Blog - Des jeunes ... analogiques ?
Comme chaque année, j’ai ma petite provision d’apprentis pendant quelques semaines. Et chaque fois, je vais de surprises en suprises, bonnes ou mauvaises.
Je n’ai jamais cru au mythe du digital native, parce que déjà dans mon adolescence, on croyait que tous les jeunes allaient être doués en informatique, etc…Ce n’était pas le cas pour les enfants des années 75-85 qui sont nés avec les prémices de l’informatique grand-public, ce ne l’était pas pour la génération suivante et ça ne l’est pas plus pour la génération tablette qui arrivera bientôt. Ces dernières années, je m’exaspère des lacunes récurrentes dans l’utilisation d’outils et de notions basiques, tout autant que dans le manque de curiosité ou d’envie de chercher. Pourtant, j’avoue que ça n’était pas forcément mieux quand j’avais leur age, et c’est ça finalement le problème.
Pour le gamin de 19 ans en BTS 1ère année que j’ai eu cette semaine, c’est assez flagrant. Fruit de l’enseignement privé dans une ville que je connais très bien (j’y suis né…. ), il a donc passé un bac S, option SVT (sciences de la vie et de la terre, bref, anciennement le Bac D). A mon époque, c’était la voie de garage en sortie de 1ère S pour ceux qui n’avaient pas le niveau pour le bac C. Mais il l’a fait par choix….ou parce que son niveau en SVT était bon. Le gamin s’est tapé 1 en Math pendant l’année, a eu son bac de justesse avec un 6 en math et quand je lui pose mon petit problème habituel, j’ai l’impression qu’il découvre les équations linéaires, je ne parle même pas des matrices, et qu’il a retenu des mots, sans comprendre ce qui va derrière. Clairement, il n’est pas armé pour la suite dans la voie qu’il a choisi mais il ne s’en rend pas encore compte. J’ai essayé au moins de lui montrer l’intérêt de l’outil mathématique dans sa vie de tous les jours, dans ce que je lui propose, au delà même d’en faire un métier.
Mais j’ai aussi l’impression d‘un problème d’orientation. Car le gamin est tombé dans la mécanique tout petit, s’éclate à parler de voitures de collection du début 20ème siècle, imagine des restaurations complexes, a les yeux qui pétillent. ça fait plaisir un passionné mais là, il va se faire chier dans une voie inutile ou presque, et c’est visible dans ses attentes ou dans son manque de concentration, son envie de bouger au lieu de rester dans un même lieu, focalisé sur une activité. Je ne parle même pas de l’avenir de la filière Moteur à Combustion Interne qui embauchera moins ou formera différemment. Mais là encore, ce n’est pas nouveau car je suis moi même le fruit d’une mauvaise orientation, rattrapée à l’arrache. J’en connais des tonnes de ma génération. Et quand je parle à des responsables de ressources humaines, c’est aussi l’impression d’une méconnaissance des capacités des filières de l’enseignement. Deux mondes qui ne se parlent pas…
Pourtant, l’école n’est pas là que pour former des robots ou des soldats, donc c’est là que j’aime bien creuser. Le gamin me dit aimer l’histoire….ah, ah, il a cherché. Alors vu qu’il a passé son bac il y a moins d’un an, je me dis qu’il y a matière à…. Euh, à pas grand chose. Bon, le moyen orient, il l’a vu coté ressource pétrolières sans rien comprendre aux problèmes géopolitiques et au poids de l’histoire. Merci à mes deux profs de 1ère et terminale de m’avoir passionné, même si les notes n’étaient pas toujours au niveau. Pour la seconde guerre mondiale aussi, on reste en surface. Le pauvre a eu le malheur d’enchainer sur le guerre froide et la guerre du Vietnam. Aucune notion de contexte du conflit, pas de maîtrise des principaux dirigeants impliqués, surtout vietnamiens, des quelques périodes clés, des soutiens. On nage dans l’imagerie d’Epinal véhiculée par les films…Mais bon, si je n’avais pas pris le temps de lire par moi même, d’être curieux, j’en serais sûrement au même point; donc là encore, ce n’était pas mieux avant.
Et puis je l’ai donc mis sur un ordinateur.…Qu’est-ce que j’ai fait là. Ok, je suis sadique, je lui lance Excel pour faire des petits calculs simples (désolé je n’ai pas libre office au travail, mais des outils libres “portables” pour le reste). Le pauvre était évidemment complètement perdu, ne sachant même pas comment faire multiplication, division, ne comprenant pas l’utilisation du symbole $ dans les formules. ça m’a choqué sur le moment, c’est vrai. Je le voyais par ailleurs avec son iphone 6, pianoter joyeusement sur snapchat sans même se rendre compte de ce qui pouvait se passer derrière ou que ça aussi c’est un ordinateur. Après réflexion, là encore, je me disais que d’autres de mes camarades de l’époque n’étaient pas forcément plus doué à 19 ans…. sauf qu’Excel en 93, ça n’existait pas pour grand monde. J’avais déjà utilisé un traitement de texte très basique et découvert le monde merveilleux d’Apple… lors d’un interim en entreprise un été. Excel ou un tableur est devenu indispensable dans la filière qu’il a choisie, sans même parler de la programmation. D’ailleurs en creusant un peu, j’ai su qu’il avait un prof qui, au lieu de commencer par les bases d’Excel, s’obstine à enseigner les… macros. Philosophiquement, j’ai toujours été contre ce bordel qui évolue à chaque version et ne reste valable que sur ce produit, mais si au moins ça servait à quelques bases de programmation. Raté, apparemment. Bizarrement, il connaît mieux powerpoint, mais de manière à la fois basique et mal maitrisée. Pour ma part, j’ai vraiment vu ça en Bac +2 à mon époque dans les basiques de la communication, et on peut vraiment s’en passer. Mais j’ai ressenti surtout la peur qu’il éprouvait vis à vis de cette satané machine appelé ordinateur, alors qu’il en utilise un autre pour … téléphoner et jouer. Curieux phénomène que l’ami Borne a souvent décrit dans ses billets “éducatifs”. Enfin, maintenant, il ressort de ces deux semaines avec une autre vision, moins de peur, et il voit d’autres utilisations, c’est toujours ça. Il arrive même à chercher lui même des solutions maintenant (il a fallu se battre) et surtout il est devenu demandeur de connaissances dans des domaines qui le rebutaient. Alleluia.
Je me garderai de faire des généralités à partir de ce cas. Mais il faudrait prendre conscience des fossés qui se creusent peu à peu dans la société entre ceux qui maîtrisent les outils de leur temps, et les autres. Il y a certainement à s’interroger sur l’éducation, autant parentale que scolaire, mais je suis mal placé pour le dire. J’ai pourtant souvenir du premier vrai cours d’informatique que j’ai eu à la fac, où la première étape consistait à comprendre le fonctionnement de l’ordinateur. C’était très rébarbatif au premier abord. Ca a sûrement du en effrayer. Et pourtant ça m’a permis aujourd’hui de mieux comprendre ce qui peut se passer en cas de problème, de déployer une logique. J’ai l’impression que c’est ça qui manque souvent, le lien entre les bases qu’on pense chiantes et le réel. Dans les exemples que j’ai donné ci -dessus, en histoire, mathématique ou informatique, il manque à chaque fois ce lien entre les éléments qu’on a voulu inculquer. Et là encore, ça tient à peu de chose, sans être une nouveauté. Et à une heure où l’enseignement, scolaire ou professionnel, commence à tourner au “mettez les devant une présentation interactive”, il faudrait faire comprendre que justement, enseigner, ce n’est pas binaire quand l’humain reste… analogique.