Musique - Juliette - J'aime pas la chanson (2018)
Cela fait tout de même plus de 30 ans que Juliette Noureddine, dite Juliette, poursuit son petit bonhomme de chemin dans la chanson française. Avec application, elle nous offre des chansons inventives, intelligentes, drôles … Mais qu’est-il arrivé pour qu’elle n’aime pas la chanson, alors ?
Si j’ai eu entre les mains quelques albums, je n’avais pas été jusqu’à en posséder, à en écouter en boucle et j’ai sans doute eu tord. Je me souviens, qu’en 1997 lorsqu’elle remporte la victoire de la révélation de l’année, je m’étais intéressé à cette artiste qu’on dirait atypique, tant elle ne fait pas de la variété française commerciale, ou même de la chanson à texte classique. Juliette, c’est une personnalité, un visage, une voix et ce dernier album ne change pas cela.
Juliette commence par procrastiner en chanson. Ça tombe bien, du temps, il faut en prendre pour l’écouter attentivement, capter ses pointes d’humour. On a une instrumentation classique, limite nostalgique. Cela paraît simple et pourtant les mots tombent juste avec la musique, ce qui n’est pas une mince affaire.
Elle se moque d’elle-même dans « à carreaux », un hommage aux gens qui portent des lunettes. C’est habile, malin, j’adore ! … « c’est ainsi que j’aime le loup, dans le brouillard de l’amour flou » ! Son « single » est « Météo Marine », une mélodie toute simple au piano pour un texte joliment ciselé et émouvant, si émouvant… On a un peu plus de légèreté sur « Bijoux de famille » dont je vous laisse deviner l’astuce ou toutes les astuces d’écritures, même.
Le titre « J’aime pas la chanson » est bien typique de l’auteure… Avec l’accordéon en fond, on l’imagine chantée dans les rues de Paris. Là encore, c’est un ravissement d’écriture pour tout amoureux des mots. Alors le paradoxe est justement que j’aime « j’aime pas la chanson » parce qu’elle fait tout comme dans le texte. Et en parlant de Paris, on reste dans l’imagerie classique de cette ville avec « Une adresse à Paris ». Elle en est native et en capte bien l’essence passée. Cette valse attend juste une envolée et pas de pigeons.
Il y a beaucoup de nostalgie dans cet album, un coté Chanson française classique avec « Madame » qui règle quelques comptes avec les qu’en-dira-t-on. J’adhère ! Et quelle surprise de la retrouver à parler de rugby avec « C’est ça l’rugby » mais pas sûr que ça plaise à tout le monde, cette tradition-là. Il faut avoir du second degré pour écouter Juliette…Et après ce morceau joyeux, on retombe dans un texte plein d’émotion « Aller sans retour » où la voix de Juliette ne peut trahir ce magnifique texte, même renforcée de quelques chœurs masculins. Mais sa peine de cœur trouve une solution dans « midi à ma porte ». Ca swingue, ça carillonne…
Et on retrouve tout son humour dans son personnage de « Juliette Binocle » qui reçoit un prix d’interprétation. Elle « Remercie » en se moquant habilement de cet exercice. A tel point que je rêve de la voir remercier lors des prochaines victoires de la musique, qui ont depuis longtemps une allure de défaite. Elle y aurait un piano droit, sorte d’hommage à son enfance de musicienne, parfois contratriée. Quand je vous parlais de nostalgie.
Et ainsi ce termine assez abruptement ce bel album d’une artiste qui n’a pas besoin, finalement, de vendre son âme pour assurer son succès. C’est certain que les chanteuses à texte sont en décalage aujourd’hui, surtout avec autant de talent d’auteure. Mais un jour, peut-être, lui rendra-t-on un vibrant hommage avec des mots aussi bien choisis que les siens.