BD - Le joueur d'échecs de Stefan Zweig et David Sala (1943/2017)
Adapter une nouvelle en BD est souvent une très bonne idée. Mais quand on a à la fois la qualité de l’histoire et la qualité graphique, ça devient alors un superbe “roman graphique”.
C’est justement le cas ici avec la dernière nouvelle de l’écrivain autrichien Stefan Zweig. Une de ses oeuvres fait partie de mes livres “fétiches” mais je n’avais pas encore lu cette nouvelle, baptisée “Schachnovelle” ou nouvelle des échecs (le jeu). Et ici, c’est David Sala qui la met en image et c’est un des meilleurs choix possible. En effet, c’est un dessinateur qui a montré un style dans sa mise en couleur, une patte particulière qui sort un peu de la “ligne claire” classique. Mais c’est en tant qu’illustrateur qu’il montre le plus de facettes de son talent. Il travaille “à l’ancienne”, c’est à dire à la peinture directe et s’inspire beaucoup de Gustav Klimt. Ce peintre autrichien va avoir de l’importance dans la vie du viennois Zweig, même s’ils ne se rencontreront probablement pas. Mais passons sur la vie de l’homme pour en venir à cette oeuvre “posthume”.
J’ai tout de suite été séduit par cette couverture qui m’a rappelé un peu Klimt, mais aussi Egon Schiele ainsi que Escher pour le coté géométrique impossible. Escher a d’ailleurs des points communs avec Zweig pour sa fuite du fascisme et son exil. L’exil est justement le premier sujet de ce presque roman avec un paquebot qui accueille un champion du monde d’échecs, Czentovic, le narrateur dont finalement on ne connaît pas grand chose, et un certain M. B, un mystérieux autrichien fuyant le … nazisme. On voit évidemment le parallèle avec la propre vie de Zweig.
Mais là où cette histoire captive et marque, c’est qu’elle décrit très finement une des techniques de torture des nazis, qui était aussi théorisée par les russes du KGB ainsi que par la CIA (et améliorée pendant les dictatures sud-américaines). Il s’agit d’enfermer un individu, sans qu’il puisse connaître les heures, sans qu’il puisse communiquer de manière à le rendre maléable et le reprogrammer. Zweig montre cela et en même temps parle de toute la psychologie du jeu d’échec, de la fascination que ce jeu peut procurer, de l’emprise psychologique du calcul sur l’individu. L’ami de Freud est évidemment un familier de la psychanalyse mais ici il empreinte des pistes vraiment passionnantes. Je me suis pris à penser à un des joueurs d’échecs les plus intrigants, Bobby Fischer. Véritable génie, il a vécu une partie assez proche de celle de cet ouvrage, je pense. Mais il sombra aussi parfois dans une folie et une manipulation similaire à ce qu’on trouve ici. Je n’en dirai pas plus pour ne pas dévoiler trop du récit.
Si Zweig oppose aussi le calcul à l’inné, il y a aussi plusieurs genres artistiques dans l’illustration qu’en fait Sala. J’ai pensé à la fois à l’expressionnisme allemand mais aussi au symbolisme autrichien. A chaque page, on a cette impression de voir des toiles, des oeuvres parfois si remarquables qu’elles pourraient figurer dans une exposition d’un musée. Si l’histoire m’est connue aujourd’hui, je reprends plaisir à feuilleter les pages, juste pour admirer les détails de ce qui ne sont plus des cases de BD. Et puis j’avoue que cette histoire me fascine par toutes ses facettes.
C’est évidemment mon coup de coeur de cette année, un superbe cadeau en plus pour la fin d’année, à ceux qui aiment la BD, la peinture et la littérature.