Géopolitique - Europe et France, démocratie en danger?
Avec les résultats des élections régionales en France, tout le monde crie au loup, et pense la démocratie en Danger? Mais existe-t-elle aujourd’hui ?
Si l’on reprend l’étymologie du mot, il s’agit de la gouvernance par le Peuple, et on cite souvent l’exemple de la Grèce antique. On a oublié l’inégalité entre les castes (esclavage notamment) et le fait qu’il s’agissait d’un tirage au sort. En réalité, la Démocratie (directe, représentative…) reste une utopie du fait de la nature même de l’homme. “L’homme est un loup pour l’homme” disait Plaute le dramaturge Romain. Et aujourd’hui, nous avons constitué une succession d’aristocraties de la politique (de même qu’une religion constitue aussi une manière de constituer une classe dirigeante). Ces aristocraties sont parfois renouvelées par des révolutions, donnant ainsi l’illusion d’une représentativité. Mais sans cesse, elles se rebattissent et s’isolent par elle même du peuple, confisquant peu à peu le vote. L’élargissement du vote aux femmes et aux étrangers vivant sur un territoire est une avancée humaniste, bien entendu, appelant à une renouvellement momentané mais finit immanquablement par revenir à la situation initiale d’aristocratie.
La politique de la division
Passons sur des régionales au mode de scrutin aggravant la situation. Passons sur les manœuvres actuelles d’un PS qui lutte pour sa survie en tuant un à un ses ennemis (front de gauche et écologistes, d’abord puis maintenant le centre droit et la droite en utilisant ses idées). Le résultat de cette dérive à droite est double : Abstention et poussée du FN…sur un terreau favorisé par les politiques précédentes. Mais penchons nous plutôt sur l’évolution du paysage politique qui a conduit à cette situation. Afin de conserver le pouvoir, il faut savoir donner aux influents, faire ce que l’on appelle du clientélisme. Mais par définition, les minorités isolées n’ont pas d’influence tandis que celles qui ont l’intelligence de se regrouper et/ou de se vendre, gagnent de l’influence. S’en suit une division évidente, une montée des jalousies et du regroupement communautaire jusqu’à la rivalité. Pour ceux qui sont tenus hors de ce jeu, c’est l’exaspération et cette exaspération se retrouve elle-aussi récupérée. Et d’autant plus lorsqu’on les stigmatise ou les montre du doigt (même les abstentionnistes par exemple). Cela a fait partie de ce virage stratégique du Front National, historiquement cantonné dans une bourgeoisie nostalgique de la grandeur passée.
L’intégration des Codes
A la différence du passé, le FN a intégré les codes de la politique d’aujourd’hui. Ce sont des codes de communication, évidemment, jouant à la fois sur la provocation mais aussi sur un relookage de l’image, un lissage graduel, favorisé d’ailleurs par la reprise de ses idées par le reste de la droite. Le siphonnage de 2007 était un mirage, sinon une leçon qui a été vite retenue. De ce lissage, le FN est passé à une infiltration médiatique, un matraquage publicitaire très efficace qui a lui aussi été aidé par un abus du sensationnalisme dans les informations et les magazines de reportage (combien d’émissions sur les crimes et la police chaque semaine…). C’est aussi l’intégration des codes de l’information immédiate, la réaction outrancière qui ne permet même plus au citoyen de prendre le temps de réfléchir. On joue sur l’affect, la peur, l’angoisse du lendemain, et de tous cotés. Avec quelques éditorialistes trop médiatisés, la sauce finit par prendre. Aujourd’hui, ce n’est pas seulement le FN qui monte les camps les uns contre les autres, ce sont les trois grands partis, le tout dans un suivisme médiatique sans fin. Mais finalement, cette recette n’est pas d’aujourd’hui. Les codes de communication ont toujours été bien exploités par les mouvements extrémistes. Car aujourd’hui, c’est la diffusion d’informations tronquées ou mensongères qui passe aussi par les réseaux sociaux et les vrai-faux sites d’informations, bien plus racoleurs que les vrais sites. S’ils ne sont aucunement commandées par le FN ou ses cousins d’autres pays, ils trouvent des relais très zélés. On avait pu l’observer durant des campagnes aux Etats-unis également où l’on comparait Obama à Ben Laden ou Staline.
