Reflexion geek - Le jeu vidéo doit-il plaire ?
L’idée de ce billet provient d’une vidéo d’At0mium, que je mets ci dessous. Au delà de cette question, il en vient deux autres : Le jeu vidéo est-il un art et l’art doit-il plaire.
Vous n’aurez peut-être pas le courage de regarder la vidéo ci-dessus mais qu’importe. Nous avons chacun un intérêt à jouer à un jeu vidéo et je vais faire beaucoup de parallèles avec le cinéma, milieu assez proche de celui du jeu vidéo. En effet, quand je choisis de voir un film, cela répond en partie à mon état d’esprit de l’instant. Plus encore quand je sors pour aller au cinéma, je cherche une émotion, ou parfois la surprise quand je vais un peu au hasard. Je choisirai par exemple plutôt une comédie qu’un drame lorsque je suis triste. Ou alors une histoire similaire à ce que je vis. Mais pour un jeu vidéo, c’est aussi répondre à une envie d’un moment. Même le petit passe-temps, le jeu casual comme l’innommable Candy Crush, répond lui même à cette problématique de l’instant. Et là, étant en attente de quelque chose, j’attends donc que “ça me plaise”.
Mais en attente de quoi ? Une réponse positive, un dépaysement, du rire, un défoulement, de l’adrénaline. Cela peut varier. On a même de nombreux jeux qui jouent sur la frustration du joueur. Cela pousse à s’investir, à dépenser même, aujourd’hui avec les contenus payants. Et c’est là que la frustration montre que le jeu sait aussi nous déplaire. La bascule se fait dans l’équilibre entre ce qui nous plait et ce qui ne nous plait pas. Quand il n’y a plus rien qui nous plaît, nous quittons le jeu. Quand le défi paraît vraiment insurmontable, malgré de nombreux essais, nous abandonnons, cela dépendant évidemment du joueur. La promesse de découvrir la suite ne suffit plus. Celle de la toute puissance d’un personnage face aux ennemis, non plus. Mais parfois, le même jeu ou film peut ne pas plaire à un instant et nous plaire plus tard. Nous n’avions peut-être pas le bon état d’esprit pour cela. L’œuvre doit avoir alors suffisamment capté notre cerveau pour nous donner envie d’y revenir. Pour le cinéma, il y a des genres faits pour déplaire et plaire à la fois. Nous aimons le suspens, la peur et pourtant sur le moment, il y a un déplaisir, la frustration de ne pas connaître la suite, le coupable, de ne pas comprendre l’intrigue avant la révélation finale. Nous sommes ici dans le divertissement pur, dans une industrie.
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Car si le jeu vidéo est considéré comme un art par une minorité, il est aussi un moyen de faire de l’argent. Le cinéma a toujours cette dualité, ce que l’on retrouve dans l’opposition blockbuster-cinéma d’auteur. Son histoire même montre la difficulté de le classer, entre l’outil scientifique, le divertissement de foire et la création artistique. Le jeu vidéo a moins cela mais il y a les jeux dits AAA ou premium, conçus pour les consoles de salon et PC, les jeux casual ou grands publics, maintenant surtout sur mobile, et les jeux indépendants, plus expérimentaux. Nos amis japonais ont souvent eu des créateurs dans cette dernière catégorie, comme Testuya Mizuguchi, par exemple pour Rez. Cette dimension artistique peut aussi devenir un blockbuster, comme avec Fumito Ueda, l’auteur d’ICO et de Shadow of the colossus. L’exemple cité par At0mium est évidemment extrême et se rapproche de certaines oeuvres d’art moderne ou abstrait. Il faut dire que, comme le cinéma, le jeu vidéo intègre des métiers créatifs comme la musique, le graphisme, la création de décors, de scénarios… L’exemple cité démontre la richesse du jeu vidéo d’aujourd’hui et la complexité à répondre à la question, de ce fait.
Nous allons forcément déboucher sur des questions comme “L’art est-il fait pour plaire” ou “l’art doit-il être beau”, qui alimentent chaque année la presse artistique ou … les sujets du bac de philo. On se rend vite compte que la réponse dépend grandement du public. Si la plupart des gens n’aiment pas l’art moderne car ils ne le comprennent pas et s’attendent à des représentations du réel, d’autres veulent être surpris, veulent réfléchir. Pour ma part, j’aurais tendance à être dans cette deuxième catégorie. Si je manie parfois les doubles sens dans mes poèmes, je suis moins enclin à aller dans l’abstrait et l’absurde aujourd’hui, tout en l’appréciant chez les autres. Alors forcément, je m’ennuie beaucoup de voir les mêmes jeux vidéo recopiés chaque année par des licences qui en sont parfois à plus de 10 opus. Je ne suis plus surpris et je n’ai plus cette envie d’être frustré, tendu par un défi, comme lorsque j’étais plus jeune. Je recherche plus un dépaysement, un imaginaire, un “beau” que je ne saurai décrire.
Sur mes critères très personnels, je pense qu’une société ne pourrait sortir un jeu qui plaise à tout le monde. Et pourtant, on doit forcément rencontrer un public pour pouvoir** vivre du jeu vidéo**. Est-ce que l’artiste doit se renier pour vivre ? C’est l’éternelle question avec des exemples d’artistes maudits morts dans la pauvreté et dont les oeuvres s’arrachent aujourd’hui pour des milliards. De ce fait, le jeu vidéo dans son ensemble doit plaire pour exister, comme l’art en général. Mais c’est aussi à lui de savoir ne pas faire la même chose pour ne pas lasser. Il doit savoir proposer des produits de niche, des OJNI (Objets jouables non identifiés), justement par l’argent que ramènent les titres les plus vendeurs. Dans le cinéma, il y a des films qui rapportent beaucoup et d’autres qui existent par des financements publics ou privés, parfois à perte. Des cinéastes financent des films plus personnels par d’autres films de commande. Et l’on retiendra parfois plus ce film qui n’a pas plu à tout le monde, plutôt que ce gros succès qui a plu au grand public, du point de vue de l’histoire du cinéma.
Alors aujourd’hui, si on regarde les gros succès de ces dernières années dans le jeu vidéo, il y a peu à en dire, de mon point de vue. Les Sims ? Un genre à part mais bourré de défauts. Les Clash of clans et compagnie ? Une refonte du classique STR recopiée à l’infini. Fortnite ? Un FPS massivement multijoueur mais peu original dans le fond. Ceux qui procurent une émotion durable ne sont pas là et ne sont parfois pas les plus gros hits. C’est ce que je me dis aussi en me retournant sur mes jeux préférés que j’associe souvent à des instants de vie, mes souvenirs de gamer. Ils sont aussi composés de jeux qui ne plaisaient pas à tous, parfois même pas à moi mais ce rejet a créé un souvenir durable. Ces moments existent et composent ma petite histoire. Et je ne vois pas de quel droit je voudrais les interdire.