Géopolitique - Le Terrorisme et l'Ethnocentrisme
L’arrestation le 21 mai, d’un Français en Ukraine pour trafic d’armes pose bien des questions, autant sur le devenir des armes et les attentats potentiels, que sur la qualification en terrorisme de cette affaire. Une part d’ethnocentrisme, peut-être ?
En effet, cet individu de 25 ans, de race blanche, devait “ Selon des services de sécurité ukrainiens, […] s’en prendre à des lieux de culte musulmans et juifs ainsi qu’à des bâtiments publics en France.” Ceci n’est pas très différent d’actes prémédités par les terroristes qu’on appelle djihadistes. Les autorités françaises “affirment cependant n’avoir aucun élément qui étaye une quelconque piste terroriste”. Deux solutions, alors : L’Ukraine affabule pour une raison à déterminer (on parle de négociations sur la libre circulation) , ou bien la France et la DGSI prennent mal le fait d’avoir été aveugles à cette menace. Car on a connu moins de prudence pour qualifier un tel acte lorsqu’il s’agit de ressortissants français d’Origine ……… (remplir les points par un pays proche de la fameuse musulmanie, par exemple). Ce n’est pas la première fois qu’on voit une différence de traitement à cause de l’origine et la couleur de peau ou un empressement à utiliser le mot Terroriste, comme récemment pour ce jeune à Argenteuil.
Ainsi prenons Anders Breivik, le terroriste norvégien. Il est bien qualifié comme terroriste mais on a plus souvent vu le qualificatif de tueur, de fou, qu’autre chose. J’en veux pour preuve cet article du Figaro, par exemple, où l’on préfère tueur de masse, comme si on hiérarchisait. Cette classification pose aussi problème aux Etats-unis où l’on doit différencier les meurtres de masse sans mobile politique, comme celui de Columbine, et ceux qui ont un motif politique. Les armes, la méthodologie sont proches. On pourrait même dire qu’il y a un fond politique dans le rejet d’une société qui les a mis à l’écart, comme point commun à ces tueurs. Mais c’est bien le mobile qui devrait être le différenciateur et cela s’exprime ensuite dans la classification entre terrorisme et folie meurtrière.
Prenons l’exemple du marathon de Boston. Dans les premières heures, le mot terrorisme n’apparaît pas, comme on peut le voir sur le site de CBS à ce moment.
Le terroriste n’est identifié que le 18 avril 2013 et pendant 3 jours, on n’utilise pas le terme. Le 17 Avril, on parle encore d’un homme blanc posant un paquet. Le 18 Avril, les frères Tsarnaev sont identifiés mais ils n’ont pas le profil attendu, du fait d’une origine peu connue. Les tchétchènes sont-ils russes, musulmans ? Ils ne sont en tout cas pas arabes ou iraniens (je doute que beaucoup d’américains ou de français fassent la différence, hélas). Ils ne sont que suspects dans ces premiers jours. Il faudra attendre de connaître le motif pour que la classification se fasse. Le 28 on parle avec des responsables de l’antiterrorisme pour comprendre l’absence de surveillance. Depuis, l’affaire est bien classée comme terroriste.