La théorie des cycles
De la même manière où l’on parle souvent de cycles en finance avec des explosions de bulles, on peut parler de cycles dans la politique et la vie de nos pays. Ils sont intimement liés, les explosions politiques étant souvent à la suite des explosions financières et économiques (révolution française, montée du nazisme en France, révolution russe, mais aussi révolution du Meiji, première révolution anglaise…). Mais ils ne sont pas tous aux mêmes rythmes, se retrouvent coupés par guerres ou révolutions, soient des renouvellement des castes dirigeantes par la Force. La Guerre présente l’avantage d’être mieux maitrisées par les milieux financiers et industriels que les révolutions aux destins plus aléatoires.
Les révolutions ne se font souvent que par une minorité, après un déclencheur. On peut observer divers exemples récents : L’Egypte avec une révolution populaire suite à des hausses de prix insupportables, d’abord récupérée par les Frères Musulmans avant une reprise en main par l’establishment économique qui avait la force militaire avec lui. En Ukraine, c’est aussi la situation économique qui crée une première révolution, pacifique, puis une seconde du fait de manœuvres financières autour du gaz et du pétrole. Absente jusqu’ici, l’extrème droite a profité d’un chaos plus prononcé pour s’imposer et briser l’équilibre. On pourra sans doute le voir bientôt en Cote d’Ivoire, tout comme on l’a vu en Thaïlande. La montée de l’autoritarisme accompagne souvent une accentuation des différences entre classes sociales. L’ultra libéralisme en devient un facteur aggravant, accentuant instabilité économique et donc politique. On remarquera l’accélération des cycles de guerres et de révolutions dans le monde.
Utopie de la démocratie
De cette théorie des cycles, on peut donc penser que la démocratie n’est rien par rapport à la force et la violence. C’est dans la nature humaine de revenir au conflictuel et au rapport de force. Aujourd’hui, la première force politique française est celle de l’abstention. C’est une force désunie, virtuelle. Elle existe dans bien d’autres “démocraties”, pour des raisons similaires. Ainsi, aux Etats-Unis, on retrouve cette même abstention et une progression de l’extrême droite, autrefois représentée par le TeaParty et aujourd’hui par Donald Trump (remarquez la similitude d’idées sur les musulmans, par exemple). Elle répond au fait que malgré l’emballage publicitaire que représente le président élu, rien ne change dans l’establishment et les lobbies dirigeants. Déjà en 1939, Frank Capra décrivait fort bien cela au cinéma. La guerre avait renouvelé la situation et relancé l’économie, installant l’illusion du renouveau. Mais le cycle a repris. Même les démocraties nordiques, souvent citées en exemple, ont eu leurs heures sombres et connaissent aussi aujourd’hui leurs crises politiques (Extrême droite 3ème force en Suède, en tête aux Européennes au Danemark, participation au gouvernement en Norvège). L’Allemagne est même malade à son tour de son extrême droite, dont on oublie l’ancrage à l’est.
L’utopie est aussi dans l’inégalité face à la compréhension de la politique. Elle règne dans l’éducation à la politique et à l’éducation à l’image qui en découle. Ce n’est pas un hasard si l’extrème droite recourt plus facilement au thème de la tradition qu’on oppose souvent en philosophie à la réflexion (bien que ce soit plus complexe). Le désintérêt et la diffusion d’idées simplistes conduit à une infantilisation de l’électeur, qu’on veut parfois forcer au “vote utile”, même aux extrêmes (utilité pour un soit-disant changement?). Cette utopie est autant installée dans une démocratie directe qu’indirecte. Même le tirage au sort ne ferait qu’aseptiser les choses. Il émergera toujours de cette masse d’élus des leaders et des suiveurs. De ces leaders, peuvent alors émerger des dérives de conservation du pouvoir, d’autoritarisme. Pour s’en rendre compte, il suffit de prendre quelques personnes qui ne se connaissent pas, dans une salle et de les faire débattre d’un thème. Placez un tableau et un stylo/craie et observez. Vous verrez alors ce qu’est la démocratie par rapport au rapport de force. On peut aussi citer différentes expériences comme celle de Stanford, de Milgram, afin de mieux comprendre l’essence même de l’Humain, la manipulation et le suivisme, des notions bien intégrées par communicants et politiques. Je ne développerai pas ici l’utopie de l’anarchie, qui croit être une réponse à cela mais est instable par nature …
Et la France de demain ?
