Cinéma - Au Revoir, là haut d'Albert Dupontel (2017)
Qui sait si ce ne sera pas le film français de l’année? En partant du prix Goncourt 2013, Dupontel tenait déjà un bon sujet. Mais encore fallait-il transformer l’essai dans une comédie dramatique en costume, après une BD en 2015 qui avait déjà mis en images le texte de Pierre Lemaitre.
Je pars avec un avantage : Je n’ai lu ni le texte original, ni la BD. Je le précise car on pourrait me demander si l’adaptation est bonne, malgré la participation de l’auteur au scénario. C’est un avantage car il est rare que le cinéma sorte gagnant de la comparaison avec l’imaginaire d’un lecteur. Et sur ce sujet, il y a beaucoup d’imaginaire :
Au sortir de la Première Guerre mondiale, deux anciens Poilus, Édouard Péricourt (fils de la haute bourgeoisie, dessinateur fantasque, homosexuel, rejeté par son père) et Albert Maillard, modeste comptable, font face à l’incapacité de la société française de leur ménager une place. Leur relation naît le 2 novembre 1918, juste avant la fin de la Grande Guerre. Albert est le témoin d’un crime : le lieutenant Henri d’Aulnay-Pradelle, aristocrate arriviste qui veut gagner ses galons de capitaine, parvient à lancer une dernière offensive en faisant croire que les Allemands, qui attendent pourtant l’Armistice comme les Français, ont tué deux de ses hommes éclaireurs, mais Albert a compris que c’est son lieutenant qui leur a tiré une balle dans le dos. Pendant l’offensive, Pradelle, se voyant démasqué, pousse Albert dans un trou d’obus, ce dernier se retrouve alors enterré vivant face à une tête de cheval mort. In extremis Édouard sauve Albert d’une mort atroce au prix de sa défiguration par un éclat d’obus, faisant de lui une gueule cassée, alors qu’Albert, traumatisé, devient paranoïaque11.
Démobilisés, Albert et Édouard, amers, vivent difficilement à Paris. Ces deux laissés-pour-compte se vengent de l’ingratitude de l’État en mettant au point une escroquerie qui prend appui sur l’une des valeurs les plus en vogue de l’après-guerre : le patriotisme. Ils vendent aux municipalités des monuments aux morts fictifs. Quant au lieutenant Pradelle, il profite des nombreux morts inhumés dans des tombes de fortune sur le champ de bataille pour signer un contrat avec l’État qui prévoit de les inhumer à nouveau dans des cimetières militaires, vendant « aux collectivités des cercueils remplis de terre et de cailloux, voire de soldats allemands ».
Première satisfaction : Les décors et costumes sont magnifiques et on se retrouve transposé dans le Paris de l’entre-deux guerre. Deuxième satisfaction, le casting est bon avec un Laurent Lafitte particulièrement détestable, un Albert Dupontel fidèle à lui même et un Nahuel Perez-Biscayart qui n’a pas besoin de la parole pour les émotions. Il ne faut pas oublier Heloïse Balster, tandis que Niels Arestup reste dans son registre, efficace et qu’Emilie Dequesne aurait mérité un rôle plus étoffé. Restait quand même à faire fonctionner cette histoire. Et c’est le cas avec une intrigue qui met du temps à s’installer mais n’ennuie pas le spectateur, entre humour, horreur, révolte. Nos deux héros sont attachants malgré leurs actes plus que répréhensibles (je vous laisse découvrir ce que fait Maillard pour faire survivre son acolyte). Le montage en flashback passe très bien avec un beau twist finale qu’on ne voit pas venir. Il y a forcément des incohérences possibles et pourtant on les tolère parce que justement cette histoire paraît incroyable. La guerre et son horreur ne l’étaient-elles pas déjà, incroyable pour bon nombre de français?
Par contre, certains éléments semblent avoir été mis sous l’éteignoir. L’homosexualité de Péricourt fils n’est pas mise en avant même si on le comprend mieux dans ce que dit son père, à la fin. Le livre était sans doute trop riche en sujets. Car il se base aussi sur des faits réels, comme le scandale de l’enterrement des morts de la guerre et tous les “profiteurs” qui ont bâti des fortunes après l’armistice. Pour l’escroquerie aux monuments, c’est plus une invention même si on se doute que tout n’a pas été si honnête que cela. Ce n’est pas non plus l’équivalent de l’Arnaque de George Roy Hill, même si il partage la musicalité et l’aspect graphique très poussé. Il y a également ce goût des seconds rôles, plutôt récurent chez Dupontel. Et je me suis souvenu alors qu’il était lui même second rôle dans le Long dimanche de fiançaille de Jeunet, toujours sur la 1ère guerre mondiale. Il n’y a pas la poésie propre à ce réalisateur mais celle de Dupontel, teintée de burlesque, est bien là, notamment à travers les magnifiques masques de Péricourt.
Un film à ne pas rater en cette fin d’année plutôt propice aux blockbusters. La salle était correctement remplie, malgré un horaire peu favorable dans un multiplex, signe que critiques et spectateurs peuvent aussi se rencontrer.