Alors pourquoi dans notre cas ukrainien, ne semble-t-on pas s’affoler et qualifier de terroriste cet individu? La présomption d’innocence est suffisamment bafouée d’habitude. Après tout ,un trafiquant d’armes n’est pas forcément un terroriste et la France en sait quelque chose en la matière (cf Françafrique). Mais ici, on ne parle juste que d’une vague appartenance à un groupe d’extrême droite, minimisée par les déclarations des voisins. Il manque une trace d’un attentat à venir. Pourtant, dans d’autres affaires similaires, un simple loueur d’appartement passait très rapidement dans la case terroriste et interrogé comme tel. Le traitement de l’affaire laisse perplexe. D’autant que le directeur de la DGSI, Patrick Calvar, fait bien état de ce risque le 10 mai dernier :
“Cela d’autant que l’Europe est en grand danger : les extrémismes montent partout et nous sommes, nous, services intérieurs, en train de déplacer des ressources pour nous intéresser à l’ultra-droite qui n’attend que la confrontation. Vous rappeliez que je tenais toujours un langage direct ; eh bien, cette confrontation, je pense qu’elle va avoir lieu. Encore un ou deux attentats et elle adviendra. Il nous appartient donc d’anticiper et de bloquer tous ces groupes qui voudraient, à un moment ou à un autre, déclencher des affrontements intercommunautaires.” (source Assemblée nationale)
La réponse paraît tardive pourtant, pour une évidence lorsque l’on lit ne serait-ce que des forums et pages d’extrème droite, française et européenne. L’envie d’en découdre, d’attendre le bon moment est récurrente. Mais peut être certains milieux politiques pensaient-ils utiliser ces mouvances pour capitaliser sur la peur et le repli sur soi? Un jeu dangereux qu’on a connu dans les années de plombs de la Vème république, avec le SAC et les groupuscules qui gravitaient autour.
Il semble globalement que l’Europe et même plus généralement l’occident, ait du mal à regarder ce qui se passe dans les milieux d’Extrême-droite. Résultat, le traitement différent de ces faits peut alimenter lui même la défiance et le terrorisme. Ne peut-on y voir à la fois une difficulté à se repencher sur son histoire récente (Nazisme, collaboration, franquisme, ….) mais aussi une difficulté avec l’ethnocentrisme ? Je reprends la définition suivante :
« comportement social et attitude inconsciemment motivée qui amènent en particulier à surestimer le groupe racial, géographique ou national auquel on appartient, aboutissant parfois à des préjugés en ce qui concerne les autres peuples.»
Dans notre cas, nous considérons souvent que les terroristes viennent de l’extérieur. Le qualificatif “d’origine”, lorsqu’il s’agit de français, renforce cette idée de rejeter le terroriste. C’était aussi l’idée derrière la déchéance de nationalité. Aussi, dès qu’il n’y a plus de rejet possible, trouve-t-on souvent matière à tergiverser, à ne pas qualifier le crime de la même manière. Pour les attentats de Boston, avant qu’on ne trouve les coupables, il y a eu un flottement dans la qualification. On pensait aussi à des mouvements d’extrême droite sans utiliser forcément le même vocabulaire que lorsqu’il s’agissait du 11 Septembre. Mais il faut aussi regarder la vision du stéréotype musulman durant ces dernières années. Une étude de 2013 en fait état :
51% des répondants blancs mettent les musulmans du coté violent, et 45% y incluent leurs compatriotes de confession musulmane.
On sort donc ici de l’ethnocentrisme pour aller sur un terrain lié à la religion, mais dans l’imaginaire des répondants, il faut tenir compte que le musulman est un non blanc. D’ailleurs on cite plus souvent les noms musulmans des convertis terroristes de l’EI, plutôt que leur nom d’origine, même s’ils sonnent portugais, italien…. Dans la dernière affaire, le Grégoire de 25 ans n’a pas de nom de guerre. Il n’a pas de nom alors que pour l’affaire d’Argenteuil, le nom du suspect fut rapidement dévoilé. Il reste un jeune français converti non pas à une religion mais à une violence et une haine, ou peut-être seulement complice, l’enquête le dira. On aimerait juste voir et entendre un peu plus de retenue sur toutes les affaires du même type, avant de crier au loup (lesquels subissent aussi d’autres désagréments très franco-français, mais c’est une autre histoire). Mais surtout, une identité de traitement des suspects, ce que justement les USA nous avaient reproché durant l’affaire DSK où le nom de la victime était sorti très tôt dans la presse. On ne peut s’empêcher aujourd’hui de se demander s’il en aurait été de même avec une victime blanche. A méditer.