Cinéma - Le Ciel attendra de Marie-Castille Mention-Schaar (2016)
Ce fut un des films français de l’année, pour certains, mais beaucoup de cinémas semblent avoir hésiter à le programmer. Heureusement, il repasse encore aujourd’hui dans certaines salles, multiplexes inclus.
Le sujet est d’actualité :
Sonia, 17 ans, a failli commettre l’irréparable pour “garantir” à sa famille une place au paradis. Mélanie, 16 ans, vit avec sa mère, aime l’école et ses copines, joue du violoncelle et veut changer le monde. Elle tombe amoureuse d’un “prince” sur internet. Elles pourraient s’appeler Anaïs, Manon, Leila ou Clara, et comme elles, croiser un jour la route de l’embrigadement… Pourraient-elles en revenir?
Vous l’aurez compris, on parle du départ en Syrie de deux jeunes filles , pour rejoindre l’organisation Etat Islamique. Le film s’attache autant à l’avant qu’à l’après, pour celle qui n’a pas réussi à partir. La réalisatrice Marie-Castille Mention-Schaar (réalisatrice du sympathique Bowling…), utilise le procédé des flash-backs avec un montage qui peut parfois dérouter dans ses sauts temporels. La photographie est volontairement neutre et triste, histoire d’appuyer sur le sentiment de nos deux protagonistes. Mais si nous suivons ces deux jeunes filles, ce sont surtout les mères que nous suivons (et un peu les pères joués par Zinedine Soualem et Yvan Attal).
Le choix de prendre deux filles n’est pas anodin. On parle en effet souvent de garçons partis faire la guerre (c’est la grande majorité), mais on oublie un peu plus le sort de ces jeunes filles qui, une fois arrivées, ne sont plus libres de leur mouvement et attendent leur “prince”, voir pire. Il est évidemment difficile de ne pas tomber dans quelques clichés sur une telle histoire. L’une des deux jeunes filles a un père d’origine nord-africaine et parle arabe, tandis que sa mère est française et blanche (Sandrine Bonnaire). Ce choix permet d’insister sur une des sources du malaise : l’appartenance à une “communauté”. Cette double culture qui pourrait être un plus devient finalement son boulet. Je vous passe sous silence ce qui est la faille de l’autre jeune fille, pour le suspens. Mais il y en a une infinité… On ne peut pas faire un portrait type du “candidat au terrorisme”.
Malgré le montage qui n’est pas dans une chronologie linéaire, la réalisatrice parvient à retranscrire ces deux processus d’endoctrinement. On retrouve une similitude avec les sectes et tout système qui vise à “rééduquer”. Le rabatteur trouve un indice laissé par la victime. Ici c’est sur un réseau social, pour l’une d’elle, mais ça peut être un pur hasard ou la curiosité de la personne qui l’amène à contacter la mauvaise personne. Puis on retrouve ce phénomène de “dépendance” à l’autre ou au sujet, ce qui rapproche cela de l’addiction à une drogue. L’écoute est rompue avec l’entourage et pourtant, on entend des indices dans ce que montre Marie-Castille Mention-Schaar. Ils sont brefs, diffus …Pour le spectateur lui-même, ce n’est pas évident à repérer…. mais je vais m’arrêter là dans ce descriptif qui sera forcément partiel.
Car j’ai un reproche à faire à ce film. C’est celui d’avoir intégré une personne réelle dans cette fiction en la personne de Dounia Bouzar qui est une des spécialistes les plus médiatiques en “déradicalisation”. Si elle a participé à l’écriture, on a l’impression d’une opération de promotion pour sa méthode qui n’a pas plus fait ses preuves que celles des “concurrents”/confrères/consoeurs, justement parce que le problème est complexe. Sa présence parasite trop le discours à mon goût. J’ai même eu l’impression de voir un film qui, par la curiosité qu’il distille sur les propagandes de l’EI, pousse à aller voir ce qu’il ne montre pas. Il n’y a pas de traduction/sous-titre des passages en langue arabe, sans doute pour ne pas accentuer l’attirance que pourrait procurer ces discours qui mélangent vérités et mensonges. Malgré cela, le film donne des pistes intéressantes, mais pour qui ? Je me suis dit en le voyant que je n’aurais pas aimé être adolescent aujourd’hui, encore moins qu’hier. Mais être parent alors ? J’ai l’impression que le discours est angoissant, rendrait presque paranoïaque car comment déceler le malaise alors que par définition l’adolescence est la période où l’on se questionne, se cherche ou se définit. Qui n’a pas traversé une crise de mysticisme dans sa vie?
Le film est-il indispensable alors ? Je dirai Oui, MAIS… avec un accompagnement, qu’il soit pour l’adolescent ou le parent. Et c’est là que je peux comprendre que des personnes n’aient pas aimé. Il nous fait nous interroger et douter ce qui est inconfortable. Reste à trouver les réponses ensuite. Un peu comme le père d’une des deux jeunes filles qui va accompagner sa fille au pointage du commissariat, j’ai l’impression qu’on se retrouve désemparé, sans aide et même sujet au regard haineux des autres, comme celui de ces deux policières. Il y a ceux qui se disent que ça ne leur arrivera pas, ceux qui ont peur que ça leur arrive, et puis les autres, ceux qui n’ont pas d’enfants, ou qui sont trop grands et qui finalement n’essaient pas de comprendre. Le film ne donne aucune réponse et il était impossible d’en donner. Il est juste un témoignage parmi d’autres (d’excellents livres existent aussi…) et s’inscrit dans cette actualité qu’on espère ranger dans le passé au plus vite.