Musique - Rachid Taha - Tékitoi (2004)
Initialement, cet article devait paraître bien plus tard. Mais le décès du chanteur le 12/09/2018 me fait précipiter sa parution pour lui rendre hommage.
Rachid Taha est un artiste pour qui j’ai beaucoup de respect et que je trouve souvent sous-estimé. Pour le présenter à travers un album, j’ai choisi cet opus aussi passionnant que difficile à décrire.
Je ne l’avais pas acheté à sa sortie et je l’ai regretté longtemps… jusqu’à retomber dessus, par hasard. Evidemment, le single “Ya Rayah” a beaucoup tourné sur les ondes mais il n’était pas forcément le plus représentatif d’un album Rock-Electro-Raï. Mais avant d’en venir à l’oeuvre, parlons un peu de l’homme. Né en Algérie, Rachid Taha a suivi ses parents dans les années 60 en Alsace et dans les Vosges. Adulte, il s’installe à Lyon pour travailler comme comptable. Mais sa passion, c’est la musique et en 1981, il fonde avec quelques amis le groupe “Carte de Séjour”. La chance voudra qu’en ce début d’ère Mitterrand en France, il y a un besoin de nouvelles icônes de “l’intégration”, ce mot tiroir qu’on aime utiliser toutes les sauces. Et le groupe de Rachid Taha (dont il est chanteur) a sorti une reprise de Charles Trenet, “Douce France”. On retrouve une inspiration Punk Rock (Rachid est fan des Clash)…un peu moins Nass El Ghiwann ou Oum Kalsoum, ses idoles de jeunesse. Le groupe perdurera jusqu’à la fin des années 80 avec bien d’autres choses que des reprises. Rachid Taha continue en solo dans un Rock-Raï mélé d’autres influences avec des albums comme Barbès ou Diwan (avec lequel j’ai hésité…) qui montre une attirance pour les sonorités électroniques. En 1998, il participe avec Faudel et** Khaled** à la tournée Raï 1,2,3 Soleil. Peut-être un peu tombé dans l’oubli alors que ses deux compères explosent , il revient dans la lumière et cela nous amène à l’album “Tékitoi” produit par un certain Steve Hillage (Simple Minds, The Orb…). On trouve même Brian Eno dans les crédits.
L’album ouvre étonnament par un duo avec Christian Olivier des Têtes raides, groupe alors en pleine réussite. On a un titre rock acoustique arabisant et en français et arabe. Et pourtant il y a déjà des riffs samplés ce qui annonce parfaitement la teneur de l’album. C’est énergique, rapide et malin au niveau du texte. Je vous laisse découvrir. Mais la première pièce d’orfèvrerie de l’album est la reprise du “Rock the Casbah” de The Clash. C’est tellement réussi que Mick Jones la chantera parfois avec lui.
Mais après ce début rock, l’album prend une tonalité plus électro-rock avec ”Lli Fat Mat!” (What Is Past Is Dead and Gone!), titre en arabe qui mèle des riffs, un orchestre oriental et des choeurs. Le morceau monte en puissance pour un véritable déchainement sonore avant de nous embarquer au son des cordes égyptiennes et des choeurs. Les percussions continuent de nous captiver avec ”H’asbu-Hum” (Ask Them For An Explanation) qui est plus traditionnel mais n’est pas sans rappeler aussi des sonorités qu’on retrouve jusqu’en Inde par cette alliance avec des rythmiques modernes et des riffs de guitare électrique. Chaque seconde est exploitée et nous pousse à réécouter tous les détails du morceau. Taha emprunte évidemment à la musique Chaabi algérienne mais la mêle à son rock à tendance punk comme dans le puissant “Safi” (Pure). Le côté Electro de l’album revient plus dans les arrangements de ”Meftuh’” (Open). On reste pourtant dans un style répétitif en apparence mais où les nuances apparaissent avec une écoute plus attentive. C’est bien un album électro-rock !
Je passe rapidement sur le plus classique ”Winta” avec Kaha Beri pour en venir avec le très techno “Nah’seb” (I Count). Un petit abus d’écho mais cela montre que un orchestre à corde oriental, ça peut-être vraiment très rock quand on a les bons arrangements. Et de ce point de vue, on a le titre de Brian Eno qui déboule ensuite : ”Dima” (Always) - avec Julien Jacob, un artiste qui vaut lui aussi le détour. Les percussions sont plus froides, la voix plus planante et on se souvient alors du coté Ambient de Hillage. On comprend pourquoi le duo fonctionne. Le titre n’est pas le plus facile d’accès et on comprend pourquoi il ne sera pas choisi comme single. C’est la reprise du “Ya Rayah” de Dahmane El Harrachi qui sera mise en avant (dès 1997 sur l’album Carte Blanche alors qu’il était aussi sur Diwan…allez comprendre les maisons de disques). En attendant ce morceau on a un peu de funk avec “Shuf” montrant que l’arabe est aussi une langue qui groove. On peut même avoir des titres plus pop comme “Stenna” (Wait) avec toujours un gros travail sur les percussions. Mais pour terminer l’album, après ce classique Chaabi, il fallait un autre hit. C’est la reprise en espagnol de “Voilà, Voilà” qui prend cette place. Sorti 10 ans plus tôt, il est encore plus abouti en terme de potentiel live. Il faut dire qu’il l’a bien éprouvé avec 1,2,3 soleil et que la thématique est hélas, d’actualité.
Un album qui peut paraître hétérogène mais fourmille de bonnes idées, de surprises. Au point qu’il m’a fallu un mois pour vraiment m’en ré-imprégner. Rachid Taha est un artiste qui a fait véritablement avancer la musique en allant chercher des tendances, en en créant d’autres. Que cela soit avec cet album ou un autre, il serait dommage de l’oublier. Son succès à l’international en est une preuve.