Musique - Hossein Alizadeh - Ney-Nava (2015)
Comment vous donner envie d’écouter ce petit chef d’oeuvre de musique persanne ? C’est le défi que l’on s’est fixé car vous le savez, à Histozic, nous bannissons les frontières… musicales.
Ney Nava (le son du Ney) est un concerto pour Ney sorti en 1983, le ney étant une flûte traditionnelle que l’on rencontre à la fois dans la culture arabe, ottomane et perse dans des jeux très différents. Ici, le ney se trouve accompagné par un orchestre symphonique (celui de la radio-télévision iranienne) faisant une passerelle entre musique traditionnelle et musique classique plus occidentale. Le tout a été composé par l’un des plus grands musiciens iraniens contemporains, Hossein Alizadeh.
Il n’a que 32 ans lors de cette orchestration, 8 ans après sa sortie du conservatoire. Son passage par Berlin lui a sans doute permis de s’ouvrir à des sons différents mais il n’a jamais oublié ce que lui ont appris ses maîtres dans les divers instruments qu’il maîtrise. Toutefois ici, il fait appel au soliste Djamshid Andalibi pour retranscrire ses compositions au ney. Il préfère la pratique du Târ et du Sétâr, autres instruments traditionnels.
De retour d’Europe, Hossein Alizadeh se retrouve dans la position de beaucoup de compositeurs déracinés, aventuriers, encore curieux de découvrir mais ayant besoin de se ressourcer dans leurs propres racines. Dans ce début de carrière, il a beaucoup à prouver à ses pairs et n’a pas encore fondé son propre ensemble orchestral qui lui permettra ultérieurement la reconnaissance internationale. On peut donc considérer cela comme une oeuvre de jeunesse se déclinant en plusieurs thèmes. En effet, le concerto pour ney ne comporte que 5 mouvements, les autres titres enregistrés étant soient isolés, soient une autre oeuvre (song of compassion) elle aussi en 5 mouvements. Mais vous êtes sans doute impatient de découvrir un peu plus de cette oeuvre !
Avec une introduction au violon, “Darâmad” ne laisse pas présager que nous sommes dans un album de musique orientale. Mais très vite, on est pris par le son si particulier du ney dans sa version perse avec des mélopées qui oscillent sur fond de violons. On quitte très rapidement notre environnement pour les terres d’Iran. Viennent ensuite les staccato des violons qui trouvent encore une réponse avec la thématique principale de la ligne de ney sur “Naghmeh”. Cela dynamise considérablement l’ambiance générale de la pièce qui va maintenant s’assombrir avec “Jâmeh-darân”. On gagne aussi en puissance, en grandiloquence avec des basses plus présentes et on fait déjà un pont entre le classique occidental et la musique orientale avec même quelques sensations celtiques. Le Ney se transforme en soliste, entre l’oiseau et le chanteur, les violons lui répondant sur les même phrases musicales. Sur “Nahoft, Forud”, on retrouve les instruments à corde typiquement orientaux dans leur phrasée avec cette fois des aigus qui puisent aussi une inspiration plus ottomane. Mais on retrouve aussi des rythmiques plus de tradition arabe.
Les morceaux suivant rappellent que l’Iran est au carrefour du moyen-orient et de l’Inde. Car on retrouve de fortes similitudes avec la musique indienne, du fait même que les instruments y sont similaires. Le Sétâr est en effet un proche cousin du Sitar indien mais on le retrouve aussi en Azerbaidjan, pays proche culturellement de la Turquie. “Nowruz” a un coté presque folk avec sa rythmique plus sautillante et dansante qui peut aussi rappeler un folklore plus proche de nous. Cette proximité est surprenante sur “Zendegi” au point qu’on retrouve des conotations plus méditerannéenes et balkaniques. Mais il y a également des sonorités plus coutumières de l’asie du sud-est dans des sons aigus. C’est aussi un morceau chanté où l’on retrouve toute l’extrême technicité du chant oriental.
Déjà, il nous semble avoir parcouru de larges portions d’Iran et des alentours dans cette presque heure de musique concoctée par Hossein Alizadeh. On y retrouve déjà une grande diversité, une modernité considérable qui ne va que se confirmer ensuite, par exemple dans des morceaux au son très subtil et qui nous transportent véritablement dans une autre expérience sonore. Alors qu’à l’époque on ne parle pas encore de “world music” pour ces rencontres entre continents, Hossein Alizadeh semble trouver l’alchimie entre les différentes influences qui ont construites son éducation musicale. Il trouve à nous la faire partager avec une sensibilité encore plus affirmée que dans la première partie, flirtant parfois avec ce que l’on retrouve dans l’opera. Les sons sont modernes, hors du temps, rappelant aussi des groupes comme Dead Can Dance.
Cet enregistrement semble finalement construit avec une certaine chronologie qui nous donne des bases d’abord puis nous fait voyager pour mieux comprendre où l’auteur veut aller. Et c’est justement ce qu’il confirmera plus tard, amenant la musique perse sur des terres qu’elle n’imaginait pas elle-même. Une génération de musicien iraniens et bien plus encore s’inspirera et s’inspire toujours des oeuvres d’Alizadeh qu’on ne peut résumer à ce Ney-Nava. Nous ne pouvons que vous conseiller d’aller plus loin en suivant le fil laissé par Hossein Alizadeh dans sa déjà longue carrière.
A noter que depuis 1983, d’autres enregistrements ont été effectués, notamment lors d’une tournée en 2006.