéressent à ces cas complexes, avec des “dons” plus ou moins forts. Je n’en veux à personne, car rien ne dit qu’en changeant certaines choses, ça aurait été mieux. Il y a juste que la “normalité” et le manque d’imagination d’aujourd’hui ont une signification particulière.
Il y aurait 2 à 3% de personnes réellement douées, à plusieurs échelles, dans différentes “matières” selon les spécialistes. Les diagnostics sont autant difficiles par les professionnels, que les solutions sont complexes pour des parents qui s’imaginent le pire. Dans un système éducatif qui peine déjà à faire le nécessaire pour la majorité, qui se privatise sournoisement, je crains quand même que la machine à échec continue pour ces enfants qui ont tant à apporter mais qui derrière le don doivent trouver leur méthode pour le développer.