BD - Les Mauvaises Gens d'Etienne Davodeau (2005)
Décidément, je reste dans la BD engagée, limite politique ces temps-ci. Etienne Davodeau, qui s’est fait connaître par Rural en 2001, a poursuivi dans une veine entre documentaire et bande dessinée avec les Mauvaises Gens, récit autobiographique qui lui valut un prix à Angoulême en 2006.
Cette fois, il raconte son histoire, ou plutôt celle de ses parents, tous les deux ouvriers et militants aux JOC (Jeunesses Ouvrières Chrétiennes). L’histoire se passe dans les Mauges, une région autour de Cholet. Après la deuxième guerre mondiale, on y suit la transformation d’une région agricole en une région ouvrière dans laquelle des sociétés comme le chausseur ERAM y bâtiront un empire, aujourd’hui diversifié dans le textile. On y suit l’enfance difficile des parents, leur impossibilité à suivre des études après le certificat d’étude et l’entrée à l’usine à 14 ans. On y suit les luttes sociales et l’absence de dialogue, dans une époque où il y avait de l’emploi, où l’on cherchait de la main d’oeuvre, notamment féminine. Et le coeur du récit reste l’aventure de la JOC, cette curieuse rencontre entre le monde chrétien et le communisme.
L’ouvrage, au demeurant esthétiquement très réussi avec ses nuances de noir et de gris, reste pudique sur cette galerie de personnages. Il nous rappelle à quel point le monde ouvrier était dur à cette époque, et toutes les avancées sociales qui ont été gagnées (et qui aujourd’hui seraient remises en cause). L’ouvrage paraît essentiel pour témoigner d’une des formes du syndicalisme, et de l’origine (mais avouons le aussi, de la dérive) des centrales syndicales. Parallèlement à cette histoire, il y a l’histoire, la grande, celle de la guerre d’Algérie, par exemple, ou encore Mai 68, la peine de mort. Le récit se termine par l’accession de la “gauche”, enfin de Mitterrand, au pouvoir suprème, et l’espérance que cela représentait. On y ressent la fin du paternalisme des patrons, aussi, même si cela reste toujours d’actualité, mais évidemment, on ne parle pas encore de délocalisation, de dumping social.
Le récit s’arrêtant dans les années 80, soit à la retraite des parents de l’auteur, on a parfois du mal à faire le lien avec la situation actuelle, surtout pour ceux qui sont nés dans les années 90 ou 2000. Pourtant c’est une petite leçon d’histoire pour mieux comprendre l’évolution de la France dans les 70 dernières années, et de la condition feminine. On ressent aussi combien l’auteur se sent investi dans cette mission de témoignage, quelque chose que j’aurais aussi aimé faire pour ma propre famille. Car si les deux héros du récit sont des anonymes, ils ont croisé l’Histoire de France de manière active, participant au progrès, à l’évolution de la société par leur militantisme. On oublie trop souvent ceux qui se sont sacrifié, pour saluer cet ouvrage.
J’aurais pu en effet en parler dans feu Icezine, la version politique de ce blog, mais je trouve qu’il dépasse le simple aspect engagé. On peut évidemment reprocher qu’il n’y ait pas la vision patronale pour compenser le militantisme, mais dans notre société actuelle, on aurait vraiment du mal à imaginer des conditions de travail à la Germinal, telles qu’elles ont persisté dans l’industrie il n’y a pas si longtemps (et parfois encore aujourd’hui). Un ouvrage qui montre en tout cas que la BD est bien un art à part entière, si on en doutait encore…