Dans la situation actuelle, que peut-on espérer ? Les deux principaux partis gardent leurs comportements habituels et ne s’ouvrent aucunement à l’idée d’une refonte totale de la constitution. En effet, en dehors d’une régénération par la violence, il peut y avoir aussi la possibilité de changer le système par la conception. Le problème réside dans le fait que ceux qui écrivent les constitutions sont ceux qui détiennent aujourd’hui le pouvoir. Ils s’arrangent donc, de fait, pour le conserver. La 5ème République était bien dans une vision Gaulliste du pouvoir. L’issue pacifique paraît donc, là aussi, peu probable, à tel point que la prophétie d’une montée inexorable du FN, vue autant par un Stiegler que par un Bayrou, se vérifie. La stratégie qui consiste à conquérir des grands électeurs, investir le sénat, profiter de la peur et de la crise, fonctionne à plein pour le FN et pourrait trouver une issue en 2022, voir avant si catalyseur à des émeutes il y avait. Quand on parle émeute, on pense trop souvent aux cités et on oublie d’autres émeutes comme celles des bonnets rouges, manipulés par des pouvoirs locaux ou industrielles. Rien n’interdit d’autres révoltes de ce type avec une récupération politique conduisant à des oppositions de forces. La dérive autoritaire et arbitraire de l’état d’urgence avec cette volonté de prolongation accélèrerait la situation. Le piège est justement cette volonté d’imposer le sécuritaire et l’immigration comme thème, alors qu’au fond, c’est l’emploi et l’éducation qui génèrent tout. Mais n’est-il pas trop tard? Imaginons un instant une élection par tirage au sort aujourd’hui, dans un pays qui n’a rien d’apaisé… Dans ce conglomérat d’idées, celles répondant à la peur, données par les plus forts en gueule, ressortiraient.
Coté Européen, c’est plus la dislocation de l’Union qui se rapproche de par l’échec économique et la montée des extrêmes. Souverainistes et individualistes par nature, les mouvements de l’extrême droite ne visent qu’un chaos conduisant au pouvoir autoritaire. Mais ce modèle est aussi une stratégie politique utilisée par des partis plus démocratiques vis à vis de concurrents. Mettre en avant une idée clivante comme sujet principale peut disloquer une opposition, tout en favorisant l’instabilité globale du système politique. La quête de la conservation du pouvoir qui gère aujourd’hui l’Europe, est typiquement dans cette idée. Le pouvoir est essentiellement économique et désorganise toute opposition politique autour d’idées comme les frontières, les migrations, le fédéralisme, la politique étrangère. L’élection Européenne avec des représentants trop éloignés du pouvoir, devient un leurre démocratique. Le projet de constitution Européenne, démasqué à temps, aurait renforcé cela, mais avait aussi ce pouvoir clivant.
La démocratie n’est doncpas en danger, elle n’a jamais existé véritablement . Mais nous n’avons pas essayé non plus ce qui pourrait se rapprocher le plus de l’utopie. Il faut garder à l’esprit qu’aucun système politique n’est totalement indépendant des autres, ni stable et que cette situation actuelle est le fruit de ce système instable. Ce n’est ni une mort ou une renaissance . Aujourd’hui, la vrai question n’est pas le vote pour untel ou unetelle, l’abstention ou le ralliement. Aujourd’hui, on ne vote plus par adhésion, ni même par espoir mais Contre (contre un parti, le sexe ou la couleur d’un candidat, une figure). Le vote a été vidé du sens qu’il avait obtenu dans le sang. C’est un des stades des cycles politiques tels qu’ils sont théorisés et qui se rapproche de l’explosion. Il faut maintenant pouvoir aller dans la fin du cycle en limitant la casse, c’est à dire Guerre ou Révolution. Il faut pouvoir construire un modèle qui permette un cycle plus apaisé et long, permettant l’expression de chacun. Je ne vois hélas pas, aujourd’hui, une personne désintéressée capable de créer un apaisement nécessaire afin de construire un système le permettant.