Réflexion - L'éducation en questions
Je lisais avec attention un très bon article de mon collègue blogueur Cyrille Borne sur l’éducation à la programmation et aux mathématiques. Et comme chaque année, je reçois en ce moment mon quota d’apprentis et stagiaires avec des bonnes et des mauvaises surprises. De quoi réfléchir sur l’éducation scientifique.
Alors que Cyrille parle du coté bancal des nouveaux programmes qui veulent former des codeurs sans leur enseigner les bases du domaine, ou même préparer les enseignants, j’observe tous les jours ou presque les lacunes de ces futurs entrants en entreprise. Quand je parle de lacunes, je ne parle évidemment pas des spécificités très techniques de mon métier, mais de certains basiques de math, de logique, de méthodes. J’en parlais il y a quelques temps, mais j’ai mes petits “ateliers”, histoire de situer le niveau de mes interlocuteurs, la plupart du temps des BTS 1ère ou 2ème année. Les apprentissages sont aussi l’occasion de situer la pratique de la langue française et je m’étonne de voir des fautes récurrentes (même si je n’en suis pas exempt), dont j’ai du mal à comprendre l’origine (Frederic en a parlé récemment). Je n’ose pas parler de l’anglais mais mon activité est encore assez éloignée de cela (quoique pour l’Allemand….).
Bref, dans les petits problèmes que je propose, l’objet est de tester la faculté de recherche de ces jeunes gens, qui ont tous des smartphones avec de la data, à qui je mets à disposition un PC avec Excel. Ils ont bien plus que nécessaire pour un problème touchant à la physique mais surtout aux mathématiques et finalement à une certaine logique. L’outil mathématique nécessaire est … la régression linéaire ou méthode des moindres carrés. Ok, j’ai perdu déjà quelques lecteurs à l’énoncé de ces mots mais c’est au programme du lycée (ça l’a été il y a peu, en tous cas). J’avais réalisé un petit programme pour cela dans ma calculatrice Casio FX7500G de l’époque. Aujourd’hui, ça doit être beaucoup plus accessible. Cette méthode n’est pas la seule possible pour résoudre mon problème (qui varie selon ce que j’ai sous la main), et j’explique le phénomène physique. Mais dans 80% des cas, je rencontre un mur, un blocage. La méthode est parfois connue mais ils n’ont jamais vu l’application pratique ou ne s’en souviennent pas. Quand je leur souffle la solution, aucun ne cherche à comprendre, n’essaye d’utiliser les outils à sa disposition, ou se laisse effrayer par les notations mathématiques. (Edit : J’ai revu un apprenti de l’année dernière et depuis il cherche beaucoup plus à comprendre les applications des maths à des problèmes concrets…)
Nouveauté cette année, j’ai un stagiaire Bac+4, plutôt brillant si j’en crois son CV/profil LinkedIn, et j’en attendais beaucoup étant donné sa spécialisation Mesure et Capteurs. Il aurait du m’apprendre des choses….Hélas, il lui manque toutes les bases, à part l’esbroufe et la mauvaise foi. Pour un futur ingénieur, j’attendais un minimum de créativité pour une problématique assez pointue qui est son sujet de stage. Mais non, le type attend qu’on lui fournisse la solution toute faite pour n’avoir qu’à appuyer sur “marche” et faire ses mesures et expériences….En 6 mois ! Je lui ai fait écrire son problème, définir sa solution dans un embryon de cahier des charges, je l’ai même orienté sur des pistes techniques. Mais non, il reste cantonné à l’attentisme. Quand il a fallu trouver un moteur d’entrainement, il s’est contenté d’une solution banale et basique sur catalogue dans le premier fournisseur apparaissant sur Google. Et coté méthodologie, cela me semble le néant, tant il reste bloqué sur une voie dont j’égrène jour après jour les écueils. Il pourrait utiliser son temps pour explorer deux ou trois solutions mais il reste bloqué à attendre le messie sur sa seule solution. Je vous passe le discours rétrograde sur les smartphones, wikipedia….on dirait un retraité. N’étant pas son tuteur, je me vois mal tenter quelque chose. J’en ai eu de si brillants en Bac +2 les années passées, des types démerdards, innovants, que c’est assez désespérant, surtout quand je vois le cursus de ses profs et son programme. (Edit : depuis quelques semaines, il a réagi et fait des propositions, même s’il applique encore trop scolairement des solutions vues en cours)
Dans tout cela, je ne dirai pas le fatidique “c’était mieux avant” puisque je me souviens de toutes les lacunes que j’avais à leur age. Je constate juste qu’aujourd’hui comme hier, nos jeunes aspirants salariés, ingénieurs, sont mal préparés à la vie réelle et que le secret reste souvent dans la curiosité à rechercher par soi même des solutions. Il faut pour cela, c’est vrai, une certaine maturité, mais pas seulement. Je me suis ennuyé à la Fac, en dehors des TP, parce que justement j’avais l’impression de voir des sujets inutiles, uniquement faits pour créer une sélection naturelle. C’est aussi le cas en Math Sup où j’entends mon beau frère, spécialisé en calcul scientifique et programmation, pester contre les incohérences et les erreurs des programmes que subit sa propre fille. Il parait même que le calcul mental n’est pas maîtrisé à ce niveau …. Si curiosité il n’y a pas, elle n’est pas compensée par une méthodologie et une connaissance des bases du langage… algorithmique. Plus que l’apprentissage d’un langage de programmation, c’est ici que commence souvent le cœur du problème, en même temps que la connaissance théoriques des structures des hardwares d’aujourd’hui, sans aller trop loin dans les détails. A moins de faire une formation spécialisée, les notions nécessaires ne sont pas là pour permettre d’aborder la suite sans souci. Au gré des changements de programmes, on aboutit à des gens sans armes où qui devront un jour ne compter que sur eux pour rattraper le retard. Il faut dire aussi que le terme “Informatique” est un vaste fourre-tout incompris pas ceux là même qui définissent les orientations et programmes.
Si je connais certaines choses utiles dans ce vaste domaine, aujourd’hui, c’est à la fois par l’expérience, mais aussi par quelques bases que j’ai eu la chance d’avoir dans mon cursus en croisant des profs qui dispensaient cela et formaient l’esprit à la réflexion nécessaire. Toutes ces briques n’ont pas été forcément mises dans le bon ordre ou au bon moment mais j’ai pu les compléter par moi même ensuite. L’entreprise n’ayant pas vocation à rattraper tous les manques, surtout si l’on suit les demandes d’un grand patronat déconnecté du monde réel, il va falloir réinstaurer du dialogue dans tout cela. Car normalement, on devrait voir arriver avec ces jeunes embauchés et stagiaires, de nouvelles façons de travailler, de nouveaux outils, un esprit neuf. Ce n’est pas le cas car nous sommes encore bloqués dans le passé… pour former l’avenir. Je ne généraliserai pourtant pas la situation sur le seul exemple de ce pauvre Bac+4 qui s’imaginait déjà dans une laboratoire feutré où tout les outils auraient été disponibles et préparés par des petits techniciens/ouvrier à sa botte. On en a chaque année quelques uns comme cela, mais on en a autant à l’inverse, souvent moins diplomés…. Allez comprendre.