Internet - Décentralisation et géopolitique de l'information
A bien observer le réseau des réseaux d’aujourd’hui, il semble qu’on aille de manière très désordonnée dans deux sens opposées. On verra que certains théoriciens ont déjà pensé l’après…
Si la mode est à l’exaltation sur un produit aujourd’hui, comme elle le fut pour d’autres par le passé, le point intéressant est de mettre en avant la structure et non l’utilité de l’outil. Tous les outils proposés aujourd’hui ne sont que des réinventions et ré-interprétations de ce qui existait à l’origine du réseau dans sa phase publique. Aujourd’hui Mastodon est un Twitter qui lui même est un mélange de flux RSS (partage de lien) de blog (partage d’humeur) et de messagerie instantanée. Son innovation, qui n’en est pas une (puisque GNU Social est passé avant, etc….), est de décentraliser les choses dans ce qu’on appelle des instances, c’est à dire des espaces partagés sur des serveurs. On a vu Diaspora* se monter aussi sur cette idée et quelques autres dont on peut dire qu’ils sont moribonds aujourd’hui. Diaspora* subsiste sur une communauté bien particulière qui n’est pas assez influenceuse (malgré le buzz du début, souvenez vous…). Cette communauté a pour avantage d’être calée techniquement, suffisamment pour créer son instance ou au moins en comprendre l’intérêt. Mais ce qu’elle n’a pas compris, c’est le besoin des autres utilisateurs, ceux qui ne voient pas le Réseau de la même manière.
De cet autre point de vue, des non-techniciens, il faut un point d’entrée, une adresse. Mastodon, comme Diaspora* ont tenté cela avec une instance principale qui a rapidement connu les affres du succès, à savoir des serveurs qui sautent, ou bien des fonctionnalités qui manquent. Ajoutez à cela que pour le coté “social”, le monde appelle le monde et changer les habitudes est perçu comme un danger par beaucoup d’utilisateurs : Perdre des “contacts”, des informations. Évidemment, si on y réfléchit, c’est un leurre car tout existe ailleurs pour les “sachants”. Mais les autres… Ils suivent aussi ces fameux influenceurs, qui créent les modes mais sautent aussi d’une lubie à l’autre mais surtout vont là où est le plus grand nombre. L’humain est ainsi à avoir peur de se distinguer. Pour eux, le réseau est un outil pour faire ses courses, pour trouver de l’information, pour se distraire, une sorte de télévision, un truc pour se croire aussi important avec l’affirmation de la prophécie d’Andy Warhol. Pour ces personnes, Internet est une entitée bien réglée et surtout très géocentrée sur l’occident. Ils croient que Facebook, Twitter et Google constituent le parangon de la réussite. Si les statistiques sont difficiles à contrôler, il semble qu’avec Youtube+Google, et Facebook, les leaders soient bien occidentaux, pour l’instant et visent à cette centralisation des données qu’on croit rassurante, disons confortable….ou au contraire inquiétante, selon sa prise de conscience. Mais derrière, on trouve tout de même Baidu et QQ, deux géants chinois, devant Yahoo, Amazon, Twitter, MSN. Alibaba et les autres BATX ne doivent pas être très loin avec leur extension en occident et je ne parle pas de déclinaisons locales de ces types d’outils en Russie, Inde, ou même Iran pour ne parler que des BRICS. On entre alors dans l’aspect géopolitique des choses.
Avec notre vision exclusivement occidentale, nous ne voyons même pas le monde évoluer et les différentes interprétations de l’usage du réseau des réseaux. Moi qui suit plutôt d’obédience Neo-Réaliste dans la géopolitique, j’ai apprécié l’interview récente d’Hubert Védrine sur LCI (je vous laisse trouver le lien où vous voulez) qui a rappelé l’erreur que l’on fait trop souvent de ne voir le monde que par nos propres intérêts. Même s’il s’agissait là d’un sujet purement géostratégique, c’est valable pour le reste. C’est aussi le problème des tenants de cette décentralisation désordonnée et qui tourne très vite à l’entre-soi en quelques mois. A cela, Tim Berners-Lee, un des co-créateur de ce réseau que l’on connaît, tente de proposer une voie. Son concept, baptisé Solid est pour l’instant difficile à visualiser mais il faut comprendre qu’il s’agit pour l’utilisateur de choisir où il laissera ses données, ou plutôt qu’elles ne puissent plus appartenir à personne. Reste à rendre tout cela aussi transparent que peut l’être aujourd’hui l’utilisation d’internet pour tout un chacun. Des prototypes existent mais il manque maintenant le petit coup de pouce du destin et surtout** l’infrastructure**.
Car aujourd’hui, on ne pense même pas à ce problème toujours d’actualité dans les conférences internationales. L’ICANN n’est peut-être plus officiellement sous contrôle américain depuis Septembre dernier mais le changement de gouvernance n’a rien de clair . Si on entend parler de cela à travers la petite lutte entre Fournisseurs d’accès et fournisseurs de contenus (TFI compris…), d’une manière plus mondiale, les “tuyaux” restent répartis de manière disparate. Si on considère la carte des connectés en 2016, l’importance des USA diminue :
(source World Economic Forum)
La carte des câbles sous-marins montre l’ensemble du maillage et la propriété qui va avec. A l’heure où les réseaux sont utilisés de manière offensive, la possession physique des nœuds les plus importants est un enjeu majeur. Et dans ce sens, la décentralisation et la possession de ses propres données peut être vu autrement. Choisir sa localisation ou la propriété commerciale, c’est aussi penser un peu plus à ce que l’on met et à quel endroit. C’est aussi une manière d’être neutre ou pas. Pensons par exemple à ce qu’il arriverait en cas de coupure des liens avec le continent nord-américain et de certains services de DNS. La mondialisation des données, c’est aussi l’interdépendance des services.
Voilà, alors, qui devrait plaider pour l’auto-hébergement des données? Oui mais à la condition de développer suffisamment de compétences chez l’utilisateur. Mais comme nous en sommes loin, l’idée de Berners-Lee apparaît pertinente, sur le papier. En attendant, c’est justement le moment de penser aux risques sans sombrer dans la paranoïa. Pour ma part, plutôt que de céder à la mode, je suis revenu à un ancien(!?) service un peu oublié (mais pas de tous, n’est ce pas….) : Seenthis. Quand on regarde cela, on retrouve finalement l’idée de Mastodon mais de manière centralisée (un point d’entrée), ce qui n’est pas foncièrement mauvais. Chacun l’utilisera comme il veut et pour moi, c’est orienté veille géopolitique (et un peu automobile). Et à ce sujet, j’ai rajouté ici à la fois des catégories, mais aussi proposé des flux RSS bien précis, pour ceux qui ne veulent pas tous les articles. C’est dans le menu sur le coté ainsi que dans le “à propos”.