BD - SOS Bonheur de Van Hamme et Griffo (1988)
Des dystopies en BD, ça ne manque pas, surtout quand il s’agit d’imaginer un futur lointain. Mais quand c’est presqu’aujourd’hui, on pense plus à des séries tv récentes comme BlackMirror.
Et justement, les premiers épisodes de cette série belge, parue dès 1984 dans Spirou Magazine, étaient prévus par le scénariste Jean Van Hamme, pour devenir une série de télévision. Ce n’est qu’en 1988 qu’une première édition paraît indépendamment en 3 tomes avant d’être réunie en 2001 et d’avoir une suite l’année dernière. Je ne traite ici que de la série originelle.
Plusieurs histoires courtes décrivent les trajectoires individuelles de personnes opposées à un système social coercitif, qui régente le moindre aspect de leur vie professionnelle ou privée. L’épilogue fait se rejoindre les fragments en une conclusion pessimiste.
Le monde décrit par le prolifique Van Hamme avec le dessin de Griffo, est très proche du notre. Le dessin est ancré dans les années 80, d’ailleurs. Mais on y fait la chasse aux maladies pour éviter des dépenses de santé trop importante, on a un paiement unifié avec une immense base de données qui sait tout de nous, les vacances sont organisées par l’état pour éviter la sur-affluence et conditionnées à une notation du citoyen, … Chaque épisode décrit un pan de ce système qui vise le bonheur et la paix entre les citoyens. Mais on voit très vite que ce système supprime toute liberté. On pourrait même penser que c’est un plaidoyer libertarien ou libéral sur le premier épisode. On voit en effet une opposition entre une sécurité sociale centralisatrice et dictatoriale et le refus de tout système de santé public. Chaque histoire nous présente des personnages dont on ne perçoit pas encore les interactions, avec à chaque fois une chute ou un cliffhanger.
Cette recherche du bonheur poussée à l’extrême et ce pessimisme ambiant est presque annonciateur de la déprime des années 90 après le No Future punk. On y croise d’ailleurs des punks, des anarchistes et le discours devient vraiment très politique. Au point que l’on comprend le refus de produire ça en télévision… Mais c’était aussi gonflé de sortir ça dans un magazine comme Spirou qui voulait aussi changer son lectorat. Van Hamme a particulièrement bien soigné son scénario avec un épisode final qui comprend aussi son lot de surprise. Griffo est toujours aussi habile avec son trait réaliste, si réaliste qu’un des personnages n’est ni plus ni moins qu’un clone de Lino Ventura.
La série n’a pas autant vieilli qu’on pourrait le penser et l’histoire est d’actualité sur bien des points. Ainsi on pense au système de notation des citoyens qui est pensé par le gouvernement Chinois, à un monde Google/Facebook, … La conclusion ne pouvait parler d’un monde connecté, à cette époque et je suis assez curieux d’en lire la suite, finalement. Réussie ou pas, elle aura le mérite de remettre dans la lumière cette série passionnante.